Résumé de la conférence et article de CORDOBA.
Point de vue et analyse du professeur M. A. Amir-Moezi.
Point de vue et analyse du professeur M. A. Amir-Moezi sur les différentes tendances et mouvements au sein de l’islam et leur impact historique et contemporain. Conférence complète : Pourquoi divers courants religieux dans l’islam ?, présenté par Ali Amir Moïse, porte sur la diversité de l’Islam, en particulier la distinction historique et théologique entre le Sunnisme majoritaire et le Chiisme minoritaire. L’objectif principal de la conférence est d’éclairer les auditeurs sur les origines, les spécificités et les branches principales du Chiisme, qui représente entre 15 et 20% des musulmans. L’explication se concentre sur le rôle central de l’Imam dans la doctrine chiite, le percevant comme le guide spirituel et le maître de l’interprétation ésotérique des Écritures, contrastant avec la centralité du Prophète dans le Sunnisme. Un point essentiel abordé est le conflit continu entre l’approche herméneutique (interprétative) des textes sacrés, privilégiée par le Chiisme, et le littéralisme qui domine certains courants du Sunnisme, une tension qui demeure d’actualité dans les conflits contemporains.
Dossier d’Information : La Diversité dans l’Islam et les Spécificités du Chiisme
Résumé Exécutif
Ce document synthétise les points clés d’une conférence du professeur Ali Amir-Moezi sur la diversité au sein de l’islam, avec un focus particulier sur le chiisme. L’islam, loin d’être monolithique, est traversé par de multiples courants dont la principale division est celle entre le sunnisme (environ 80 %) et le chiisme (15-20 %). Cette scission remonte à la mort du prophète Mahomet en 632 et trouve son origine dans la question de sa succession. Alors qu’une majorité a choisi Abou Bakr par consensus, une minorité soutenait que le prophète avait désigné son gendre et cousin Ali comme unique successeur légitime.
Le chiisme se définit fondamentalement comme la « religion de l’Imam », une figure spirituelle centrale qui est non seulement le guide de la communauté mais aussi le dépositaire du sens caché (ésotérique) de la révélation divine. Cette doctrine, ou « imamologie », structure toute la pensée chiite et la distingue radicalement du sunnisme. La vision du monde chiite est double : elle est duele, opposant l’apparent (exotérique) au caché (ésotérique) dans toutes les réalités (Dieu, l’Imam, les Écritures) ; et elle est dualiste, décrivant l’histoire comme un combat cosmique entre les forces de la connaissance (menées par les Imams) et celles de l’ignorance (incarnées par les littéralistes du pouvoir).
Cette primauté accordée au sens caché fait du chiisme une religion fondamentalement herméneutique, c’est-à-dire axée sur l’interprétation des textes. Cette approche s’oppose historiquement et doctrinalement aux courants littéralistes, qui refusent l’interprétation et prônent une lecture au pied de la lettre des textes sacrés. Le professeur Moezi établit un lien direct entre ce littéralisme, dont le wahhabisme saoudien est la forme la plus radicale et la plus récente, et la violence de l’islamisme contemporain.
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1. Introduction : La Pluralité Intrinsèque de l’Islam
Contrairement à une perception courante, l’islam n’a jamais été une religion monolithique. Dès ses origines, il a été traversé par une multitude de courants théologiques, juridiques, philosophiques et mystiques. Cette diversité provient en grande partie des différentes interprétations des textes sacrés, à savoir le Coran et le Hadith (les traditions prophétiques).
La division la plus fondamentale et la plus connue au sein de l’islam est celle qui sépare :
• Le Sunnisme : Le courant majoritaire, se considérant comme « orthodoxe », qui rassemble environ 80 % des musulmans dans le monde.
• Le Chiisme : Le principal courant minoritaire, représentant entre 15 % et 20 % des musulmans, soit entre 200 et 250 millions de fidèles.
Il est important de noter que ni le sunnisme ni le chiisme ne sont eux-mêmes des blocs homogènes ; chacun est subdivisé en de nombreuses écoles et branches.
2. Le Chiisme : Démographie et Ramifications
Le chiisme, bien que minoritaire à l’échelle mondiale, constitue une part significative et parfois majoritaire de la population dans plusieurs pays.
• Pays à majorité chiite : L’Iran est le seul pays où le chiisme est religion d’État (depuis le XVIe siècle). Les chiites sont également majoritaires en Irak et en Azerbaïdjan.
• Populations significatives : On trouve d’importantes communautés chiites en Inde, au Pakistan et au Bangladesh (totalisant environ 80 millions de personnes, soit plus qu’en Iran), ainsi qu’en Syrie, en Afghanistan et en Asie centrale.
• Groupes apparentés : Certains groupes, comme les Bektachis en Turquie (10-15 millions) ou les Alaouites en Syrie et en Turquie, ne se déclarent pas toujours explicitement chiites mais leurs doctrines les rattachent clairement à ce courant.
Le chiisme lui-même se divise en trois grandes familles principales :
1. Les Zaydites : Principalement présents au Yémen, ils représentent entre 5 et 10 millions de personnes.
2. Les Ismaéliens : Comptant entre 15 et 20 millions d’adeptes, principalement en Inde, en Afrique de l’Est et en Occident, leur chef spirituel est l’Aga Khan.
3. Les Duodécimains (ou Imamites) : C’est la branche dominante du chiisme, comptant entre 150 et 200 millions de fidèles. C’est la religion d’État en Iran et la branche majoritaire en Irak et dans le sous-continent indien.
3. Origines et Fondements du Chiisme
La Question de la Succession du Prophète
La divergence originelle entre ce qui deviendra plus tard le sunnisme et le chiisme remonte à la mort du prophète Mahomet en 632. Le débat portait sur la question de son successeur.
• La position majoritaire (proto-sunnite) : Le Prophète n’avait désigné personne. Il revenait donc à la communauté de choisir un successeur parmi ses compagnons. Ils choisirent Abou Bakr, qui devint le premier calife.
• La position minoritaire (proto-chiite) : Le Prophète avait explicitement désigné son cousin et gendre, Ali, comme son successeur. Pour les partisans d’Ali, le choix d’Abou Bakr constituait une usurpation et un « véritable coup d’État ».
Ali était une figure centrale : cousin germain du Prophète, époux de sa fille Fatima, et père de sa seule descendance masculine (Hassan et Hussein). Le chiisme est historiquement le courant religieux le plus ancien de l’islam, le sunnisme s’étant constitué en « orthodoxie » progressivement, en réaction, sur une période de deux siècles et demi.
Une Naissance dans la Violence
La question de la succession a ouvert une période de près de trois siècles de guerres civiles et de violences. Une spécificité de l’islam primitif est que la quasi-totalité de ses figures fondatrices sont mortes de mort violente. Ces conflits internes ont eu lieu simultanément à l’élaboration et à la rédaction des textes sacrés (Coran et Hadith), ce qui explique en partie, selon le professeur Moezi, la présence d’une certaine violence dans les textes fondateurs de la religion.
4. La Centralité de la Figure de l’Imam
Le cœur de la doctrine chiite, ce qui le différencie fondamentalement du sunnisme, est le concept de l’Imam.
« Le chiisme est la religion de l’Imam comme le christianisme est la religion du Christ. »
Pour les chiites, l’Imam n’est pas simplement un guide temporel ou politique, mais avant tout un guide spirituel. Ali est considéré comme le premier Imam. La figure de l’Imam est le pivot central autour duquel s’articule toute la religion chiite. Toutes les disciplines religieuses (droit, philosophie, exégèse, cosmologie, etc.) sont déterminées par et prennent sens par rapport à l’imamologie, la doctrine de la connaissance de l’Imam.
Les sources scripturaires du chiisme diffèrent également de celles du sunnisme. Outre le Coran (dont les premières versions différaient), le Hadith chiite inclut non seulement les paroles du Prophète, mais aussi celles de sa fille Fatima, d’Ali et de toute la lignée des Imams descendants.
5. La Vision du Monde Chiite : Une Double Perspective
La pensée chiite est structurée par une double vision du monde, qui est à la fois duele et dualiste.
A. La Vision Duele : L’Apparent (Zâhir) et le Caché (Bâtin)
Selon la doctrine chiite, toute réalité possède deux niveaux : un niveau apparent, exotérique (zâhir), et un niveau caché, ésotérique (bâtin).
• Dieu : Possède une essence inconnaissable (le caché) et un niveau manifesté à travers ses Noms et Attributs (l’apparent), qui aspire à être connu.
• L’Imam : Est la manifestation terrestre (théophanie) de ce qui peut être connu de Dieu. L’Imam lui-même a un niveau métaphysique, cosmique (l’Imam avec un « I » majuscule, l’Homme Parfait) et un niveau terrestre, incarné par des guides historiques (les imams avec un « i » minuscule). Pour connaître le Dieu révélé, il faut connaître l’Imam terrestre.
• La Révélation : La parole divine a également deux niveaux. La « lettre » (l’exotérique) est apportée par le Prophète, tandis que l’ « esprit » (l’ésotérique) est révélé par l’Imam à une élite d’initiés.
Rôle | Figure | Domaine | Public |
Messager de la lettre | Le Prophète (ex: Mahomet) | L’exotérique (le Coran apparent) | La majorité des croyants |
Messager de l’esprit | L’Imam (ex: Ali et ses descendants) | L’ésotérique (le sens caché) | Une minorité d’initiés (les chiites) |
Dans cette dialectique, l’esprit est considéré comme supérieur à la lettre, ce qui conduit à une perception où la figure de l’Imam est, d’une certaine manière, plus importante que celle du Prophète. C’est l’une des raisons pour lesquelles les sunnites ont souvent accusé les chiites d’être « les chrétiens de la communauté musulmane », en raison de la nature quasi-divine attribuée à l’Imam, similaire à celle du Christ.
B. La Vision Dualiste : Le Combat entre Connaissance et Ignorance
L’histoire du monde est perçue comme le théâtre d’une guerre cosmique entre le Bien (la connaissance) et le Mal (l’ignorance).
• Les Forces de la Connaissance : Sont menées par les Imams et leurs fidèles. Elles sont par définition minoritaires et persécutées.
• Les Forces de l’Ignorance : Sont constituées de ceux qui s’opposent à la mission des Imams. L’adversaire n’est pas le païen ou l’incroyant, mais celui qui, au sein même de la communauté, rejette l’esprit de la religion pour ne s’attacher qu’à la lettre. Cet attachement exclusif à la lettre transforme la religion en un instrument de domination et de violence.
Cette vision du monde implique que l’humanité actuelle est dominée par les forces de l’ignorance. Cette situation perdurera jusqu’à la fin des temps et l’arrivée d’un Sauveur messianique (le Mahdi), qui sera le seul capable de mettre fin à la domination du mal. En conséquence, la doctrine chiite traditionnelle est quiétiste et apolitique : le fidèle est invité à rester à l’écart de toute activité politique pour préserver la pureté de sa foi, en attendant l’avènement du souverain juste. Cela met en évidence la rupture et la contradiction que représente l’émergence d’un chiisme politique et révolutionnaire comme le Khomeinisme au XXe siècle.
