Le christianisme oriental

Le christianisme oriental
Affiche conférence du 18 décembre 2023

Résumé de la conférence

Diversité des christianciles orientaux et de la tradition syriaque

Les sources proviennent de la transcription d’une conférence YouTube de Muriel Debié intitulée « Le christianisme oriental », qui explore la diversité et la richesse des traditions chrétiennes orientales. La conférencière explique pourquoi elle préfère le terme « christianismes orientaux » au pluriel, insistant sur les nombreuses formes distinctes qui existent, notamment en Orient et au Proche-Orient. Elle retrace les divisions historiques de ces églises, souvent liées à des conciles œcuméniques comme ceux de Nicée et de Chalcédoine, et souligne l’importance de la tradition syriaque, une forme d’araméen. Enfin, elle met en lumière l’extraordinaire expansion du christianisme syriaque vers l’Est, jusqu’en Inde et en Chine, ainsi que la richesse de sa littérature et de sa théologie poétique. La discussion aborde également l’impact de ces traditions sur le monde musulman et les différences culturelles par rapport aux christianismes latin et grec.

Christianismes Orientaux.

La désignation correcte est celle des Christianismes orientaux au pluriel, car parler de « christianisme oriental » au singulier n’a pas de sens, étant donné la grande diversité des formes chrétiennes en Orient. Ce serait aussi peu pertinent que de parler de « christianisme occidental » pour englober le catholicisme latin, les diverses formes de protestantisme et l’orthodoxie.
Il est également préférable d’éviter l’expression « chrétiens d’Orient », car elle est fortement marquée par le colonialisme français et remonte à l’époque où Saint-Louis et la royauté française ont protégé ces communautés. Aujourd’hui, les chrétiens du Proche-Orient ne se qualifient jamais eux-mêmes de « chrétiens d’Orient ».
Diversité et Divisions historiques
Les Christianismes orientaux se distinguent par une richesse extrême et des formes variées qui correspondent à des langues, des cultures et des liturgies différentes. Leurs ramifications sont nombreuses et remontent au 5e siècle.
Les divisions ecclésiales se sont faites progressivement à partir des grands conciles œcuméniques :

  1. Concile de Nicée (325) : Réuni par l’empereur Constantin, ce concile est accepté par la majorité des Églises actuelles, y compris l’Église latine. Il a notamment établi le dogme de la Trinité (Dieu est Père, Fils et Esprit).
  2. Concile d’Éphèse (431) : La première grande séparation institutionnelle est celle de l’Église de l’Est, située dans l’Empire perse (sous domination Sassanide, 3e au 7e siècle). Cette Église n’a pas reconnu les conciles suivants, y compris celui d’Éphèse. Aujourd’hui, elle existe toujours mais est divisée en plusieurs églises, dont l’Église assyrienne de l’Orient et l’Église chaldéenne (cette dernière s’étant rattachée à Rome).
  3. Concile de Chalcédoine (451) : Les églises appelées orthodoxes orientales (ou parfois non-chalcédoniennes) ont refusé de reconnaître ce concile. Ces églises sont l’Église copte orthodoxe, l’Église éthiopienne orthodoxe, l’Église arménienne orthodoxe et l’Église syriaque orthodoxe.
    Ces divisions étaient liées à des disputes théologiques portant sur la manière dont les natures humaine et divine du Christ sont associées (bien que toutes les églises s’accordent sur le fait que le Christ est pleinement Dieu et pleinement homme). Les séparations se sont cristallisées véritablement en tant qu’institutions à partir du 7e siècle, notamment à la période islamique, lorsque ces provinces ont pris leur autonomie par rapport à l’Église grecque-orthodoxe.
    Groupes d’Églises
  • Églises non-chalcédoniennes (Orthodoxes Orientales) : Elles se définissent elles-mêmes comme orthodoxes, considérant que l’Église grecque orthodoxe et l’Église latine se sont éloignées de l’orthodoxie ancienne.
  • Églises chalcédoniennes (Tradition Byzantine) : Celles qui acceptent Chalcédoine incluent l’Église catholique romaine, l’Église maronite au Liban, et les Églises orthodoxes orientales de tradition byzantine (Église grecque-orthodoxe, l’Église orthodoxe russe, l’Église orthodoxe géorgienne).
  • Églises Unies (rattachées à Rome) : Plusieurs parties de ces églises se sont rattachées à Rome au cours de leur histoire, reconnaissant l’autorité du pape tout en conservant souvent leurs propres patriarches. On trouve ainsi l’Église copte catholique, l’Église arménienne catholique et l’Église melkite (branche rattachée à Rome de l’Église grecque-orthodoxe).
    La Tradition Syriaque : un exemple majeur
    La tradition syriaque est une forme particulière de Christianisme oriental dont la langue, le syriaque, est une forme d’araméen parlée et écrite dans l’ancien royaume d’Osroène, notamment à Édesse (aujourd’hui Şanlıurfa, en Turquie du Sud-Est).
    Édesse est considérée comme l’un des premiers royaumes (avec l’Arménie) à se convertir au christianisme. Le syriaque a survécu et est devenu une langue de culture pour les chrétiens du Proche-Orient, à l’instar du latin et du grec, même après que la région soit passée sous domination romaine.
    Littérature et Langue
  • Traductions bibliques : La Bible a été traduite de nombreuses fois en syriaque (quatre versions de l’Ancien Testament et cinq du Nouveau Testament). La traduction de l’Ancien Testament, appelée la Peshitta, a été réalisée directement de l’hébreu dès le 2e siècle, probablement par des milieux juifs d’Édesse, et remonte à une version hébraïque plus ancienne que celle connue aujourd’hui par la tradition massorétique. Pour le Nouveau Testament, la version appelée le Diatessaron (une combinaison des quatre évangiles en un seul) date également du 2e siècle.
  • Poésie et Théologie : La langue syriaque est devenue une langue liturgique et de littérature. La théologie syriaque s’est souvent exprimée sous forme de poème, comme les homélies métriques (memre) de douze pieds (vers de Jacques de Saroug). Ces traditions reprennent des genres littéraires très anciens, comme les poèmes dialogués, que l’on retrouvait déjà dans les tablettes de l’époque assyrienne.
    Une Approche « Genrée »
    La littérature syriaque ancienne est remarquable pour son approche genrée de la théologie, qui se manifeste dans l’attribution au Christ ou au Saint-Esprit d’activités habituellement féminines, ce qui n’est pas le cas dans les christianismes latin et grec.
  • Le Saint-Esprit (Rouḥa est féminin grammaticalement en syriaque) est présenté comme ayant une activité féminine (par exemple, une colombe couvant des œufs).
  • Le Christ est présenté dans une image d’allaitement, par exemple en suçant le lait de Marie ou tirant le lait des seins du Père, soulignant que, même en tant que divinité, il a des activités pouvant être qualifiées de féminines.
    Expansion Géographique
    Le christianisme syriaque s’est répandu massivement, peut-être parce qu’il n’était pas porté par un État. Son expansion a suivi les routes commerciales (routes de la soie, routes maritimes) vers l’Est et le Sud.
  • Asie Centrale et Chine : Des missionnaires syriaques sont arrivés jusqu’à la Chine et au Tibet. Au 17e siècle, on a redécouvert la Stèle de Xi’an, inscrite en chinois et en syriaque, qui raconte l’arrivée des premiers missionnaires au 7e siècle et l’autorisation impériale de construire des monastères. Cette stèle mentionne un papa du Sinistan (région du Tibet actuel), indiquant la présence d’au moins un évêque local. Des manuscrits découverts à Dunhuang montrent comment les textes liturgiques syriaques ont été traduits en chinois.
  • Inde : En Inde du Sud-Ouest, dans l’état du Kérala, il existe encore aujourd’hui sept églises différentes de tradition syriaque. Ces communautés sont aujourd’hui parmi les plus nombreuses au monde de tradition syriaque. La tradition attribue leur christianisation à l’apôtre Thomas.
    Interactions Culturelles et Religieuses
    Les chrétiens orientaux étaient en contact étroit avec d’autres cultures et religions de la région.
  • Judaïsme : Il y avait une forte proximité entre le christianisme syriaque et le judaïsme. L’hébreu et l’araméen (syriaque) sont des langues sémitiques, favorisant la connaissance mutuelle. Des communautés juives nombreuses se trouvaient en Mésopotamie du Nord (Adiabène) et dans l’Empire perse (communautés juives babyloniennes). Cependant, la littérature syriaque comporte aussi un antijudaïsme virulent, traditionnel dans la littérature chrétienne, qui véhicule une idée de remplacement de la Synagogue par l’Église.
  • Zoroastrisme : Les chrétiens vivant dans l’Empire perse, sous la dynastie sassanide, connaissaient le zoroastrisme. Des textes de controverse et des Actes des Martyrs persans (chrétiens persécutés) témoignent de cette connaissance. L’École des Perses à Édesse permettait aux chrétiens persans d’apprendre la théologie et la philosophie, assurant une circulation culturelle entre les deux empires.
  • Islam et Culture Arabe : L’arabisation des églises orientales a été progressive à partir du 7e siècle, l’arabe devenant la langue dominante de l’administration et de la culture, ainsi que partiellement de la liturgie. Avant et après l’Islam, il existait des chrétiens arabes, y compris des prêtres, moines et évêques arabes, qui participaient à la vie de l’Église dans les Empires romain et perse. L’arrivée de l’Islam ne provoqua pas de changement immédiat pour les chrétiens, qui sont restés majoritaires pendant au moins deux siècles, et les conversions n’étaient souvent pas forcées. Des traditions chrétiennes anciennes, issues de textes apocryphes (comme l’épisode du palmier s’inclinant lors de la Fuite en Égypte), ont même circulé et se sont retrouvées dans le Coran (dans la sourate Mariam).