6. Herméneutique contre Littéralisme : Un Conflit Central
La conséquence directe de la vision duelle est que le chiisme se présente comme une religion herméneutique, c’est-à-dire fondée sur l’interprétation. Les textes sacrés ne se limitent pas à leur sens littéral mais possèdent de multiples couches de sens cachés que l’Imam et les initiés ont pour mission de découvrir.
Cette approche s’oppose radicalement au littéralisme, qui soutient que les textes sacrés se suffisent à eux-mêmes et ne doivent pas être interprétés.
• L’herméneutique : Crée une ouverture vers d’autres cultures et traditions intellectuelles (grecque, juive, chrétienne, etc.) pour trouver les « lunettes » adéquates à la compréhension des textes. Elle permet d’atténuer la violence potentielle des textes en les contextualisant et en les interprétant.
• Le littéralisme : Est une fermeture intellectuelle. En prenant les passages violents des textes sacrés (Coran, Ancien Testament) au pied de la lettre et sans interprétation, il mène inévitablement à la violence.
Le professeur Moezi affirme que le conflit entre ces deux approches est toujours d’actualité. Le fondamentalisme et l’islamisme radical contemporains sont fondés sur le wahhabisme, la religion d’État de l’Arabie saoudite, un courant radicalement littéraliste qui était extrêmement minoritaire il y a encore quelques décennies.
7. Thèmes Abordés durant la Session de Questions-Réponses
• L’Histoire et la Sacralité du Coran : La croyance en un Coran unique, incréé et dicté mot à mot est une doctrine tardive (IIIe-IVe siècle de l’Hégire). Pendant les premiers siècles, plusieurs versions du Coran (au moins quatre) circulaient. La version officielle actuelle daterait de la fin du VIIe siècle et aurait été, selon la perspective chiite, censurée de ses références aux contemporains du Prophète, expliquant son caractère « décousu ». De même, l’illettrisme du Prophète est une construction apologétique tardive sans base historique solide.
• Le Rôle des Imams et le Clergé Chiite : Il faut distinguer radicalement l’Imam (figure sacrée, descendant d’Ali, dont la lignée est close) et les « imams » au sens sunnite (savants ou guides de prière). Le titre d’Imam est si sacré dans le chiisme que son attribution à Khomeiny a provoqué une controverse théologique majeure. Le clergé chiite duodécimain est un phénomène relativement récent (XVIe siècle), développé en Iran pour combler le vide laissé par l’occultation du dernier Imam.
• Le Courant Rationaliste Mu’tazilite : Ce courant théologique ancien, prônant le libre arbitre et l’usage de la raison, a été balayé par l’orthodoxie sunnite mais a survécu au sein de la théologie chiite imamite.
• L’Absence d’Approche Historico-Critique : L’un des problèmes intellectuels majeurs de l’islam contemporain est le manque d’intégration de l’histoire et de la philologie dans l’étude des textes sacrés. Contrairement à l’Occident, il n’y a pas eu de développement d’une distance critique par rapport aux faits religieux, ce qui explique pourquoi des conflits vieux de 1400 ans sont vécus comme s’ils dataient « d’avant-hier », entretenant la violence.
• Le Succès de l’Islam : L’expansion rapide de l’islam s’explique par la faiblesse des empires byzantin et sassanide, mais aussi par la simplicité de sa doctrine et de sa pratique (orthopraxie). Sa dimension de « religion de commerçants » et de la vie quotidienne, peu ascétique, a également joué un rôle majeur. Les conversions de masse ont cependant été un processus très long, s’étalant sur plusieurs siècles.
• Les Origines du Radicalisme Islamique : Le professeur Moezi lie directement la progression de l’islam radical aux financements colossaux provenant des milieux wahhabites et saoudiens, financements qu’il associe au « prix du baril saoudien ». Cet argent sert à construire des mosquées, former des imams, et diffuser une doctrine littéraliste et violente à l’échelle mondiale.
Diversité Islamique
La diversité au sein de l’Islam est un sujet complexe et fondamental qui démontre que l’Islam, loin d’avoir été monolithique, a toujours été pluriel. Dès ses débuts, il a été traversé par de très nombreux courants, qu’ils soient théologiques, exégétiques, philosophiques, mystiques ou juridiques. La racine de cette diversité proviendrait de la diversité des interprétations ou des lectures que les différents courants intellectuels ont faites des Écritures saintes, à savoir le Coran et le Hadith.
I. Les Courants Majeurs : Sunnisme et Chiisme
L’Islam est structuré principalement autour de deux grands courants :
1. Le Sunnisme : C’est le courant majoritaire. Il est souvent désigné, de manière autoproclamée, comme l’orthodoxie de l’Islam. Le sunnisme rassemble environ quatre cinquièmes (4/5) des musulmans.
2. Le Chiisme : C’est le courant minoritaire, mais respectable. Il représente entre 15 et 20 % des musulmans, soit un cinquième (1/5), constituant une population estimée entre 200 et 250 millions de fidèles.
Répartition Géographique du Chiisme
Bien qu’il soit minoritaire globalement, le chiisme possède une implantation significative.
• L’Iran est l’unique pays musulman où le chiisme est religion d’État (depuis le XVIe siècle), avec une population chiite estimée entre 65 et 70 millions de personnes.
• Toutefois, les populations chiites sont plus nombreuses sur le continent indien (Inde, Pakistan, Bangladesh), avec environ 80 millions de chiites.
• Les chiites sont également majoritaires en Irak et en Azerbaïdjan.
• Des minorités importantes existent en Syrie, en Afghanistan et en Asie centrale.
• Certains groupes, comme les Alaouites syriens et les Alévis turcs, sont également considérés comme chiites, même s’ils ne s’auto-désignent pas toujours ainsi.
Diversité Interne
Il est crucial de noter qu’il n’y a pas un sunnisme, tout comme il n’y a pas un chiisme. Chacune de ces grandes familles est divisée en sous-courants ou branches basées sur leurs positions théologiques ou juridiques.
Le chiisme se divise notamment en trois grandes familles :
1. Les Zaïdis : Environ 5 à 10 millions d’adeptes, souvent mentionnés au Yémen.
2. Les Ismaéliens : Entre 15 et 20 millions de personnes, dont la branche majoritaire suit l’Aga Khan. Ils sont majoritairement présents en Inde, mais aussi en Afrique orientale, en Europe et aux États-Unis.
3. Les Duodécimains (ou Imâmites) : Il s’agit de la branche majoritaire et dominante du chiisme, comptant entre 150 et 200 millions d’adeptes. C’est cette branche qui est la religion d’État en Iran.
II. L’Origine Historique de la Séparation
Le clivage entre ce qui allait devenir le chiisme et le sunnisme est très ancien. L’étincelle initiale remonte à la mort du Prophète en 632 (an 11 de l’Hégire). Le chiisme est ainsi le courant religieux le plus ancien de l’Islam.
La séparation s’est cristallisée autour de la question délicate de la succession du Prophète :
• La Majorité : Considérant que le Prophète n’avait désigné personne, ils choisirent Abou Bakr comme premier calife.
• La Minorité : Prétendant que le Prophète avait parfaitement désigné un successeur, ils soutenaient Ali (son cousin germain, son gendre, époux de Fatima et père de la seule descendance mâle du Prophète). Pour les partisans d’Ali (Alaouites), ceux qui avaient choisi Abou Bakr avaient usurpé la fonction d’Ali par un véritable coup d’État.
Cette querelle de succession a ouvert une longue période de violence et de guerres civiles qui ont duré près de trois siècles et demi. Cette violence a eu pour conséquence que pratiquement tous les personnages importants de l’Islam naissant sont morts de mort violente. Ces guerres civiles ont eu lieu au moment même où s’élaboraient les Écritures saintes (Coran et Hadith), ce qui, selon certaines analyses, explique peut-être une certaine violence faisant partie intégrante des textes.
III. Les Spécificités Doctrinales du Chiisme : L’Imamologie
La distinction majeure du chiisme réside dans la figure de l’Imam. Le chiisme est une imamologie, une doctrine entièrement consacrée à la connaissance de ce guide spirituel. La figure de l’Imam (avec un « I » majuscule) est le pivot autour duquel tourne toute la religion chiite.
Pour les chiites, l’Imam est un être métaphysique (l’Homme Primordial, l’Homme Cosmique) qui est le lieu de manifestation des noms et des attributs de Dieu. Cet Imam céleste se manifeste à travers des Imams physiques et terrestres, appelés les alliés de Dieu (walī Allāh). Pour connaître ce qui peut être connu en Dieu (le Dieu révélé), il faut connaître l’Imam terrestre.
Cette conception de l’Imam comme un « homme divin » a historiquement conduit les critiques sunnites à accuser les chiites d’être « les chrétiens de la communauté musulmane », jugeant cette doctrine hétérodoxe.
La Double Vision du Monde
Le chiisme est caractérisé par une double vision du monde tirée du corpus monumental des enseignements des Imams (le Hadith chiite) :
1. La Vision Duellle (Exotérique vs. Ésotérique)
Toute réalité possède deux niveaux d’être : un niveau apparent ou exotérique (Zaher), et un niveau caché, secret ou ésotérique (Bâtin).
• Le Prophète est le messager de la lettre du Livre (la dimension exotérique).
• L’Imam (ou ses accompagnateurs) a pour mission d’initier une minorité des fidèles au sens caché, à l’esprit des Écritures.
Dans cette dialectique, l’esprit (l’ésotérique) est plus important que la lettre (l’exotérique). Le Prophète est le messager de la lettre, tandis que l’Imam est le maître de l’esprit. Cette doctrine souligne l’importance de la connaissance et de l’initiation.
2. La Vision Dualiste (Connaissance vs. Ignorance)
L’histoire du monde est perçue comme un combat cosmique entre les forces du bien (la connaissance) et les forces du mal (l’ignorance).
• Les forces de la connaissance sont représentées par les Imams et leurs fidèles initiés, lesquels sont minoritaires et persécutés.
• Les forces de l’ignorance sont majoritaires et se composent de ceux qui refusent l’esprit de la religion et n’en conservent que la lettre seule. Ces derniers sont appelés les gens de la lettre seule (Ahl al-Zahir), dont le littéralisme transforme la religion en un instrument de pouvoir et de répression.
Selon cette vision, le monde est dominé par l’ignorance et la violence jusqu’à l’arrivée du Sauveur (le Mahdi ou le Qa’im) à la fin des temps.
IV. Le Conflit Herméneutique et la Diversité des Textes
Le chiisme est décrit comme une religion hermétique, entièrement fondée sur l’interprétation. Pour les chiites, les textes sacrés possèdent plusieurs couches de sens qui nécessitent l’exégèse et le commentaire.
Herméneutique vs. Littéralisme
L’existence de cette herméneutique dès les débuts de l’Islam a créé un conflit fondamental avec les littéralistes :
• L’herméneutique (interprétation) permet l’ouverture vers d’autres cultures et traditions intellectuelles et spirituelles. Elle évite de limiter la religion à sa littéralité.
• Le littéralisme, en revanche, est une fermeture qui professe que le texte se suffit à lui-même et qu’il ne revient pas à l’homme de l’interpréter.
Le danger du littéralisme est qu’il conduit obligatoirement à la violence si l’on prend littéralement certains passages intrinsèquement violents du Coran ou de l’Ancien Testament. Le fondamentalisme actuel (l’islamisme radical, notamment le courant wahhabite en Arabie Saoudite) est ancré dans ce courant radicalement littéraliste.
La Diversité et l’Histoire du Coran
La diversité islamique se reflète également dans l’histoire des Écritures.
• Contrairement à la croyance populaire, l’acceptation du Coran officiel que nous connaissons comme version authentique n’a pas été immédiate.
• Pendant plus de trois siècles et demi, il y a eu d’énormes débats et des guerres civiles concernant les versions du Coran qui circulaient. Les sources (chiites et sunnites) parlent d’au moins quatre recensions coraniques différentes.
• Le Coran officiel, ou « Coran impérial », a été proclamé comme tel sous le califat d’Abd al-Malik, vers la fin du VIIe siècle.
• Les premiers chiites (Alaouites) ont refusé cette version, prétendant qu’elle était falsifiée et censurée. Selon eux, la recension authentique d’Ali, qu’ils appelaient le « Coran parlant », était trois fois plus volumineuse que le Coran officiel. La raison de cette censure était politique : le Coran originel contenait des informations sur les contemporains du Prophète (amis et ennemis), et les adversaires d’Ali, parvenus au pouvoir, auraient censuré les noms pour des raisons politiques, rendant ainsi le texte que nous connaissons fragmenté et décousu.
• Le fait que le Prophète était illettré est une doctrine tardive qui fait partie de l’apologétique musulmane (pour démontrer le miracle du texte) et n’a aucune base historique selon les historiens. De même, la croyance en la sacralité et le caractère incréé du Coran est une croyance tardive (IIIe ou IVe siècle de l’Hégire).
En somme, la diversité islamique est structurée par une ancienne querelle de succession qui a engendré des divergences profondes sur l’autorité spirituelle (l’Imam) et sur la manière de concevoir le texte sacré, opposant l’ouverture de l’herméneutique chiite à la fermeture du littéralisme.
Sunnisme et Chiisme.
La discussion sur le Sunnisme et le Chiisme est essentielle pour comprendre la diversité en Islam, car ces deux courants structurent la religion musulmane. L’Islam, loin d’avoir été monolithique, a toujours été pluriel et traversé par de très nombreux courants théologiques, exégétiques, philosophiques, mystiques et juridiques. La racine de cette diversité proviendrait de la diversité des interprétations des Écritures saintes (le Coran et le Hadith).
Voici une discussion détaillée des deux principaux courants, leurs origines, leurs tailles respectives et leurs différences doctrinales, selon les sources.
I. Définition et Répartition Démographique
Le sunnisme et le chiisme représentent les deux grandes familles de l’Islam.
Le Sunnisme : Le Courant Majoritaire
Le sunnisme est le courant majoritaire de l’Islam.
• Il est considéré comme le courant orthodoxe de l’Islam, bien qu’il s’agisse d’une orthodoxie autoproclamée, car le courant minoritaire (le chiisme) se veut tout aussi orthodoxe.
• Il rassemble environ quatre cinquièmes (4/5) des musulmans.
• Le sunnisme ne connaît pas la figure centrale de l’Imam spirituel de la même manière que le chiisme.
Le Chiisme : Le Courant Minoritaire (Mais Respectable)
Le chiisme est le courant minoritaire de l’Islam.
• Il représente entre 15 et 20 % des musulmans (un cinquième, 1/5).
• Il constitue une minorité respectable, estimée entre 200 et 250 millions de fidèles.
• Le chiisme est le courant religieux le plus ancien de l’Islam.
• Géographie :
◦ L’Iran est le seul pays musulman où le chiisme est religion d’État (depuis le XVIe siècle), avec une population chiite de 65 à 70 millions de personnes.
◦ Le continent indien (Inde, Pakistan, Bangladesh) compte plus de chiites qu’en Iran (environ 80 millions).
◦ Les chiites sont majoritaires en Irak et en Azerbaïdjan.
◦ Des minorités se trouvent en Syrie, en Afghanistan, et en Asie centrale. Les Alaouites syriens et les Alévis turcs sont également considérés comme chiites.
La Non-Monolithique Interne
Il n’existe pas un sunnisme ni pas un chiisme; chaque grande famille est divisée en sous-courants et branches selon des positions théologiques, juridiques et philosophiques.
• Familles Chiites : Le chiisme se divise en trois grandes familles : les Zaïdis (entre 5 et 10 millions), les Ismaéliens (15 à 20 millions, suivant l’Aga Khan), et la branche dominante, les Duodécimains (Imâmites) (entre 150 et 200 millions), qui est la religion d’État en Iran.
II. L’Origine de la Séparation (632 ap. J.-C.)
Le clivage entre les futurs chiites et sunnites est intervenu extrêmement tôt dans l’histoire de l’Islam, autour de la question délicate de la succession du Prophète à sa mort en 632 de l’ère chrétienne (an 11 de l’Hégire).
• Position Sunnite (Majorité) : La majorité des adeptes du Prophète considérait qu’il n’avait désigné personne pour sa succession. Ils choisirent Abou Bakr, qui devint le premier calife de l’Islam.
• Position Chiite (Minorité) : Cette minorité prétendait que le Prophète avait parfaitement désigné un successeur : Ali. Ali était son cousin germain, son gendre (époux de Fatima) et le père de sa seule descendance masculine. Les partisans d’Ali (Alaouites/Alévis) considéraient que ceux qui avaient choisi Abou Bakr avaient usurpé la fonction d’Ali par un coup d’État.
• Conséquences : Cette querelle de succession a ouvert une très longue période de violence et de guerres civiles qui a duré près de trois siècles et demi. Cette période violente coïncide avec l’élaboration des Écritures saintes (Coran et Hadith), ce qui pourrait expliquer la présence d’une certaine violence intégrée dans les textes de la religion naissante.
III. Les Spécificités Doctrinales : L’Imamologie Chiite
La différence fondamentale entre les deux courants réside dans la figure de l’autorité spirituelle, notamment celle de l’Imam chez les chiites.
La Religion de l’Imam
Pour les chiites, Ali est le premier Imam et le seul successeur légitime du Prophète. Le chiisme est une imamologie, une doctrine entièrement consacrée à la connaissance de cette figure du guide spirituel, qui est le pivot central de la religion chiite. Ce n’est absolument pas le cas dans le sunnisme.
• L’Imam Métaphysique : L’Imam est un être métaphysique (l’Homme Primordial, l’Homme Cosmique) qui est le lieu de manifestation des noms et des attributs de Dieu.
• L’Imam Terrestre : Cet être métaphysique se manifeste à travers des Imams physiques et terrestres (descendants d’Ali et de Fatima), appelés les alliés de Dieu (walī Allāh). Pour connaître ce qui peut être connu de Dieu (le Dieu révélé), il faut connaître l’Imam terrestre.
• Critique Sunnite : Les chiites ont souvent été accusés par les sunnites d’être « les chrétiens de la communauté musulmane » parce que leur conception de l’Imam comme « homme divin » était considérée comme hétérodoxe.
Le Conflit Herméneutique (Interprétation vs. Littéralisme)
La divergence des lectures des textes sacrés (Coran et Hadith) est au cœur de la distinction entre les deux courants. Le chiisme se définit comme une religion hermétique, fondée sur l’interprétation, tandis que le sunnisme orthodoxe a historiquement connu des courants plus littéralistes.
1. Le Chiisme et la Vision Duellle (Lettre et Esprit)
Le chiisme repose sur le couple de l’apparent (Zaher) et du caché (Bâtin).
• Le Prophète est le messager de la lettre de la parole divine (la dimension exotérique).
• L’Imam est chargé d’initier une minorité au sens caché, à l’esprit des Écritures (la dimension ésotérique).
• Dans cette dialectique, l’esprit (l’ésotérique) est considéré comme plus important que la lettre (l’exotérique). C’est pourquoi l’imam, en tant que maître de l’esprit, est vu par les chiites comme plus important que le Prophète, messager de la lettre, suscitant des accusations de la part des sunnites.
• L’Imam est ainsi le maître de la connaissance et de l’initiation.
2. La Vision Dualiste (Connaissance et Ignorance)
Le chiisme voit l’histoire du monde comme un combat cosmique entre les forces de la connaissance (le Bien, représenté par les Imams et leurs fidèles initiés) et les forces de l’ignorance (le Mal).
• Les adversaires (forces de l’ignorance) sont souvent ceux qui refusent l’esprit de la religion et n’en conservent que la lettre seule (Ahl al-Zahir).
• Ce littéralisme transforme la religion en une « religion de la lettre seule » et en un instrument de domination et de violence.
L’Enjeu du Littéralisme
Le conflit entre l’herméneutique (propre au chiisme) et le littéralisme est fondamental.
• L’herméneutique permet l’ouverture vers d’autres cultures et évite de limiter la religion à sa littéralité.
• Le littéralisme (que l’on retrouve dans certains courants sunnites, comme le courant hanbalite, et plus récemment le courant wahhabite en Arabie Saoudite) est une fermeture qui rejette l’interprétation, affirmant que le texte se suffit à lui-même.
• L’approche radicalement littéraliste conduit à la violence si l’on prend des passages intrinsèquement violents des textes sacrés dans leur seule littéralité. Le fondamentalisme actuel est ancré dans ce courant.
IV. Une Diversité Textuelle Précoce
La diversité entre les deux courants a même concerné les Écritures elles-mêmes pendant plusieurs siècles.
• Il y a eu énormément de débats et de guerres civiles autour des versions du Coran qui circulaient pendant plus de trois siècles et demi. Les sources (chiites et sunnites) parlent d’au moins quatre recensions coraniques différentes.
• Le Coran officiel, ou « Coran impérial », a été proclamé tel sous le califat d’Abd al-Malek (fin du VIIe siècle), mais les adversaires des Omeyyades (en particulier les premiers chiites, les Alaouites) l’ont considéré comme une version falsifiée et censurée.
• Les chiites prétendaient que la recension authentique d’Ali, appelée le « Coran parlant », était trois fois plus volumineuse que le Coran officiel, et que les noms des contemporains du Prophète (amis et ennemis) avaient été censurés pour des raisons politiques, rendant le texte actuel « fragmenté et décousu ».
• Parallèlement, la définition du Hadith diffère : pour les sunnites, il s’agit des propos du Prophète et d’un nombre limité de ses compagnons ; pour les chiites, il inclut les propos du Prophète, de sa fille Fatima, d’Ali et de la lignée des Imams, ce qui rend le corpus chiite extrêmement développé.
Diversité Islamique.
La diversité au sein de l’Islam est un sujet complexe et fondamental qui démontre que l’Islam, loin d’avoir été monolithique, a toujours été pluriel. Dès ses débuts, il a été traversé par de très nombreux courants, qu’ils soient théologiques, exégétiques, philosophiques, mystiques ou juridiques. La racine de cette diversité proviendrait de la diversité des interprétations ou des lectures que les différents courants intellectuels ont faites des Écritures saintes, à savoir le Coran et le Hadith.
I. Les Courants Majeurs : Sunnisme et Chiisme
L’Islam est structuré principalement autour de deux grands courants :
1. Le Sunnisme : C’est le courant majoritaire. Il est souvent désigné, de manière autoproclamée, comme l’orthodoxie de l’Islam. Le sunnisme rassemble environ quatre cinquièmes (4/5) des musulmans.