Tradition Syriaque.

Vous souhaitez une discussion approfondie de la Tradition Syriaque.
La tradition syriaque est une composante essentielle des Christianismes orientaux, qui se distingue par sa langue, sa littérature, son expansion géographique et sa riche tradition théologique.

  1. Origines et Centre Géographique
    La tradition syriaque est centrée autour de la ville d’Édesse (aujourd’hui Şanlıurfa, dans le sud-est de la Turquie).
  • Langue : Le syriaque est une forme d’araméen, spécifiquement l’araméen parlé et écrit dans l’ancien royaume d’Osroène, où se situait Édesse. L’araméen n’existe pas au singulier ; il existait différentes formes, comme l’araméen de Palmyre, des Nabatéens, ou de Hatra, mais l’araméen d’Édesse (le syriaque) est la forme qui a survécu et est devenue une langue de culture.
  • Édesse (Urfa/Şanlıurfa) : Édesse, dont le nom araméen est Urha, aurait été refondée par Alexandre le Grand au 3e siècle avant notre ère (sous le nom grec d’Edessa). Selon la tradition, le royaume d’Osroène est l’un des premiers, avec l’Arménie, à s’être converti au christianisme. La mémoire religieuse chrétienne puis musulmane y est très forte, la ville étant par exemple associée au passage d’Abraham.
  • Survie du Syriaque : Contrairement à d’autres formes d’araméen (comme le palmirénien ou le ratréen) qui ont disparu après que leurs royaumes respectifs sont passés sous domination romaine, le syriaque a survécu. Il est devenu la langue liturgique et la langue de culture des chrétiens du Proche-Orient, au même titre que le latin et le grec.
  1. Littérature, Bible et Poésie
    La tradition syriaque est particulièrement riche en littérature, la théologie s’y exprimant souvent sous forme de poèmes.
    Traductions Bibliques
    Le nombre important de traductions de la Bible en syriaque témoigne de l’importance de cette langue.
  • Ancien Testament : On compte quatre traductions de l’Ancien Testament en syriaque. La plus importante est la Peshitta, traduite directement de l’hébreu en syriaque dès le 2e siècle de notre ère, probablement par des communautés juives d’Édesse. Cette version syriaque est cruciale, car elle permet de remonter à un état de la version hébraïque plus ancienne que celle connue par la tradition massorétique actuelle. Des versions ultérieures ont été retraduites à partir du grec (versions philoxénienne au 6e siècle et syro-hexaulaire vers l’an 700).
  • Nouveau Testament : On dénombre cinq traductions du Nouveau Testament. Dès le 2e siècle, le Diatessaron, une combinaison des quatre évangiles en un seul, est traduit en syriaque. Au 4e siècle, la Peshitta complète du Nouveau Testament est réalisée à partir du grec.
    Littérature Chrétienne
    Ces traductions ont servi de point de départ à une littérature chrétienne syriaque comprenant des compositions originales et des traductions du grec.
  • Auteurs anciens : Des écrits datent du 2e siècle, comme le traité philosophique de Bardesane d’Édesse, qui montre une grande culture et a été largement lu dans le christianisme ancien.
  • Théologie en poésie : La théologie syriaque s’est exprimée sous forme de poème. Les homélies prononcées lors des fêtes ou des dimanches étaient souvent des homélies métriques, appelées memre. Le « vers de Jacques de Saroug » est un type d’alexandrin (vers de 12 pieds) utilisé dans ces homélies versifiées.
  • Exemple théologique : Éphrem de Nisibe, un très grand poète syriaque, a composé des Hymnes sur la Nativité. Ces poèmes offrent une lecture théologique profonde et illustrent l’approche genrée de cette tradition, par exemple, en décrivant le Christ suçant le lait de Marie ou tirant le lait des seins du Père.
  1. Expansion et Influences Culturelles
    Le christianisme syriaque s’est massivement répandu le long des routes commerciales, peut-être parce qu’il n’était pas porté par un État.
    Expansion vers l’Est (Routes de la Soie)
    Après la christianisation de la Mésopotamie du Nord, l’expansion vers l’Est a suivi les routes terrestres et maritimes.
  • Chine et Tibet : Les missionnaires syriaques ont atteint la Chine et le Tibet. La découverte de la Stèle de Xi’an au 17e siècle, inscrite en chinois et en syriaque, atteste de l’arrivée de missionnaires au 7e siècle et de l’autorisation impériale de construire des monastères. Cette stèle mentionne un papa du Sinistan (région du Tibet actuel), suggérant la présence d’au moins un évêque local. Des manuscrits découverts à Dunhuang montrent comment les textes liturgiques syriaques ont été traduits en chinois.
  • Mongolie et Asie Centrale : Des tombes et cimetières avec des inscriptions en syriaque ont été retrouvés en Asie centrale et en Mongolie. Les inscriptions syriaques de ces cimetières ont même permis de prouver que la grande peste du Moyen Âge était partie de ces régions.
    Inde
    Le christianisme syriaque s’est également répandu vers l’Inde, par une autre route.
  • Kerala : Dans l’État du Kerala (Inde du Sud-Ouest), il existe aujourd’hui sept églises différentes de tradition syriaque. Ces communautés sont actuellement parmi les plus nombreuses de tradition syriaque au monde. La tradition locale attribue leur christianisation à l’apôtre Thomas.
    Rois Mages et Apocryphes
    Dans la tradition syriaque, les Rois Mages ne sont pas trois, mais douze, et sont considérés comme une préfiguration des apôtres. Ils sont vus comme les premiers à avoir annoncé la bonne nouvelle en Orient, christianisant ainsi l’Empire part avant même les autres régions.
    Les traditions apocryphes (textes chrétiens ne faisant pas partie du Nouveau Testament) ont eu une grande influence dans la région, s’étendant même jusqu’au Coran. L’épisode du palmier s’inclinant lors de la Fuite en Égypte, qui vient de textes apocryphes très anciens, se retrouve dans la Sourate Mariam.
  1. Relations avec les autres cultures
    Les chrétiens syriaques, notamment ceux de l’Église de l’Est qui se trouvait dans l’Empire perse Sassanide, ont eu des contacts importants avec les communautés juives, les zoroastriens et le monde arabe.
  • Judaïsme : Il y avait une grande proximité entre le christianisme syriaque et le judaïsme, favorisée par l’utilisation de langues sémitiques (hébreu, araméen, arabe). Des communautés juives nombreuses se trouvaient en Mésopotamie du Nord (comme en Adiabène, convertie au judaïsme avant la période chrétienne) et dans l’Empire perse (communautés juives babyloniennes). La traduction de la Peshitta directement de l’hébreu en est un exemple. Cependant, la littérature syriaque contient également un antijudaïsme virulent, qui véhicule l’idée de remplacement (l’Église ayant récupéré l’élection divine perdue par la Synagogue).
  • Zoroastrisme : Les chrétiens vivant dans l’Empire perse connaissaient le zoroastrisme. L’existence d’une École des Perses à Édesse permettait aux chrétiens persans d’étudier la théologie et la philosophie, facilitant la circulation des connaissances entre les deux empires. De nombreux Actes des Martyrs persans (chrétiens persécutés par les souverains perses, aux côtés d’autres groupes comme les Juifs et les Manichéens) témoignent de cette connaissance et des controverses avec le zoroastrisme.
  • Arabisation et Islam : Le christianisme syriaque s’est arabisé progressivement à partir du 7e siècle, l’arabe devenant la langue dominante de l’administration et de la culture. Il existait des chrétiens arabes (prêtres, moines, évêques) avant et après l’arrivée de l’Islam, qui participaient à la vie de l’Église dans les empires romain et perse. Pendant plusieurs siècles après l’arrivée de l’Islam, la situation des chrétiens ne changea pas drastiquement et ils sont restés majoritaires pendant au moins deux siècles, les conversions n’étant pas souvent forcées.
  1. L’Approche Genrée (Genre)
    La littérature syriaque ancienne présente une approche genrée de la théologie, différente des traditions latines et grecques.
  • Le Saint-Esprit : Le terme syriaque pour le Saint-Esprit, Rouḥa, est grammaticalement féminin. Le Saint-Esprit est ainsi présenté comme ayant une activité féminine, par exemple, celle d’une colombe couvant des œufs.
  • Le Christ : Le Christ est décrit dans des images d’allaitement, une activité habituellement attribuée aux femmes, comme sucer le lait de Marie ou tirer le lait des seins du Père. Ces images montrent que le Christ, même en tant que divinité, exerce des activités qui pourraient être qualifiées de féminines. Les textes syriaques vont jusqu’à dire que la Vierge Marie a engendré « comme un homme par sa volonté, parce qu’elle l’a voulu ». parce qu’elle l’a voulu ».

Divisions Églises.

La discussion sur les Divisions des Églises orientales est essentielle pour comprendre la complexité et la richesse des Christianismes orientaux au pluriel, puisque parler de « christianisme oriental » au singulier n’a pas de sens étant donné l’extrême diversité des formes chrétiennes en Orient. Ces ramifications sont nombreuses et remontent au 5e siècle.
Les divisions ecclésiales se sont faites progressivement à partir des grands conciles œcuméniques, des réunions universelles considérées comme obligatoires pour les évêques et réfléchissant sur des sujets dogmatiques.
Les Principales Étapes des Divisions
L’histoire des séparations est marquée par le rejet progressif des décisions conciliaires par différentes communautés, souvent pour des raisons dogmatiques, de vocabulaire ou de géoeclésiologie.