2. Le Chiisme : C’est le courant minoritaire, mais respectable. Il représente entre 15 et 20 % des musulmans, soit un cinquième (1/5), constituant une population estimée entre 200 et 250 millions de fidèles.
Répartition Géographique du Chiisme
Bien qu’il soit minoritaire globalement, le chiisme possède une implantation significative.
• L’Iran est l’unique pays musulman où le chiisme est religion d’État (depuis le XVIe siècle), avec une population chiite estimée entre 65 et 70 millions de personnes.
• Toutefois, les populations chiites sont plus nombreuses sur le continent indien (Inde, Pakistan, Bangladesh), avec environ 80 millions de chiites.
• Les chiites sont également majoritaires en Irak et en Azerbaïdjan.
• Des minorités importantes existent en Syrie, en Afghanistan et en Asie centrale.
• Certains groupes, comme les Alaouites syriens et les Alévis turcs, sont également considérés comme chiites, même s’ils ne s’auto-désignent pas toujours ainsi.
Diversité Interne
Il est crucial de noter qu’il n’y a pas un sunnisme, tout comme il n’y a pas un chiisme. Chacune de ces grandes familles est divisée en sous-courants ou branches basées sur leurs positions théologiques ou juridiques.
Le chiisme se divise notamment en trois grandes familles :
1. Les Zaïdis : Environ 5 à 10 millions d’adeptes, souvent mentionnés au Yémen.
2. Les Ismaéliens : Entre 15 et 20 millions de personnes, dont la branche majoritaire suit l’Aga Khan. Ils sont majoritairement présents en Inde, mais aussi en Afrique orientale, en Europe et aux États-Unis.
3. Les Duodécimains (ou Imâmites) : Il s’agit de la branche majoritaire et dominante du chiisme, comptant entre 150 et 200 millions d’adeptes. C’est cette branche qui est la religion d’État en Iran.
II. L’Origine Historique de la Séparation
Le clivage entre ce qui allait devenir le chiisme et le sunnisme est très ancien. L’étincelle initiale remonte à la mort du Prophète en 632 (an 11 de l’Hégire). Le chiisme est ainsi le courant religieux le plus ancien de l’Islam.
La séparation s’est cristallisée autour de la question délicate de la succession du Prophète :
• La Majorité : Considérant que le Prophète n’avait désigné personne, ils choisirent Abou Bakr comme premier calife.
• La Minorité : Prétendant que le Prophète avait parfaitement désigné un successeur, ils soutenaient Ali (son cousin germain, son gendre, époux de Fatima et père de la seule descendance mâle du Prophète). Pour les partisans d’Ali (Alaouites), ceux qui avaient choisi Abou Bakr avaient usurpé la fonction d’Ali par un véritable coup d’État.
Cette querelle de succession a ouvert une longue période de violence et de guerres civiles qui ont duré près de trois siècles et demi. Cette violence a eu pour conséquence que pratiquement tous les personnages importants de l’Islam naissant sont morts de mort violente. Ces guerres civiles ont eu lieu au moment même où s’élaboraient les Écritures saintes (Coran et Hadith), ce qui, selon certaines analyses, explique peut-être une certaine violence faisant partie intégrante des textes.
III. Les Spécificités Doctrinales du Chiisme : L’Imamologie
La distinction majeure du chiisme réside dans la figure de l’Imam. Le chiisme est une imamologie, une doctrine entièrement consacrée à la connaissance de ce guide spirituel. La figure de l’Imam (avec un « I » majuscule) est le pivot autour duquel tourne toute la religion chiite.
Pour les chiites, l’Imam est un être métaphysique (l’Homme Primordial, l’Homme Cosmique) qui est le lieu de manifestation des noms et des attributs de Dieu. Cet Imam céleste se manifeste à travers des Imams physiques et terrestres, appelés les alliés de Dieu (walī Allāh). Pour connaître ce qui peut être connu en Dieu (le Dieu révélé), il faut connaître l’Imam terrestre.
Cette conception de l’Imam comme un « homme divin » a historiquement conduit les critiques sunnites à accuser les chiites d’être « les chrétiens de la communauté musulmane », jugeant cette doctrine hétérodoxe.
La Double Vision du Monde
Le chiisme est caractérisé par une double vision du monde tirée du corpus monumental des enseignements des Imams (le Hadith chiite) :
1. La Vision Duellle (Exotérique vs. Ésotérique)
Toute réalité possède deux niveaux d’être : un niveau apparent ou exotérique (Zaher), et un niveau caché, secret ou ésotérique (Bâtin).
• Le Prophète est le messager de la lettre du Livre (la dimension exotérique).
• L’Imam (ou ses accompagnateurs) a pour mission d’initier une minorité des fidèles au sens caché, à l’esprit des Écritures.
Dans cette dialectique, l’esprit (l’ésotérique) est plus important que la lettre (l’exotérique). Le Prophète est le messager de la lettre, tandis que l’Imam est le maître de l’esprit. Cette doctrine souligne l’importance de la connaissance et de l’initiation.
2. La Vision Dualiste (Connaissance vs. Ignorance)
L’histoire du monde est perçue comme un combat cosmique entre les forces du bien (la connaissance) et les forces du mal (l’ignorance).
• Les forces de la connaissance sont représentées par les Imams et leurs fidèles initiés, lesquels sont minoritaires et persécutés.
• Les forces de l’ignorance sont majoritaires et se composent de ceux qui refusent l’esprit de la religion et n’en conservent que la lettre seule. Ces derniers sont appelés les gens de la lettre seule (Ahl al-Zahir), dont le littéralisme transforme la religion en un instrument de pouvoir et de répression.
Selon cette vision, le monde est dominé par l’ignorance et la violence jusqu’à l’arrivée du Sauveur (le Mahdi ou le Qa’im) à la fin des temps.
IV. Le Conflit Herméneutique et la Diversité des Textes
Le chiisme est décrit comme une religion hermétique, entièrement fondée sur l’interprétation. Pour les chiites, les textes sacrés possèdent plusieurs couches de sens qui nécessitent l’exégèse et le commentaire.
Herméneutique vs. Littéralisme
L’existence de cette herméneutique dès les débuts de l’Islam a créé un conflit fondamental avec les littéralistes :
• L’herméneutique (interprétation) permet l’ouverture vers d’autres cultures et traditions intellectuelles et spirituelles. Elle évite de limiter la religion à sa littéralité.
• Le littéralisme, en revanche, est une fermeture qui professe que le texte se suffit à lui-même et qu’il ne revient pas à l’homme de l’interpréter.
Le danger du littéralisme est qu’il conduit obligatoirement à la violence si l’on prend littéralement certains passages intrinsèquement violents du Coran ou de l’Ancien Testament. Le fondamentalisme actuel (l’islamisme radical, notamment le courant wahhabite en Arabie Saoudite) est ancré dans ce courant radicalement littéraliste.
La Diversité et l’Histoire du Coran
La diversité islamique se reflète également dans l’histoire des Écritures.
• Contrairement à la croyance populaire, l’acceptation du Coran officiel que nous connaissons comme version authentique n’a pas été immédiate.
• Pendant plus de trois siècles et demi, il y a eu d’énormes débats et des guerres civiles concernant les versions du Coran qui circulaient. Les sources (chiites et sunnites) parlent d’au moins quatre recensions coraniques différentes.
• Le Coran officiel, ou « Coran impérial », a été proclamé comme tel sous le califat d’Abd al-Malik, vers la fin du VIIe siècle.
• Les premiers chiites (Alaouites) ont refusé cette version, prétendant qu’elle était falsifiée et censurée. Selon eux, la recension authentique d’Ali, qu’ils appelaient le « Coran parlant », était trois fois plus volumineuse que le Coran officiel. La raison de cette censure était politique : le Coran originel contenait des informations sur les contemporains du Prophète (amis et ennemis), et les adversaires d’Ali, parvenus au pouvoir, auraient censuré les noms pour des raisons politiques, rendant ainsi le texte que nous connaissons fragmenté et décousu.
• Le fait que le Prophète était illettré est une doctrine tardive qui fait partie de l’apologétique musulmane (pour démontrer le miracle du texte) et n’a aucune base historique selon les historiens. De même, la croyance en la sacralité et le caractère incréé du Coran est une croyance tardive (IIIe ou IVe siècle de l’Hégire).
En somme, la diversité islamique est structurée par une ancienne querelle de succession qui a engendré des divergences profondes sur l’autorité spirituelle (l’Imam) et sur la manière de concevoir le texte sacré, opposant l’ouverture de l’herméneutique chiite à la fermeture du littéralisme.
Discuss Sunnisme et Chiisme.
La discussion sur le Sunnisme et le Chiisme est essentielle pour comprendre la diversité en Islam, car ces deux courants structurent la religion musulmane. L’Islam, loin d’avoir été monolithique, a toujours été pluriel et traversé par de très nombreux courants théologiques, exégétiques, philosophiques, mystiques et juridiques. La racine de cette diversité proviendrait de la diversité des interprétations des Écritures saintes (le Coran et le Hadith).
Voici une discussion détaillée des deux principaux courants, leurs origines, leurs tailles respectives et leurs différences doctrinales, selon les sources.
I. Définition et Répartition Démographique
Le sunnisme et le chiisme représentent les deux grandes familles de l’Islam.
Le Sunnisme : Le Courant Majoritaire
Le sunnisme est le courant majoritaire de l’Islam.
• Il est considéré comme le courant orthodoxe de l’Islam, bien qu’il s’agisse d’une orthodoxie autoproclamée, car le courant minoritaire (le chiisme) se veut tout aussi orthodoxe.
• Il rassemble environ quatre cinquièmes (4/5) des musulmans.
• Le sunnisme ne connaît pas la figure centrale de l’Imam spirituel de la même manière que le chiisme.
Le Chiisme : Le Courant Minoritaire (Mais Respectable)
Le chiisme est le courant minoritaire de l’Islam.
• Il représente entre 15 et 20 % des musulmans (un cinquième, 1/5).
• Il constitue une minorité respectable, estimée entre 200 et 250 millions de fidèles.
• Le chiisme est le courant religieux le plus ancien de l’Islam.
• Géographie :
◦ L’Iran est le seul pays musulman où le chiisme est religion d’État (depuis le XVIe siècle), avec une population chiite de 65 à 70 millions de personnes.
◦ Le continent indien (Inde, Pakistan, Bangladesh) compte plus de chiites qu’en Iran (environ 80 millions).
◦ Les chiites sont majoritaires en Irak et en Azerbaïdjan.
◦ Des minorités se trouvent en Syrie, en Afghanistan, et en Asie centrale. Les Alaouites syriens et les Alévis turcs sont également considérés comme chiites.
La Non-Monolithique Interne
Il n’existe pas un sunnisme ni pas un chiisme; chaque grande famille est divisée en sous-courants et branches selon des positions théologiques, juridiques et philosophiques.
• Familles Chiites : Le chiisme se divise en trois grandes familles : les Zaïdis (entre 5 et 10 millions), les Ismaéliens (15 à 20 millions, suivant l’Aga Khan), et la branche dominante, les Duodécimains (Imâmites) (entre 150 et 200 millions), qui est la religion d’État en Iran.
II. L’Origine de la Séparation (632 ap. J.-C.)
Le clivage entre les futurs chiites et sunnites est intervenu extrêmement tôt dans l’histoire de l’Islam, autour de la question délicate de la succession du Prophète à sa mort en 632 de l’ère chrétienne (an 11 de l’Hégire).
• Position Sunnite (Majorité) : La majorité des adeptes du Prophète considérait qu’il n’avait désigné personne pour sa succession. Ils choisirent Abou Bakr, qui devint le premier calife de l’Islam.
• Position Chiite (Minorité) : Cette minorité prétendait que le Prophète avait parfaitement désigné un successeur : Ali. Ali était son cousin germain, son gendre (époux de Fatima) et le père de sa seule descendance masculine. Les partisans d’Ali (Alaouites/Alévis) considéraient que ceux qui avaient choisi Abou Bakr avaient usurpé la fonction d’Ali par un coup d’État.
• Conséquences : Cette querelle de succession a ouvert une très longue période de violence et de guerres civiles qui a duré près de trois siècles et demi. Cette période violente coïncide avec l’élaboration des Écritures saintes (Coran et Hadith), ce qui pourrait expliquer la présence d’une certaine violence intégrée dans les textes de la religion naissante.
III. Les Spécificités Doctrinales : L’Imamologie Chiite
La différence fondamentale entre les deux courants réside dans la figure de l’autorité spirituelle, notamment celle de l’Imam chez les chiites.
La Religion de l’Imam
Pour les chiites, Ali est le premier Imam et le seul successeur légitime du Prophète. Le chiisme est une imamologie, une doctrine entièrement consacrée à la connaissance de cette figure du guide spirituel, qui est le pivot central de la religion chiite. Ce n’est absolument pas le cas dans le sunnisme.
• L’Imam Métaphysique : L’Imam est un être métaphysique (l’Homme Primordial, l’Homme Cosmique) qui est le lieu de manifestation des noms et des attributs de Dieu.
• L’Imam Terrestre : Cet être métaphysique se manifeste à travers des Imams physiques et terrestres (descendants d’Ali et de Fatima), appelés les alliés de Dieu (walī Allāh). Pour connaître ce qui peut être connu de Dieu (le Dieu révélé), il faut connaître l’Imam terrestre.
• Critique Sunnite : Les chiites ont souvent été accusés par les sunnites d’être « les chrétiens de la communauté musulmane » parce que leur conception de l’Imam comme « homme divin » était considérée comme hétérodoxe.
Le Conflit Herméneutique (Interprétation vs. Littéralisme)
La divergence des lectures des textes sacrés (Coran et Hadith) est au cœur de la distinction entre les deux courants. Le chiisme se définit comme une religion hermétique, fondée sur l’interprétation, tandis que le sunnisme orthodoxe a historiquement connu des courants plus littéralistes.
1. Le Chiisme et la Vision Duellle (Lettre et Esprit)
Le chiisme repose sur le couple de l’apparent (Zaher) et du caché (Bâtin).
• Le Prophète est le messager de la lettre de la parole divine (la dimension exotérique).
• L’Imam est chargé d’initier une minorité au sens caché, à l’esprit des Écritures (la dimension ésotérique).
• Dans cette dialectique, l’esprit (l’ésotérique) est considéré comme plus important que la lettre (l’exotérique). C’est pourquoi l’imam, en tant que maître de l’esprit, est vu par les chiites comme plus important que le Prophète, messager de la lettre, suscitant des accusations de la part des sunnites.
• L’Imam est ainsi le maître de la connaissance et de l’initiation.
2. La Vision Dualiste (Connaissance et Ignorance)
Le chiisme voit l’histoire du monde comme un combat cosmique entre les forces de la connaissance (le Bien, représenté par les Imams et leurs fidèles initiés) et les forces de l’ignorance (le Mal).
• Les adversaires (forces de l’ignorance) sont souvent ceux qui refusent l’esprit de la religion et n’en conservent que la lettre seule (Ahl al-Zahir).
• Ce littéralisme transforme la religion en une « religion de la lettre seule » et en un instrument de domination et de violence.
L’Enjeu du Littéralisme
Le conflit entre l’herméneutique (propre au chiisme) et le littéralisme est fondamental.
• L’herméneutique permet l’ouverture vers d’autres cultures et évite de limiter la religion à sa littéralité.
• Le littéralisme (que l’on retrouve dans certains courants sunnites, comme le courant hanbalite, et plus récemment le courant wahhabite en Arabie Saoudite) est une fermeture qui rejette l’interprétation, affirmant que le texte se suffit à lui-même.
• L’approche radicalement littéraliste conduit à la violence si l’on prend des passages intrinsèquement violents des textes sacrés dans leur seule littéralité. Le fondamentalisme actuel est ancré dans ce courant.
IV. Une Diversité Textuelle Précoce
La diversité entre les deux courants a même concerné les Écritures elles-mêmes pendant plusieurs siècles.
• Il y a eu énormément de débats et de guerres civiles autour des versions du Coran qui circulaient pendant plus de trois siècles et demi. Les sources (chiites et sunnites) parlent d’au moins quatre recensions coraniques différentes.
• Le Coran officiel, ou « Coran impérial », a été proclamé tel sous le califat d’Abd al-Malek (fin du VIIe siècle), mais les adversaires des Omeyyades (en particulier les premiers chiites, les Alaouites) l’ont considéré comme une version falsifiée et censurée.
• Les chiites prétendaient que la recension authentique d’Ali, appelée le « Coran parlant », était trois fois plus volumineuse que le Coran officiel, et que les noms des contemporains du Prophète (amis et ennemis) avaient été censurés pour des raisons politiques, rendant le texte actuel « fragmenté et décousu ».
• Parallèlement, la définition du Hadith diffère : pour les sunnites, il s’agit des propos du Prophète et d’un nombre limité de ses compagnons ; pour les chiites, il inclut les propos du Prophète, de sa fille Fatima, d’Ali et de la lignée des Imams, ce qui rend le corpus chiite extrêmement développé.
Discuss La figure de l’Imam.
La figure de l’Imam est l’élément central et distinctif de la foi chiite, au point que le chiisme est qualifié d’imamologie, soit une doctrine entièrement consacrée à la connaissance de ce guide spirituel.
Selon les sources, l’Imam est le véritable pivot autour duquel tourne toute la religion chiite.
I. Ali, le Premier Imam et la Question de l’Autorité Spirituelle
Le chiisme (qui est le courant religieux le plus ancien de l’Islam) est né autour de la question de l’autorité spirituelle qui doit succéder au Prophète Mahomet.
• Le Premier Guide: Ali, cousin germain, gendre du Prophète (époux de Fatima) et père de sa seule descendance masculine, est considéré par les chiites comme le seul successeur légitime du Prophète.
• Ali porte le titre d’Imam (guide, chef, leader). Il est considéré comme le premier guide spirituel de la communauté des fidèles.
• Lignée Sacrée: La lignée des Imams se poursuit à travers les descendants d’Ali et de Fatima.
Les chiites soutiennent que ceux qui ont choisi Abou Bakr (le premier calife sunnite) après la mort du Prophète ont usurpé la fonction d’Ali par un véritable coup d’État.
II. Nature Métaphysique et Importance Théologique
L’importance de la figure de l’Imam repose sur sa nature métaphysique et sa fonction théophanique (manifestation du divin).
1. L’Être Cosmique
L’Imam est un être métaphysique que la théologie chiite appelle l’Homme Primordial, l’Homme Cosmique (ou alicosmique), ou l’Ali céleste. Cet être est le lieu de manifestation des noms et des attributs de Dieu.
Selon la théologie chiite, Dieu a deux niveaux d’être : l’essence (qui est l’inconnaissable absolu) et le niveau des noms et des attributs (l’inconnu qui aspire à être connu, que les théologiens appellent le Dieu révélé).
• L’Imam est ce véhicule théophonique qui manifeste et révèle ce qui peut être connu en Dieu.
• Cet Imam céleste se manifeste à travers des Imams physiques et terrestres (les alliés de Dieu, walī Allāh).
• Pour connaître le Dieu révélé, il faut connaître l’Imam terrestre.
2. L’Homme Divin
La conception de l’Imam est très spécifique et a suscité des controverses au sein de l’Islam :
• Les sunnites ont historiquement accusé les chiites d’être « les chrétiens de la communauté musulmane », car ce qu’ils disent au sujet de l’Imam est similaire à ce que les chrétiens disent du Christ, c’est-à-dire un « homme divin ».
• Cette notion est jugée hétérodoxe (voire hérétique) par une certaine orthodoxie sunnite.
• Le secret ultime des enseignements ésotériques des Imams est l’homme divin ou Dieu fait homme, dont l’Imam est le symbole.
III. Rôle Herméneutique : Le Maître de l’Esprit
Dans la prophétologie chiite, la figure de l’Imam est complémentaire à celle du Prophète, mais possède une fonction supérieure dans la connaissance du sens profond des Écritures. Le chiisme repose sur la vision duelle de toute réalité : un niveau apparent (Zaher) et un niveau caché (Bâtin).
• Le Prophète est le messager de la Lettre de la parole divine (la dimension exotérique).
• L’Imam est le messager de l’Esprit. Il a pour mission d’initier une minorité des fidèles au sens caché, à l’esprit des Écritures.
Dans cette dialectique, l’esprit (l’ésotérique) est plus important que la lettre (l’exotérique). Il se lit entre les lignes dans les enseignements des Imams que la figure de l’Imam est plus importante que la figure du Prophète.
L’Imam est le maître de la connaissance et de l’initiation, invitant ses fidèles à une connaissance ésotérique et secrète. Cette tradition d’initiation au sens caché est perçue comme un chaînon ininterrompu qui remonte aux prophètes précédents, l’Imam de Moïse étant Josué, et les Imams de Jésus étant les apôtres (en particulier Simon-Pierre).
De plus, l’Imam est le guide des forces de la connaissance dans un combat cosmique contre les forces de l’ignorance. Les forces de l’ignorance sont souvent ceux qui refusent l’esprit de la religion et n’en conservent que la lettre seule (les littéralistes, Ahl al-Zahir).
IV. Le Statut Actuel et la Distinction des Termes
Il est essentiel de distinguer la figure théologique et historique des Imams chiites de l’usage moderne du terme.
L’Imam Caché (Chiisme Duodécimain)
Dans la branche dominante du chiisme (les Duodécimains), le nombre d’Imams est limité à douze.
• Le douzième Imam s’est occulté au IXe siècle et est devenu l’Imam caché.
• Le chiisme est une religion messianique qui professe le retour de cet Imam caché, appelé le Sauveur (le Mahdi ou le Qa’im, le résurrecteur), qui mettra fin à la domination du mal (l’ignorance et la violence) à la fin des temps.
La Distinction des Rôles
Le mot Imam n’a pas la même signification dans les deux grands courants de l’Islam.