  1. Le Concile de Nicée (325)
    Le Concile de Nicée, réuni par l’Empereur Constantin, est le premier de ces grands conciles.
  • Il a établi le dogme de la Trinité (Dieu est Père, Fils et Esprit).
  • La majorité des Églises que nous connaissons aujourd’hui, y compris l’Église latine, acceptent ce concile.
  1. L’Église de l’Est et le Concile d’Éphèse (431)
    La première grande séparation institutionnelle est celle de l’Église de l’Est (ou Église de Perse).
  • Cette Église, située dans l’Empire perse (sous la dynastie sassanide, entre le 3e et le 7e siècle), n’était pas dans l’Empire romain.
  • Elle se sépare après Nicée parce qu’elle ne reconnaît pas le concile suivant, celui d’Éphèse, qui a lieu en 431.
  • L’Église de l’Est, séparée pour des raisons géographiques et dogmatiques, existe toujours mais est aujourd’hui divisée en plusieurs églises, notamment l’Église assyrienne de l’Orient et l’Église chaldéenne.
  1. Les Églises Orthodoxes Orientales et le Concile de Chalcédoine (451)
    Une autre série de séparations est survenue suite au Concile de Chalcédoine qui a eu lieu en 451.
  • Les églises qui refusent de reconnaître Chalcédoine sont appelées les orthodoxes orientales (ou parfois non-chalcédoniennes).
  • Ce groupe comprend l’Église copte orthodoxe, l’Église éthiopienne orthodoxe, l’Église arménienne orthodoxe et l’Église syriaque orthodoxe.
  • Les séparations dogmatiques tournent autour de la question de la nature du Christ (pleinement Dieu et pleinement homme) et de la manière dont ces deux natures s’associent, souvent pour des raisons de vocabulaire ou de traduction.
    La Cristallisation Institutionnelle des Séparations
    Les divisions dogmatiques et les doubles hiérarchies (des évêques pro-Chalcédoine et anti-Chalcédoine) qui apparaissaient dès le 5e siècle se sont cristallisées véritablement en tant qu’institutions à partir du 7e siècle.
  • Cette cristallisation coïncide avec la période islamique, lorsque les provinces de l’Empire romain passent sous domination de l’Islam. Ces églises prennent alors leur autonomie par rapport à l’Église grecque-orthodoxe, devenant des institutions à part entière avec leurs propres patriarches.
  • À titre d’exemple, en Syrie ancienne, la majorité de la population, ou du moins la majorité des évêques, était anticalcédonienne.
    Le Vocabulaire de l’Orthodoxie
    La terminologie est complexe car ces églises séparées du tronc impérial romain/byzantin se définissent elles-mêmes comme orthodoxes.
  • Elles considèrent que l’Église grecque orthodoxe et l’Église latine se sont éloignées de l’orthodoxie ancienne, et qu’elles sont les seules à l’avoir conservée.
  • La position occidentale a tendance à réserver le terme « orthodoxe » uniquement à l’Église grecque et aux églises slaves orthodoxes.
    Les Groupes d’Églises après les Conciles
    La diversité des Christianismes orientaux se manifeste dans l’existence de plusieurs grands groupes :
    Groupe d’Églises
    Concile Accepté (ou refusé)
    Exemples (Non exhaustif)
    Églises de l’Est
    Acceptent Nicée (325). Refusent Éphèse (431).
    Église Assyrienne de l’Orient ; Église Chaldéenne (unie à Rome).
    Orthodoxes Orientales
    Refusent Chalcédoine (451).
    Église Copte Orthodoxe, Église Éthiopienne Orthodoxe, Église Arménienne Orthodoxe, Église Syriaque Orthodoxe.
    Églises de Tradition Byzantine
    Acceptent Chalcédoine (451).
    Église Grecque Orthodoxe, Église Orthodoxe Russe, Église Orthodoxe Géorgienne.
    Églises Catholiques
    Acceptent Chalcédoine (451).
    Église Catholique Romaine.
    Rapprochements et Églises Unies (Rattachées à Rome)
    Un phénomène important est le rattachement à Rome de certaines parties de ces églises, formant les Églises Unies (ou Églises catholiques orientales).
  • Ces communautés ont reconnu l’autorité du pape mais ont souvent conservé leurs propres patriarches et leurs propres traditions liturgiques.
  • On trouve, par exemple : l’Église chaldéenne, l’Église copte catholique, l’Église arménienne catholique, et l’Église melkite (une branche de l’Église grecque-orthodoxe rattachée à Rome).
  • Il existe également d’autres divisions, comme l’apparition d’une église copte évangélique et une église arménienne évangélique.
    La Richesse des Liturgies
    Les divisions se manifestent également dans les pratiques liturgiques.
  • Chacune de ces églises possède sa propre tradition liturgique.
  • Lorsque certaines se sont rattachées à Rome, leur liturgie a été partiellement latinisée dans sa forme, mais pas nécessairement dans sa langue.
  • La richesse liturgique est immense ; par exemple, dans les périodes anciennes de la tradition syriaque, il existait 70 formes différentes de la messe.
    Importance du Dialogue
    Malgré l’ancienneté et la complexité de ces divisions (qui se sont produites bien avant les schismes entre l’Église latine et l’Église grecque orthodoxe), les différences dogmatiques ne sont pas considérées comme si importantes aujourd’hui. Il existe de nombreux dialogues entre ces églises.

Syriac comme Langue.

Absolument. La discussion sur la langue syriaque est fondamentale pour comprendre la Tradition Syriaque, qui est une des formes desAbsolument. La discussion sur la langue syriaque est fondamentale pour comprendre la Tradition Syriaque, qui est une des formes des Christianismes orientaux.