Caractéristique | Sunnisme | Chiisme |
Statut du mot | Moins sacré. Désigne les savants religieux ou ceux qui dirigent les prières. | Mot sacré. Désigne les descendants directs d’Ali et de Fatima. |
Rôle | Direction de la prière collective, éducation. | Guide spirituel, maître initiateur, homme divin. |
Le Clergé | N’importe qui peut se déclarer Imam selon certaines règles. | Le clergé (propre au chiisme imâmite depuis le XVIe siècle) est composé de juristes théologiens sans caractère sacré, dont le rôle est de combler l’absence de l’Imam caché pour la gestion institutionnelle. |
L’octroi du titre d’Imam à des figures politiques modernes (comme l’Ayatollah Roumanie) a créé des conflits parmi les dignitaires religieux chiites, car ils soutenaient que le titre ne peut être porté que par les descendants directs d’Ali.
Exégèse et Littéralisme.
L’Exégèse (ou Herméneutique) et le Littéralisme représentent deux approches fondamentales et opposées de la lecture des Écritures saintes en Islam, et ce conflit est au cœur de la diversité doctrinale de la religion. La diversité de l’Islam proviendrait en partie de la diversité des interprétations des textes sacrés (le Coran et le Hadith) par les différents courants intellectuels.
I. L’Herméneutique (Exégèse) : L’Ouverture du Chiisme
Le chiisme, en particulier, se présente dès ses textes les plus anciens comme une religion hermétique, entièrement fondée sur l’interprétation.
La Nécessité de l’Interprétation
Selon la vision chiite, les textes sacrés, y compris le Coran, ne se résument pas à leur littéralité.
• Ils possèdent plusieurs couches de sens.
• Il revient à l’Imam, et par extension à ses initiés, d’aller découvrir ces sens cachés par l’herméneutique, c’est-à-dire par l’exégèse, le commentaire et l’interprétation.
La Dialectique de l’Esprit et de la Lettre
Cette approche herméneutique repose sur la vision duelle de toute réalité, où chaque chose possède un niveau apparent ou exotérique (Zaher) et un niveau caché ou ésotérique (Bâtin). Cela s’applique à la parole divine :
• Le Prophète est le messager de la lettre de la parole divine (la dimension exotérique).
• L’Imam (le guide spirituel chiite) est le messager de l’esprit. Sa mission est d’initier une minorité des fidèles au sens caché des Écritures.
• Dans cette dialectique, l’esprit (l’ésotérique) est plus important que la lettre (l’exotérique).
L’Ouverture Culturelle
L’herméneutique est vue comme une ouverture.
• Le fait de considérer qu’un texte peut avoir différentes lectures et compréhensions différentes fait qu’une religion devient une culture et une civilisation.
• Elle permet d’éviter de limiter la religion à sa seule littéralité.
• Elle crée une ouverture vers d’autres cultures et d’autres traditions intellectuelles et spirituelles. Les grands courants de pensée islamiques (exégétiques, philosophiques, mystiques) sont allés chercher des « lunettes différentes » (idées, concepts) chez les Juifs, les Chrétiens, les Grecs, les Iraniens, les Manichéens, etc., pour comprendre leurs textes.
Bien que cette notion d’herméneutique soit née en Islam grâce au chiisme, elle s’est étendue au sunnisme, qui possède également des courants puissants d’exégèse.
II. Le Littéralisme : La Fermeture et la Violence
Le littéralisme est l’approche opposée à l’herméneutique. Il est au centre du conflit historique qui traverse l’Islam.
Rejet de l’Interprétation
Le littéralisme est une fermeture. Les littéralistes (appelés Ahl al-Zahir ou les gens de la lettre seule par les chiites) professent que :
• Le texte se résume à sa lettre.
• Le texte sacré (Coran et Hadith) se suffit à lui-même.
• Il ne revient pas à l’homme de l’interpréter.
• L’on n’a pas besoin d’aller chercher les clés de la compréhension des textes ailleurs.
Conséquences du Littéralisme
Les sources associent fortement le littéralisme à des conséquences négatives :
1. Instrument de Pouvoir et de Répression : Le littéralisme est vu comme une fermeture qui, en ne conservant que la lettre seule, transforme la religion en un instrument de domination et de violence.
2. Conduite à la Violence : L’approche littéraliste mène obligatoirement à la violence si l’on prend des passages intrinsèquement violents du Coran ou de l’Ancien Testament dans leur littéralité seule.
3. Le Fondamentalisme Actuel : Le fondamentalisme ou islamisme radical actuel est fondé sur un courant radicalement littéraliste.
◦ Le courant wahhabite (religion d’État en Arabie Saoudite), qui était très minoritaire il y a 30 ans, est cité comme l’exemple d’un courant littéraliste qui rejette toute interprétation possible du Coran.
III. Le Conflit Actuel
Le conflit entre l’herméneutique et le littéralisme est malheureusement toujours d’actualité. Sur le plan théorique et doctrinal, les conflits contemporains dans le Moyen-Orient (même s’ils sont instrumentalisés par des raisons géostratégiques) sont marqués par l’opposition entre :
• Ceux qui sont adeptes de l’herméneutique et du commentaire des textes (où le chiisme est naturellement positionné).
• Ceux qui sont adeptes de la littéralité (comme le wahhabisme).
L’interprétation et l’herméneutique sont vues comme ce qui a atténué la violence religieuse durant les siècles passés. Le littéralisme, en revanche, en rejetant la distance critique et l’histoire, maintient les conflits passés dans une éternelle actualité, augmentant ainsi la violence.
IV. Exégèse et Sciences Humaines
Une question connexe est le degré d’intégration des sciences humaines (histoire, philologie) dans l’interprétation des textes religieux islamiques.
• Le problème de l’Islam sur le plan intellectuel est le fait que les musulmans, y compris les lettrés, n’ont pas encore intégré l’histoire.
• Contrairement à l’Occident, où l’introduction de l’histoire et de la philologie a permis de considérer les autorités religieuses comme des auteurs appartenant à un contexte historique, géographique et linguistique, il n’y a pas encore cette distance critique par rapport aux choses de la foi en Islam.
• Cependant, il est noté que les chiites sont plus ouverts aux résultats des sciences humaines que les sunnites. Par exemple, des écoles chiites traduisent les travaux islamologiques occidentaux (études critiques sur l’Islam) en arabe et en persan depuis une quinzaine d’années, ce qui est très nouveau et inexistant dans les milieux sunnites.
Article Cordoba
Analyse de la Diversité au Sein de l’Islam : Le Chiisme et ses Spécificités
Synthèse Exécutive
Ce document de synthèse analyse la diversité inhérente à l’islam, en se concentrant sur les origines, les doctrines et les caractéristiques du chiisme, le principal courant minoritaire. L’islam, loin d’être monolithique, est pluriel depuis ses origines, traversé par de multiples courants dont les plus importants sont le sunnisme (environ 80 % des musulmans) et le chiisme (15-20 %, soit 200-250 millions de fidèles).
La scission fondamentale remonte à la mort du Prophète Mahomet en 632 et à la question de sa succession. Alors qu’une majorité a choisi Abou Bakr par consensus, une minorité a soutenu que le Prophète avait désigné son cousin et gendre, Ali, comme successeur légitime. Cet événement fondateur a placé la figure de l’Imam au centre absolu du chiisme, le définissant comme une « imamologie » où le guide spirituel est le pivot de toute la doctrine, analogue à la figure du Christ dans le christianisme.
La vision du monde chiite se caractérise par une double perspective :
1. Une vision duelle, qui postule que toute réalité possède un niveau apparent, exotérique (Zâhir) et un niveau caché, ésotérique (Bâtin). Cette dualité s’applique à Dieu, aux Écritures (la lettre et l’esprit) et à l’Imam lui-même.
2. Une vision dualiste, qui conçoit l’histoire comme un combat cosmique entre les forces de la connaissance (menées par les Imams) et celles de l’ignorance.
Cette doctrine a fait du chiisme une religion fondamentalement herméneutique, axée sur l’interprétation des textes pour en dévoiler les sens cachés. Cette approche s’oppose radicalement au littéralisme prôné par certains courants sunnites, notamment le wahhabisme, qui est identifié comme le fondement doctrinal de l’islamisme radical contemporain. Enfin, l’analyse historique révèle une complexité souvent méconnue des textes fondateurs, notamment l’existence de plusieurs versions du Coran durant les premiers siècles et le développement tardif de dogmes tels que l’illettrisme du Prophète.
1. La Pluralité Fondamentale de l’Islam
Contrairement à une perception répandue, l’islam n’a jamais été une religion monolithique. Dès ses origines, il a été traversé par une multitude de courants théologiques, juridiques, philosophiques et mystiques. Cette diversité provient en grande partie des différentes lectures et interprétations des textes sacrés, le Coran et le Hadith (les traditions prophétiques).
L’islam se compose principalement de deux grandes familles :
• Le Sunnisme : Le courant majoritaire, représentant environ 80 % des musulmans, qui se considère comme l’orthodoxie. Cette orthodoxie est cependant autoproclamée.
• Le Chiisme : Le principal courant minoritaire, qui rassemble entre 15 % et 20 % des musulmans, soit une population estimée entre 200 et 250 millions de personnes.
2. Le Chiisme : Démographie et Branches Principales
Distribution Géographique
Le chiisme, bien que minoritaire à l’échelle mondiale, est prédominant dans plusieurs régions :
• Iran : C’est le seul pays où le chiisme est religion d’État (depuis le XVIe siècle), avec 65 à 70 millions de fidèles.
• Sous-continent indien (Inde, Pakistan, Bangladesh) : La population chiite y est plus nombreuse qu’en Iran, avec environ 80 millions de personnes.
• Irak et Azerbaïdjan : Les chiites y sont majoritaires.
• Autres régions : D’importantes minorités existent en Syrie, au Liban, en Afghanistan et en Asie centrale.
Il est à noter que les statistiques précises sont difficiles à établir, car dans de nombreux pays à majorité sunnite, les chiites ne déclarent pas leur appartenance doctrinale par crainte de persécutions. Des groupes comme les Bektachis en Turquie (10-15 millions) ou les Alaouites en Syrie et en Turquie sont également d’obédience chiite, même s’ils ne se désignent pas toujours ainsi.
Les Trois Grandes Familles du Chiisme
Le chiisme n’est pas non plus un bloc unifié. Il se divise en trois branches principales :
1. Les Zaydites : Présents principalement au Yémen, ils sont estimés entre 5 et 10 millions.
2. Les Ismaéliens : Dirigés spirituellement par l’Aga Khan, ils sont entre 15 et 20 millions, majoritairement en Inde, mais aussi en Afrique orientale et en Occident.
3. Les Duodécimains (ou Imamites) : C’est la branche dominante, représentant entre 150 et 200 millions de fidèles. C’est le chiisme officiel en Iran. Son nom vient de la croyance en une lignée de douze Imams.
3. Origines et Fondements du Chiisme
La Question de la Succession du Prophète
La « première étincelle » du chiisme remonte à la mort du Prophète Mahomet en 632. Le clivage originel porte sur la question de sa succession :
• La position majoritaire (future sunnite) : Le Prophète n’avait désigné personne. Il revenait donc à ses compagnons de choisir un successeur. Ils élurent Abou Bakr comme premier calife.
• La position minoritaire (future chiite) : Le Prophète avait explicitement désigné son cousin et gendre, Ali, comme son successeur. Pour les partisans d’Ali, le choix d’Abou Bakr constitue une usurpation, un « véritable coup d’état ».