  1. Le Syriaque comme forme d’Araméen
    Le Syriaque (ou syriaque) est une forme d’araméen. Il s’agit spécifiquement de l’araméen parlé et écrit dans l’ancien royaume d’Osroène, dont la capitale était Édesse (appelée Urha en araméen, ou Şanlıurfa en turc aujourd’hui).
  • Diversité de l’Araméen : L’araméen au singulier « n’existe pas ». Il existait à l’époque du début du christianisme plusieurs formes d’araméen dans la région, qui étaient des langues cousines mais non identiques, chacune ayant son écriture. On peut citer l’araméen d’Édesse (le syriaque), l’araméen de Palmyre, l’araméen des Nabatéens et l’araméen de la ville de Hatra (le ratréen).
  • Araméen Moyen : Le syriaque est considéré comme une forme d’araméen moyen.
  1. Le Syriaque, Langue de Culture et de Liturgie
    Contrairement à d’autres formes d’araméen comme le palmirénien ou le ratréen, qui ont entièrement disparu lorsque leurs royaumes respectifs sont passés sous domination romaine, le syriaque a survécu.
  • Changement politique : Après qu’Édesse fut devenue une province de l’Empire romain, il n’y a plus eu de pouvoir politique utilisant le syriaque comme langue officielle.
  • Survie par l’Église : La raison de sa survie et de son importance est qu’il est devenu la langue liturgique mais également la langue de culture des chrétiens du Proche-Orient, au même titre que le latin et le grec.
  1. Les Traductions Bibliques en Syriaque
    La présence de nombreuses traductions de la Bible atteste de l’importance du syriaque.
  • Multiples versions : On compte quatre traductions de l’Ancien Testament et cinq traductions du Nouveau Testament en syriaque.
  • L’Ancien Testament :
    ◦ La plus célèbre est la Peshitta (ou apshita), traduite directement de l’hébreu en syriaque dès le IIe siècle.
    ◦ Cette traduction fut probablement réalisée dans des milieux juifs d’Édesse qui connaissaient l’hébreu.
    ◦ La version syriaque de la Peshitta est précieuse car elle permet de remonter à une version hébraïque plus ancienne que celle connue aujourd’hui par la tradition massorétique.
    ◦ Des retraductions ont été faites plus tard à partir du grec (la version philoxénienne au VIe siècle et la syro-hexaulaire, révisée par Jacques d’Édesse vers l’an 700).
  • Le Nouveau Testament :
    ◦ Dès le IIe siècle, une traduction des quatre Évangiles en syriaque existait, appelée le Diatessaron (une combinaison des quatre en un seul).
    ◦ La traduction complète de la Peshitta pour le Nouveau Testament, faite à partir du grec, date d’environ l’an 400.
  1. Le Syriaque comme Langue Littéraire et Théologique
    Le syriaque est devenu une langue dans laquelle a été composée une riche littérature chrétienne.
  • Littérature ancienne : Des écrits datent du IIe siècle, comme un traité philosophique de Bardesane d’Édesse, un aristocrate formé à la philosophie grecque, qui montre une grande culture et fut rédigé en syriaque.
  • Théologie en Poésie : La théologie s’est exprimée en syriaque sous la forme de poème.
    ◦ Les homélies données lors des fêtes ou des dimanches étaient des homélies métriques (memre) en alexandrin.
    ◦ Le « vers de Jacques de Saroug » est un vers de 12 pieds, proche de la diction naturelle, utilisé dans ces homélies versifiées.
    ◦ Cette tradition syriaque a repris des genres littéraires mésopotamiens très anciens, tels que les poèmes dialogués (où deux personnages, comme l’Église et la Synagogue, ou Satan et la Mort, disputent).
  • Exemples d’auteurs : Le grand poète syriaque Éphrem de Nisibe a composé, par exemple, les Hymnes sur la Nativité.
  1. Caractéristique Unique : L’Approche Genrée
    La littérature syriaque ancienne est remarquable pour son approche genrée de la théologie, qui n’est pas aussi fréquente dans les christianismes latin et grec.
  • Le Saint-Esprit : Le terme syriaque pour le Saint-Esprit (Rouḥa) est grammaticalement féminin (ce qui n’est pas le cas en grec). Le Saint-Esprit est donc présenté avec une activité féminine, par exemple, comme une colombe couvant des œufs.
  • Le Christ : Le Christ est souvent présenté dans des images d’allaitement. Des textes syriaques décrivent le Christ « suçant le lait de Marie » ou « tirant le lait des seins du Père », illustrant que la divinité exerce des activités traditionnellement attribuées aux femmes.
  1. Le Syriaque et les Routes Commerciales
    Bien que le syriaque n’ait pas été porté par un État puissant, il s’est répandu massivement comme langue liturgique le long des routes commerciales (routes de la soie, routes maritimes) vers l’Est et le Sud.
  • Expansion : Des missionnaires syriaques ont atteint l’Asie centrale, le Tibet et la Chine. La Stèle de Xi’an (VIIe siècle), inscrite en chinois et en syriaque, témoigne de cette présence et des efforts pour traduire les textes liturgiques syriaques en chinois.
  • Traductions Culturelles : Des manuscrits trouvés à Dunhuang montrent comment les textes syriaques ont été adaptés, cherchant à rendre la notion de la Trinité dans un langage compréhensible pour les Chinois.
  • Inde : En Inde du Sud-Ouest, dans l’État du Kerala, il existe aujourd’hui sept églises différentes de tradition syriaque.
  1. Relation avec l’Arabe et le Judaïsme
    Le syriaque a maintenu des liens étroits avec d’autres langues sémitiques, notamment l’hébreu et l’arabe.
  • Arabisation : Après le VIIe siècle et la domination de l’Islam, les églises orientales (y compris celles de tradition syriaque) se sont progressivement arabisées, l’arabe devenant la langue dominante de l’administration et de la culture, et utilisée partiellement dans la liturgie.
  • Judaïsme : Le christianisme syriaque est très proche du judaïsme, favorisé par le fait que l’hébreu et l’araméen sont des langues sémitiques. La traduction de la Peshitta directement de l’hébreu au IIe siècle en est la preuve. Par exemple, Éphrem de Nisibe avait une grande connaissance des traditions juives non rabbiniques de son époque. Des traditions anciennes, comme la médecine babylonienne, se retrouvent à la fois dans les textes de médecine syriaque et dans le Talmud babylonien. Cependant, comme dans toute la littérature chrétienne, on trouve aussi un antijudaïsme virulent dans les textes syriaques, prônant l’idée du remplacement de la Synagogue par l’Église.

Culture Mésopotamienne.

La Culture Mésopotamienne est intimement liée à la Tradition Syriaque, l’une des formes majeures des Christianismes orientaux, notamment en raison de l’implantation géographique et de l’héritage littéraire et culturel des chrétiens syriaques.

  1. Implantation Géographique
    La tradition syriaque s’étend géographiquement sur une zone correspondant à la Mésopotamie historique.
  • Le syriaque se trouve dans des régions qui couvrent la Mésopotamie du Nord et la Mésopotamie du Sud.
  • L’Irak actuel fait partie des zones où se trouvent les églises syriaques et les chrétiens de cette tradition.
  1. Héritage Littéraire Mésopotamien Ancien
    Les chrétiens de tradition syriaque ont repris des traditions mésopotamiennes très anciennes. Cela est particulièrement visible dans les formes littéraires employées pour la théologie :
  • Le Poème Dialogué : Un genre de poème dialogué, que l’on retrouvait dans les tablettes de l’époque assyrienne, a été intégré à la tradition syriaque.
  • Ces poèmes mettent en scène des personnages ou des personnifications (par exemple, un arbre et une chèvre) qui dialoguent entre eux.
  • Dans la littérature syriaque, on trouve ainsi des poèmes dialogués où des figures comme la Vierge dispute avec Joseph ou avec les anges, où l’Église et la Synagogue (personnifiées) disputent entre elles, ou encore où Satan et la Mort débattent pour savoir lequel des deux l’emportera. C’est une tradition mésopotamienne très ancienne, que l’on retrouve également dans l’Empire perse.
  1. Connaissances Transmises
    La Mésopotamie a servi de pont de transmission de connaissances et de traditions entre les cultures présentes dans la région :
  • Médecine Babylonienne : Des recherches mettent en évidence la transmission progressive de traditions mésopotamiennes très anciennes à travers, par exemple, la médecine babylonienne.
  • Ces éléments de médecine babylonienne se retrouvent à la fois dans les textes de médecine syriaque et dans le Talmud babylonien.
  1. Relations avec le Judaïsme Mésopotamien
    La Mésopotamie était une région où les Juifs étaient nombreux, favorisant une proximité culturelle avec les chrétiens syriaques, dont la langue (syriaque, une forme d’araméen) et l’hébreu sont des langues sémitiques.
  • Communautés Juives : Il y avait de nombreuses communautés juives dans l’Empire perse (les communautés juives babyloniennes) ainsi qu’en Mésopotamie du Nord.
  • Le royaume d’Adiabène, qui se trouvait non loin du royaume d’Osroène (où se situe Édesse), s’était converti au judaïsme avant la période chrétienne, et l’on y trouvait de nombreuses communautés juives avec des académies ou des écoles.
  • La connaissance du judaïsme par les auteurs syriaques était très grande ; par exemple, Éphrem de Nisibe connaissait les traditions juives non rabbiniques de son époque.
  • La traduction de l’Ancien Testament en syriaque (la Peshitta) a été réalisée directement de l’hébreu dès le IIe siècle, probablement par des milieux juifs d’Édesse.

Pluralité et Trajectoires des Christianismes Orientaux : Une Analyse des Divisions et de la Tradition Syriaque