Ali était une figure centrale : cousin germain du Prophète, époux de sa fille Fatima, et père de sa seule descendance masculine (Hassan et Hussein). Ce conflit initial sur l’autorité a engendré près de trois siècles de guerres civiles et de violences, durant lesquelles la quasi-totalité des figures importantes de l’islam naissant sont mortes de manière violente. Il est souligné que la rédaction des textes sacrés (Coran et Hadith) s’est déroulée durant cette même période de conflits intenses, ce qui explique en partie la présence d’une certaine violence dans ces textes.
La Figure Centrale de l’Imam
Au-delà de la question politique du pouvoir temporel, le chiisme s’est très tôt focalisé sur la question de l’autorité spirituelle. Cette autorité est incarnée par la figure de l’Imam (le guide).
• Ali est considéré comme le premier Imam, le seul successeur légitime du Prophète.
• Le chiisme est défini comme la « religion de l’Imam », de la même manière que le christianisme est la « religion du Christ ». La figure de l’Imam est le pivot autour duquel s’articulent toutes les disciplines religieuses chiites (droit, philosophie, exégèse, etc.).
• Cette doctrine est qualifiée d’imamologie, et c’est ce qui distingue le plus fondamentalement le chiisme du sunnisme, où l’imam (avec un « i » minuscule) désigne simplement un savant ou un guide de prière.
4. La Vision du Monde Chiite
La pensée chiite, telle qu’elle est exposée dans ses textes sacrés (le Hadith des Imams), repose sur une double vision du monde.
Une Vision Duèle : L’Apparent (Zâhir) et le Caché (Bâtin)
Selon le chiisme, toute réalité, de Dieu à la plus triviale, comporte deux niveaux :
• Un niveau apparent, exotérique (Zâhir).
• Un niveau caché, ésotérique (Bâtin).
Cette dualité est omniprésente :
1. En Dieu : Il y a l’essence de Dieu, à jamais inconnaissable et absolue, et le niveau des noms et attributs de Dieu, qui aspire à être connu. C’est le « Dieu révélé » par opposition au « Dieu abscons ».
2. En Théophanie : L’Imam, en tant qu’entité métaphysique (« l’Homme Parfait », « l’Homme Primordial »), est le lieu de manifestation des attributs divins. Cet Imam cosmique se manifeste à son tour sur terre à travers des imams terrestres (les descendants d’Ali), qui sont les « alliés de Dieu ». Pour connaître ce qui peut être connu de Dieu, il faut donc connaître l’Imam terrestre.
3. Dans la Prophétie et les Écritures :
◦ Le Prophète est le messager de la lettre de la révélation (l’exotérique), destinée à la majorité.
◦ L’Imam est le messager de l’esprit de la révélation (l’ésotérique), dont il initie une élite minoritaire au sens caché.
◦ Cette structure s’appliquerait à toutes les religions : Moïse (lettre de la Torah) avait son Imam (Josué), Jésus (lettre des Évangiles) avait ses Imams (les apôtres, surtout Simon-Pierre). Les chiites se perçoivent comme le dernier maillon de cette chaîne d’initiés.
Dans cette dialectique, l’esprit (l’ésotérique) est considéré comme supérieur à la lettre (l’exotérique), ce qui conduit à la perception que, dans le chiisme, la figure de l’Imam est fonctionnellement plus importante que celle du Prophète.
Une Vision Dualiste : Le Combat entre Connaissance et Ignorance
L’histoire du monde est perçue comme une guerre cosmique et permanente entre deux forces opposées :
• Les forces du Bien et de la Connaissance : Représentées par les Prophètes, les saints et les Imams, ainsi que leurs fidèles initiés. Elles sont toujours minoritaires et persécutées.
• Les forces du Mal et de l’Ignorance : Représentées par les adversaires des « amis de Dieu ». Ces adversaires ne sont pas des païens, mais le plus souvent des membres de la communauté religieuse elle-même qui refusent l’esprit pour s’en tenir uniquement à la lettre. En séparant la lettre de l’esprit, ils transforment la religion en un instrument de pouvoir, de domination et de violence.
5. Implications Politiques et Messianiques
Cette vision du monde a des conséquences directes sur la posture du fidèle :
• Quiétisme Politique : Le monde étant structurellement dominé par les forces de l’ignorance, le fidèle chiite est traditionnellement invité à se tenir à l’écart de toute activité politique, que ce soit pour renverser un pouvoir injuste ou pour collaborer avec lui. Le but est de préserver la pureté de sa foi.
• Attente Messianique : Cette situation de domination du mal ne prendra fin qu’avec l’arrivée d’un Sauveur à la fin des temps, le Mahdi (ou le Qâ’im, « le Résurrecteur »), qui est identifié dans le chiisme duodécimain comme le douzième Imam, « occulté » au IXe siècle et dont le retour est attendu.
• Le Paradoxe Iranien : La Révolution islamique d’Iran de 1979 représente une rupture radicale avec cette tradition quiétiste, en promouvant une version politisée et idéologisée du chiisme.
6. Herméneutique contre Littéralisme : Une Division Fondamentale
La doctrine du sens caché fait du chiisme une religion herméneutique, c’est-à-dire fondée sur l’interprétation. Les textes sacrés ne se limitent pas à leur sens littéral ; ils possèdent de multiples couches de sens que l’Imam et ses initiés ont pour mission de découvrir.
• L’Herméneutique comme ouverture : Cette nécessité d’interpréter a historiquement favorisé une ouverture vers d’autres cultures (grecque, iranienne, juive, chrétienne) pour y trouver des « clés » de lecture. C’est l’interprétation qui transforme une religion en une culture et une civilisation.
• Le Littéralisme comme fermeture : À l’opposé se trouvent les courants littéralistes (comme le courant hanbalite dans le sunnisme), qui affirment que le texte se suffit à lui-même et ne doit pas être interprété.
• Le Conflit Actuel : Ce clivage est toujours d’actualité. L’islamisme radical contemporain, notamment le wahhabisme (doctrine d’État en Arabie Saoudite), est fondé sur un littéralisme radical. En prenant les passages violents des textes sacrés à la lettre, sans le filtre de l’interprétation qui a prévalu pendant des siècles, ce courant mène directement à la violence. Le conflit actuel au Moyen-Orient peut donc être analysé, sur le plan doctrinal, comme un affrontement entre une vision herméneutique et une vision littéraliste de l’islam.
7. Points Clés de la Session de Questions-Réponses
L’Histoire et la Sacralité du Coran
• Versions Multiples : Pendant les trois premiers siècles de l’islam, il n’y avait pas un Coran unique et unanimement accepté. Les sources anciennes, y compris sunnites, parlent d’au moins quatre recensions coraniques différentes qui circulaient.
• Canonisation Tardive : Le Coran officiel actuel (« Coran impérial ») aurait été proclamé à la fin du VIIe siècle sous le calife omeyyade Abd al-Malik, mais son acceptation par tous les courants a pris plusieurs siècles.
• Le « Coran d’Ali » : Les premiers chiites rejetaient cette version officielle, la considérant comme falsifiée et censurée. Ils affirmaient que le Coran originel, celui d’Ali, était trois fois plus volumineux et contenait les noms des amis et des ennemis du Prophète, noms qui auraient été supprimés par les usurpateurs du pouvoir. Cette censure expliquerait le caractère décousu et fragmenté du texte coranique actuel.
• Doctrines Tardives : Des dogmes comme l’illettrisme du Prophète (qui n’a pas de base historique solide, selon le conférencier) ou le caractère « incréé » du Coran sont des constructions apologétiques tardives (IIIe-IVe siècle de l’Hégire).
La Distinction du Clergé Chiite
Le chiisme duodécimain est le seul courant de l’islam à posséder un clergé institutionnalisé.
• Origine : Ce clergé s’est développé à partir du XVIe siècle en Iran pour combler le vide laissé par l’occultation du dernier Imam. Les juristes-théologiens ont alors assumé l’autorité spirituelle et temporelle.
• Rôle : Ce clergé assure une discipline et un contrôle doctrinal qui n’existent pas dans le sunnisme, où n’importe qui peut se déclarer « imam ». Cependant, il a aussi pu devenir un « État dans l’État », menant à une instrumentalisation politique du religieux, comme en Iran.
L’Exégèse et les Sciences Humaines
Le monde musulman, y compris chiite, n’a pas encore pleinement intégré les outils des sciences humaines (histoire, philologie) dans l’étude de ses textes sacrés.
• Cette absence de distance critique et d’historicisation des textes et des figures religieuses explique pourquoi les conflits anciens (comme le martyre des descendants d’Ali) sont vécus avec une intensité contemporaine. Il n’y a « pas d’histoire, tout est éternel pour le croyant », ce qui alimente la violence.
Les Racines de l’Islam Radical
L’essor de l’islam radical est directement lié à l’expansion du wahhabisme, un courant sunnite ultra-minoritaire jusqu’à récemment. Son succès s’explique principalement par le financement massif et « astronomique » provenant de l’Arabie Saoudite et d’autres milieux financiers, utilisé pour construire des mosquées, former des imams et propager sa doctrine littéraliste à l’échelle mondiale.
Analyse Comparative : Les Courants Sunnite et Chiite de l’Islam
1. Introduction : Au-delà du Monolithe Islamique
Loin de l’image d’une religion monolithique, l’islam a été, dès ses origines, traversé par une pluralité de courants théologiques, juridiques et philosophiques. Cette diversité inhérente trouve sa principale ligne de fracture dans la distinction entre le sunnisme, courant majoritaire, et le chiisme, son principal courant minoritaire. Pour tout professionnel cherchant à naviguer avec pertinence dans le contexte géopolitique, social et culturel contemporain, la compréhension de cette distinction fondamentale n’est pas un simple détail académique, mais un impératif stratégique. Elle éclaire des dynamiques régionales profondes, des alliances politiques et des visions du monde qui continuent de façonner l’actualité.
Cette analyse comparative se propose de décrypter les facteurs clés de différenciation entre ces deux branches majeures de l’islam. Pour saisir cette fracture dans sa profondeur, notre analyse s’attachera à décortiquer les concepts fondamentaux qui structurent la vision du monde chiite, car c’est en eux que résident les différences les plus irréductibles avec le courant sunnite. Nous examinerons la genèse historique de leur séparation, leurs divergences doctrinales, notamment autour de la figure de l’Imam, ainsi que les différences structurelles qui en découlent. L’objectif est de fournir une grille de lecture claire et synthétique pour appréhender avec justesse la complexité du monde musulman.
Pour commencer, il est essentiel de revenir au point de rupture initial : la crise politique et spirituelle qui a suivi la mort du Prophète Mahomet et qui a scellé la destinée de sa succession.
2. Origines de la Scission : La Crise de Succession Prophétique
La divergence fondatrice entre le sunnisme et le chiisme n’est pas, à l’origine, une querelle théologique abstraite, mais une crise éminemment politique et spirituelle survenue immédiatement après la mort du Prophète Mahomet en 632. La question de savoir qui devait légitimement lui succéder pour guider la communauté des croyants a constitué le point de rupture fondamental, créant une fracture qui n’a cessé de s’approfondir au fil des siècles.