  1. Introduction : Déconstruire les Singularités pour Saisir la Complexité
    Pour appréhender le christianisme dans ses expressions orientales, il est impératif de dépasser les visions simplistes et les cadres terminologiques hérités de l’histoire. Comme le souligne l’historienne Muriel Debié, parler du « christianisme oriental » au singulier est une simplification aussi réductrice que de parler du « christianisme occidental » pour englober indistinctement le catholicisme, les protestantismes et l’orthodoxie. Cette approche moniste écrase une diversité historique, culturelle et dogmatique d’une immense richesse, qui ne peut être saisie qu’à travers le pluriel : les christianismes orientaux.
    De même, l’expression courante « chrétiens d’Orient » est problématique. Fortement marquée par l’histoire du colonialisme français et la politique de protection initiée dès le règne de Saint-Louis, elle véhicule une mémoire complexe. Les communautés concernées ne se désignent jamais elles-mêmes par ce terme, qui leur impose une identité définie de l’extérieur, tout comme nous ne nous qualifions pas de « chrétiens d’Occident ». Il convient donc d’adopter un vocabulaire plus respectueux de l’autodéfinition et de la complexité historique de ces Églises.
    Cet essai se propose d’explorer cette pluralité en deux temps. Dans un premier temps, nous analyserons les grandes divisions dogmatiques et institutionnelles qui ont fragmenté le paysage chrétien à partir des conciles œcuméniques de l’Antiquité tardive, dessinant ainsi la cartographie des principales familles d’Églises. Dans un second temps, nous nous concentrerons sur une étude de cas approfondie : la tradition syriaque. À travers elle, nous illustrerons comment une langue et une culture spécifiques ont pu devenir le véhicule d’une vitalité théologique et d’une expansion missionnaire remarquables, souvent ignorées des récits eurocentrés de l’histoire du christianisme. Cette exploration nous mènera des origines du christianisme aux confins de la Chine et de l’Inde, révélant la fécondité d’une tradition dépourvue de soutien étatique. En commençant par les fractures fondatrices, nous pourrons mieux comprendre les trajectoires uniques de ces christianismes.
  2. Les Grandes Fractures Conciliaires et la Ramification des Églises
    Les conciles œcuméniques de l’Antiquité tardive, convoqués pour définir les dogmes fondamentaux de la foi chrétienne, ont paradoxalement agi comme de puissants catalyseurs de divisions. Les désaccords, bien que centrés sur des questions théologiques complexes, reflétaient également des tensions culturelles, linguistiques, géopolitiques et « géoeclésiologiques » — c’est-à-dire des rivalités et des perspectives divergentes entre les grands patriarcats (Rome, Jérusalem, Antioche, etc.). Ces conciles ont ainsi donné naissance aux grandes familles d’Églises qui structurent encore aujourd’hui le paysage des christianismes orientaux.
    La première séparation : L’Église de l’Est et le Concile d’Éphèse
    La première grande ramification concerne l’Église de l’Est, dont le développement est indissociable de sa situation géopolitique. Située en grande partie hors des frontières de l’Empire romain, au sein de l’Empire perse sassanide, cette Église constitue une exception notable parmi les grandes Églises anciennes en ce qu’elle n’a pas accepté le Concile de Nicée (325). Sa séparation fut formalisée lorsqu’elle refusa également de reconnaître les conclusions du Concile d’Éphèse en 431. Cette autonomie par rapport à l’Église impériale romano-byzantine lui a permis de développer des traditions dogmatiques et institutionnelles propres. Sa postérité est aujourd’hui visible à travers sa division en deux branches principales : l’Église assyrienne de l’Orient et l’Église chaldéenne, cette dernière ayant reconnu l’autorité de Rome tout en conservant sa propre hiérarchie patriarcale.
    La fracture majeure : Le Concile de Chalcédoine (451) et les Églises Orthodoxes Orientales
    La division la plus profonde et la plus durable résulte du Concile de Chalcédoine en 451. Le cœur du débat portait sur la question de savoir, pour un Christ reconnu par tous comme « pleinement Dieu et pleinement homme », comment sont associées cette nature humaine et cette nature divine. Une part importante des chrétiens d’Orient a refusé la définition chalcédonienne, estimant qu’elle séparait trop radicalement les deux natures et s’éloignait de la foi originelle. Ces Églises forment aujourd’hui la communion des Églises orthodoxes orientales (à ne pas confondre avec les Églises orthodoxes de tradition byzantine).
    Parmi elles, on compte principalement :
  • L’Église Copte Orthodoxe (Égypte)
  • L’Église Éthiopienne Orthodoxe
  • L’Église Arménienne Orthodoxe
  • L’Église Syriaque Orthodoxe
    Il est crucial de noter le paradoxe terminologique : ces Églises se définissent elles-mêmes comme « orthodoxes », considérant que ce sont les Églises grecque (byzantine) et latine qui se sont éloignées de l’orthodoxie des premiers siècles. De notre point de vue occidental, le terme « orthodoxe » est souvent réservé aux Églises grecque et slave, ce qui témoigne d’une perspective qui n’est pas universelle.
    La cristallisation des institutions et le phénomène de l’uniatisme
    Alors que les désaccords théologiques apparaissent dès le Ve siècle, la séparation institutionnelle se cristallise véritablement à partir du VIIe siècle. La domination islamique sur les anciennes provinces orientales de l’Empire byzantin a, de manière paradoxale, permis à ces Églises non chalcédoniennes de consolider leur autonomie. Libérées de la tutelle de l’Église impériale, elles ont pu établir durablement leurs propres patriarcats et hiérarchies.
    Un autre phénomène récurrent dans l’histoire de ces Églises est celui de l’uniatisme, c’est-à-dire le « rattachement à Rome ». À différentes époques, des fractions de ces communautés (Coptes catholiques, Arméniens catholiques, Syriaques catholiques, etc.) ont reconnu l’autorité du pape. Ces nouvelles Églises, dites « catholiques orientales », ont généralement conservé leurs patriarches, leurs traditions liturgiques et leur droit canonique propres, créant ainsi un paysage ecclésial encore plus complexe.
    Après avoir dressé cette cartographie des grandes divisions, l’étude d’une tradition spécifique permet de dépasser le cadre dogmatique pour explorer la richesse culturelle et la dynamique historique qui animent ces christianismes. La tradition syriaque en offre un exemple particulièrement éclairant.
  1. La Tradition Syriaque : Un Cas d’Étude sur la Vitalité Culturelle et l’Expansion Missionnaire
    La tradition syriaque constitue un exemple paradigmatique de la richesse et de la complexité des christianismes orientaux. Son histoire démontre comment une langue et une culture, sans jamais être portées par un grand empire unifié, ont pu non seulement survivre, mais aussi devenir le véhicule d’une littérature florissante et d’une expansion missionnaire d’une ampleur souvent méconnue. Son étude permet de décentrer le regard et de saisir une dynamique du christianisme qui s’est jouée en grande partie indépendamment de Rome et de Constantinople.
    Origines et Survie d’une Langue-Culture
    Le syriaque est une forme d’araméen qui s’est développée dans le petit royaume d’Osroène, dont la capitale était Édesse (aujourd’hui Urfa, en Turquie). À l’époque des débuts du christianisme, de nombreux dialectes araméens étaient parlés dans la région, comme le palmyrénien ou le hatréen. Cependant, après que les royaumes de Palmyre et de Hatra furent absorbés par l’Empire romain, leurs langues écrites ont disparu, faute de pouvoir politique pour les soutenir.
    Le syriaque a connu un destin radicalement différent. Bien que le royaume d’Osroène soit lui aussi devenu une province romaine, le syriaque a non seulement survécu, mais il est devenu une grande langue de culture aux côtés du grec et du latin. La raison fondamentale de ce succès est son adoption comme langue liturgique et culturelle par les chrétiens du Proche-Orient. C’est l’Église, et non un État, qui a assuré sa pérennité et son rayonnement.
    Le Syriaque comme Pilier de la Littérature Chrétienne
    La vitalité de la culture syriaque s’est d’abord manifestée par un travail colossal de traduction de la Bible. Loin de se contenter d’une seule version, les savants syriaques en ont produit plusieurs, témoignant d’une activité intellectuelle intense.
  • Pour l’Ancien Testament, la version la plus ancienne et la plus importante est la Peshitta, traduite directement de l’hébreu dès le IIe siècle, probablement dans des milieux juifs d’Édesse. Sa grande valeur réside dans le fait qu’elle témoigne d’un état du texte hébreu antérieur au texte massorétique qui fait aujourd’hui autorité. D’autres traductions ont été réalisées plus tard à partir du grec.
  • Pour le Nouveau Testament, on compte également plusieurs versions successives, dont le Diatessaron (une harmonie des quatre Évangiles, IIe siècle), « la vieille syriaque » (IIIe siècle), la Peshitta (vers 400), puis les versions philoxénienne et harqléenne (VIe et VIIe siècles) cherchant à coller au plus près du texte grec.
    Ce travail de traduction a servi de socle à l’émergence d’une littérature originale foisonnante, avec des auteurs comme Bardesane d’Édesse qui, dès le IIe siècle, rédigeait des traités philosophiques en syriaque, témoignant d’une synthèse précoce entre la pensée grecque et la culture sémite locale.
    Une Expansion Globale Ignorée : Le Christianisme Syriaque en Asie
    L’un des chapitres les plus fascinants de cette tradition est son expansion vers l’Est. À partir du VIIe siècle notamment, des missionnaires de l’Église de l’Est, de langue et de culture syriaques, ont suivi les routes commerciales terrestres (routes de la soie) et maritimes pour porter le christianisme jusqu’au cœur de l’Asie. Cette histoire, largement absente de nos manuels, est attestée par de nombreuses preuves archéologiques et textuelles.
  • En Chine : La célèbre stèle de Xi’an, datée du VIIe siècle et découverte au XVIIe, est inscrite en chinois et en syriaque. Elle relate l’arrivée des missionnaires et l’autorisation que leur a donnée l’empereur de construire des monastères. Fait remarquable, le texte mentionne un « pape du sinistan » (la région du Tibet actuel), témoignant de la mise en place d’une hiérarchie locale, probablement un évêque ou un représentant patriarcal, pour administrer cette Église lointaine.
  • En Asie Centrale : Des manuscrits, des tombes ornées de motifs locaux comme la fleur de lotus mais inscrites en syriaque (en Mongolie), et de vastes cimetières chrétiens ont été découverts. Les inscriptions de l’un de ces cimetières ont même permis aux historiens de retracer l’origine de la grande peste médiévale dans cette région.
  • En Inde : La tradition locale, rattachée à la prédication de l’apôtre Thomas, a donné naissance à une forte présence chrétienne de tradition syriaque dans l’État du Kerala. On y dénombre aujourd’hui sept Églises différentes issues de cette tradition, et ces communautés figurent parmi les plus nombreuses du monde syriaque, dépassant en nombre celles restées au Proche-Orient.
    Cette expansion globale, réalisée sans l’appui d’un État, témoigne de la force intrinsèque de la tradition syriaque. Sa singularité ne réside cependant pas seulement dans son expansion géographique, mais aussi dans les formes d’expression théologique tout à fait uniques qu’elle a développées.
  1. Expressions Théologiques et Interactions Culturelles de la Tradition Syriaque
    Contrairement aux traditions grecque et latine, où le traité en prose constitue la forme dominante du discours théologique, la tradition syriaque a privilégié la poésie comme principal véhicule de son expression théologique et de sa catéchèse. Cette spécificité, héritée d’un riche substrat culturel, a donné naissance à un phénomène littéraire et spirituel unique, nourri de dialogues constants, bien que parfois conflictuels, avec les autres religions de son environnement.
    La Théologie par la Poésie
    Une des spécificités majeures de la pensée syriaque est son recours à la forme poétique pour exprimer la théologie. Les auteurs syriaques ont développé des genres littéraires poétiques pour leurs homélies et leurs controverses.
  • Les poèmes dialogués : Hérités des traditions littéraires de l’ancienne Mésopotamie, ces poèmes mettent en scène des personnages ou des allégories qui débattent. On trouve ainsi des dialogues entre l’Église et la Synagogue, entre la Vierge et l’ange, ou même entre Satan et la Mort.
  • Les homélies métriques (mêmrê) : Les sermons prononcés lors des fêtes liturgiques étaient composés en vers, le plus souvent en vers de 12 pieds, une métrique proche de la diction naturelle. Cette pratique faisait de chaque prêche une œuvre poétique et théologique.
    Une Imagination Théologique Distincte : La Question du Genre
    La littérature syriaque, notamment chez de grands poètes comme Éphrem de Nisibe (IVe siècle), développe une approche de la théologie qui mobilise des images « genrées » de manière surprenante et audacieuse. Cette sensibilité s’explique en partie par le fait que le mot pour « Esprit », Rûḥâ, est du genre féminin en syriaque.
  • Le Christ est présenté avec des attributs maternels, comme celui de l’allaitement. Dans une hymne sur la Nativité, Éphrem écrit : « Il suçait le lait de Marie, mais toutes les créatures sucent ses bienfaits. C’est lui le sein vivant ».
  • Le Saint-Esprit (Rûḥâ), étant féminin, est souvent dépeint comme une colombe qui couve ses œufs, une image de maternité et de protection.
  • La réflexion sur la conception virginale est également abordée sous un angle original. Face au paradoxe d’une conception par un Esprit féminin, certains textes syriaques expliquent que Marie « a engendré comme un homme par sa volonté », inversant les rôles de genre pour souligner la puissance de son consentement.
    Dialogues et Influences Interreligieux
    La tradition syriaque s’est développée au carrefour de plusieurs mondes religieux, avec lesquels elle a entretenu des relations complexes.
  • Avec le judaïsme : La proximité était immense. Partageant des langues sémitiques et vivant dans des régions à forte population juive (Mésopotamie), les auteurs syriaques montrent une connaissance approfondie de traditions juives non rabbiniques. Cette proximité n’excluait cependant pas un antijudaïsme virulent dans la littérature de controverse, reprenant le thème classique de la substitution de l’Église à la Synagogue.
  • Avec le monde arabe et l’islam : Des traditions chrétiennes apocryphes ont largement circulé dans le monde arabe préislamique. Ces récits ont laissé des traces visibles dans le Coran. L’exemple du palmier dans la sourate Maryam (Marie) est frappant : l’épisode où Marie, prise par les douleurs de l’enfantement, se repose sous un palmier qui s’incline pour la nourrir combine deux récits apocryphes chrétiens anciens. L’archéologie confirme ce lien : une église située entre Jérusalem et Bethléem, qui commémorait cet événement, fut transformée en mosquée au VIIIe siècle, et son pavement fut orné d’une mosaïque représentant un palmier.
  • Avec le zoroastrisme : Vivant au cœur de l’Empire perse, les chrétiens de tradition syriaque connaissaient bien la religion d’État. Cette interaction est visible à travers l’École des Perses à Édesse, où des chrétiens perses étudiaient, créant un pont intellectuel entre les deux empires. Les tensions sont également attestées, comme le rapporte Jacques de Saroug, lorsque des soldats perses occupant la ville d’Amida au VIe siècle transformèrent une église en temple du feu. Les nombreux Actes des martyrs persans témoignent également de ces interactions.
    Cette exploration de la tradition syriaque illustre à quel point les christianismes orientaux sont bien plus que de simples variantes dogmatiques. Ce sont des univers culturels à part entière, dont la richesse ne demande qu’à être redécouverte.
  1. Conclusion : La Nécessaire Approche Plurielle
    Au terme de cette analyse, l’argument initial se trouve renforcé : il est impossible de parler du « christianisme oriental » au singulier sans en trahir la nature profondément plurielle. Les grandes fractures issues des conciles de l’Antiquité tardive n’ont pas seulement créé des divisions dogmatiques ; elles ont donné naissance à des trajectoires historiques, culturelles et institutionnelles distinctes, chacune possédant une richesse propre. La complexité de cet arbre généalogique des Églises, avec ses multiples ramifications, nous invite à abandonner les schémas réducteurs.
    L’étude de cas de la tradition syriaque a permis d’illustrer de manière éclatante la vitalité d’une de ces branches. Dépourvue du soutien d’un grand empire, elle a su faire de sa langue le vecteur d’une culture littéraire et théologique d’une immense créativité. Plus encore, elle contredit une vision eurocentrée de l’histoire du christianisme en démontrant qu’une expansion missionnaire d’envergure a eu lieu vers l’Est, portant la foi chrétienne jusqu’en Chine et en Inde bien avant les missionnaires européens de l’époque moderne.
    Finalement, la richesse de ces traditions ne réside pas uniquement dans leurs divergences dogmatiques, mais dans leurs expressions culturelles, linguistiques et poétiques uniques. La théologie chantée des homélies métriques syriaques, l’imaginaire genré de ses poètes ou ses interactions fécondes avec le judaïsme et le monde perse témoignent d’une vitalité historique profonde. Comprendre les christianismes orientaux exige donc de prêter attention à ces voix singulières, qui continuent de raconter une autre histoire du christianisme, plus vaste et plus complexe que celle que nous connaissons habituellement.

Lien vidéo de la conférence : https://www.youtube.com/watch?v=qFn8_IbBjsc