Deux positions antagonistes ont alors émergé, donnant naissance aux deux futurs grands courants de l’islam :
• La position majoritaire (proto-sunnite) : La majorité des compagnons du Prophète a soutenu que celui-ci n’avait désigné aucun successeur de son vivant. Il revenait donc à la communauté de choisir un leader parmi ses membres les plus respectés. C’est sur cette base qu’Abou Bakr, un compagnon de la première heure, fut désigné comme le premier calife, ou successeur temporel du Prophète.
• La position minoritaire (proto-chiite) : À l’inverse, une minorité de fidèles affirmait que le Prophète avait explicitement et à plusieurs reprises désigné son cousin et gendre, Ali, comme son héritier et successeur légitime. Pour ce groupe, le choix d’Abou Bakr ne représentait donc pas une décision communautaire légitime, mais une usurpation, voire un « véritable coup d’État » qui privait Ali de son droit divin.
Ce clivage politique initial a déclenché une longue et violente période de guerres civiles qui s’est étendue sur près de trois siècles. Cette instabilité a profondément marqué l’islam naissant, se déroulant parallèlement à la phase cruciale d’élaboration et de compilation de ses textes sacrés, le Coran et le Hadith.
Rapidement, cette fracture politique autour de la légitimité du pouvoir s’est transformée en une profonde divergence doctrinale. Elle s’est cristallisée autour de la nature même de l’autorité religieuse et de la figure centrale qui devait l’incarner, une figure que les chiites nommeront l’Imam.
3. Démographie et Branches Internes : Cartographie des Deux Courants
Bien que le chiisme soit minoritaire à l’échelle mondiale, il constitue une part significative et très influente du monde musulman. Comprendre sa répartition géographique et sa diversité interne est essentiel pour saisir son poids réel.
La répartition démographique actuelle, telle qu’estimée par les spécialistes, s’établit comme suit :
• Sunnisme : Le courant très largement majoritaire, représentant environ 4/5 (soit 80 % à 85 %) des musulmans dans le monde.
• Chiisme : Le principal courant minoritaire, qui rassemble entre 15 % et 20 % des musulmans, soit une communauté estimée entre 200 et 250 millions de fidèles.
La présence chiite est particulièrement concentrée dans certaines régions clés :
• Religion d’État : L’Iran est le seul pays où le chiisme est religion d’État, et ce depuis le XVIe siècle.
• Populations majoritaires : Les chiites sont majoritaires en Irak et en Azerbaïdjan.
• Importantes communautés : On trouve des communautés chiites très importantes en Inde, au Pakistan et au Bangladesh (où leur nombre total dépasse celui des chiites iraniens), ainsi qu’en Syrie et en Afghanistan.
Le chiisme n’est pas non plus un bloc monolithique ; il se divise en trois grandes familles principales :
• Les Zaydites : Présents notamment au Yémen.
• Les Ismaéliens : Connus pour être les adeptes de l’Aga Khan, ils sont principalement répartis en Inde et en Afrique orientale.
• Les Duodécimains (ou Imamites) : Il s’agit de la branche très majoritaire du chiisme, qui constitue la religion d’État en Iran.
Une spécificité structurelle majeure du chiisme duodécimain est l’existence d’un clergé institutionnalisé, un phénomène récent à l’échelle de l’histoire de l’islam. Apparu au XVIe siècle avec la dynastie des Safavides en Iran, ce clergé de juristes-théologiens a été instauré pour combler le vide d’autorité laissé par l’occultation du douzième et dernier Imam, considéré comme l’Imam caché. Cette structure hiérarchisée, sans équivalent direct dans le monde sunnite, est devenue un facteur de différenciation sociale et politique essentiel.
Au-delà des chiffres et des structures, la différence la plus profonde entre sunnisme et chiisme réside dans la doctrine. Le cœur de cette divergence se trouve dans le rôle, la nature et le statut accordés à la figure de l’Imam.
4. La Figure de l’Imam : Le Cœur de la Divergence Doctrinale
La distinction théologique la plus fondamentale entre le chiisme et le sunnisme réside dans la figure de l’Imam. Saisir ce concept est indispensable pour comprendre l’essence du chiisme, qui peut être défini comme une imamologie : une doctrine entièrement centrée sur la connaissance de l’Imam. Toutes les disciplines religieuses chiites — du droit à la philosophie, en passant par l’exégèse coranique — sont subordonnées à cette figure et prennent leur sens par rapport à elle.
Le tableau suivant met en lumière la différence radicale de définition du terme « imam » entre les deux courants :
Courant | Définition et Rôle de l’Imam |
Chiisme | Titre sacré désignant le successeur spirituel et temporel légitime du Prophète, descendant d’Ali et de sa femme Fatima. Guide spirituel infaillible, il est le pivot de la religion, le maître de l’interprétation des textes, un pont entre le divin et l’humain et une figure théophanique, c’est-à-dire le lieu de manifestation des attributs divins sur terre. |
Sunnisme | Terme non sacré désignant un savant religieux, un juriste, ou plus communément, celui qui dirige la prière collective dans une mosquée. Il ne possède aucune autorité spirituelle infaillible, héréditaire ou d’essence divine. |
L’affirmation selon laquelle « le chiisme est la religion de l’Imam comme le christianisme est la religion du Christ » illustre parfaitement cette centralité. Dans la pensée chiite, l’Imam n’est pas seulement un guide politique ; il est une figure métaphysique, un « homme divin » qui est le seul détenteur des sens cachés de la Révélation.
Cette focalisation absolue sur l’Imam façonne une vision du monde et une approche de la religion qui sont entièrement spécifiques au chiisme, structurées par une double perspective sur la réalité.
5. La Vision du Monde Chiite : Une Double Perspective
La vision du monde chiite est caractérisée par une double grille de lecture, qui s’articule entièrement autour de la figure de l’Imam. Elle combine une vision duelle, basée sur des concepts complémentaires, et une vision dualiste, fondée sur un conflit fondamental.
La Vision Duelle : L’Apparent (Exotérique) et le Caché (Ésotérique)
Le principe fondamental de cette vision est que toute réalité possède deux niveaux indissociables : un niveau apparent, extérieur et accessible à tous (Zahir ou exotérique), et un niveau caché, intérieur et accessible uniquement par l’initiation (Batin ou ésotérique).
Ce couple conceptuel s’applique à tous les niveaux de l’existence :
1. Dieu : La théologie chiite distingue l’essence de Dieu, qui demeure à jamais inconnaissable (le caché), de ses noms et attributs, qui aspirent à être connus (l’apparent). Cette manifestation du divin connaissable s’opère à travers une entité métaphysique, l’Imam cosmique.
2. La Prophétie : Le couple Prophète/Imam est central. Le Prophète (comme Moïse, Jésus ou Mahomet) a pour mission d’apporter la « lettre » de la révélation divine, sa dimension exotérique, à la majorité des fidèles. Simultanément, chaque prophète est accompagné d’un Imam (comme Josué pour Moïse, Simon-Pierre pour Jésus, ou Ali pour Mahomet) dont le rôle est d’initier une minorité d’élus à « l’esprit » de cette même révélation, sa dimension ésotérique.
3. Les Écritures : En conséquence, la parole divine (comme le Coran) possède un sens littéral, la « lettre », et de multiples couches de sens cachés, « l’esprit ». L’accès à ces niveaux de compréhension profonds n’est possible que par l’enseignement et l’initiation de l’Imam.
La Vision Dualiste : Le Combat entre Connaissance et Ignorance
Parallèlement, la pensée chiite perçoit l’histoire humaine et cosmique comme le théâtre d’un combat incessant entre deux forces antagonistes :
• Le Bien, assimilé à la connaissance et à la lumière.
• Le Mal, assimilé à l’ignorance et à l’obscurité.
Les acteurs de ce conflit cosmique sont clairement identifiés :
• Les Forces de la Connaissance : Elles sont menées par les Imams et leurs fidèles. Ce groupe constitue une minorité initiée, consciente des réalités ésotériques et, de ce fait, historiquement persécutée.
• Les Forces de l’Ignorance : Celles-ci ne sont pas principalement les païens ou les non-croyants. L’adversaire principal est celui qui, au sein même de la communauté religieuse, rejette « l’esprit » de la révélation pour s’en tenir exclusivement à « la lettre seule ». En séparant la lettre de l’esprit, il ampute la religion de sa profondeur et la transforme en un instrument de pouvoir, de domination et de violence.
Cette opposition fondamentale entre une approche initiatique et une approche littéraliste se reflète directement dans la manière dont les textes sacrés eux-mêmes sont définis et abordés.
6. Divergences sur les Textes Sacrés et l’Interprétation
Les profondes divergences doctrinales entre sunnisme et chiisme se manifestent de manière très concrète dans la définition et l’approche des deux sources fondamentales de l’islam : le Coran et le Hadith (les traditions prophétiques).
Des Corpus Différemment Définis
• Le Coran : Du point de vue de la tradition chiite primitive, le Coran officiel, tel qu’il fut canonisé par le pouvoir califal, est perçu comme une version incomplète ou altérée. Cette perspective soutient que la recension originelle, attribuée à Ali, aurait été bien plus volumineuse et aurait contenu des passages explicites sur la légitimité de la famille du Prophète, passages qui auraient été délibérément censurés. Dans cette vision, le texte officiel devient le « Coran silencieux », un corpus qui a perdu une partie de sa parole et dont seul l’Imam, qualifié de « Coran parlant », peut restaurer le sens plénier.
• Le Hadith : La définition du corpus des traditions est également différente. Pour les sunnites, le Hadith se compose principalement des propos et actes du Prophète Mahomet et d’un nombre limité de ses compagnons. Pour les chiites, le corpus est beaucoup plus vaste : il inclut non seulement les enseignements du Prophète, mais aussi ceux de sa fille Fatima et de toute la lignée des Imams descendants d’Ali.
Herméneutique contre Littéralisme : Une Opposition Fondamentale
Au-delà de la définition des corpus, c’est la méthode d’approche des textes qui constitue une ligne de fracture majeure.
• Le chiisme se définit fondamentalement comme une religion herméneutique, c’est-à-dire fondée sur l’interprétation. Pour les chiites, un texte sacré ne se limite jamais à sa littéralité ; il possède de multiples couches de sens cachés qu’il revient à l’Imam et à ses initiés de découvrir. Cette approche favorise une ouverture intellectuelle vers d’autres cultures (grecque, iranienne, etc.) pour y trouver des clés de lecture et d’interprétation.
• À l’opposé se trouve le littéralisme, une approche présente dans certains courants sunnites qui considère que les textes sacrés se suffisent à eux-mêmes et doivent être pris au pied de la lettre, sans interprétation humaine. Cette méthode tend à une fermeture intellectuelle, affirmant que le texte n’a pas besoin de clés de lecture externes pour être compris.
Cette opposition est d’une actualité brûlante. Le fondamentalisme radical contemporain, à l’image du wahhabisme, est l’héritier d’un courant radicalement littéraliste. En rejetant l’herméneutique qui a historiquement permis d’atténuer la portée de certains passages violents, le littéralisme strict peut mener à une application directe de ces versets.
Ces différences doctrinales et méthodologiques ont logiquement engendré des structures d’autorité distinctes, la plus notable étant l’émergence d’un clergé institutionnalisé au sein du chiisme, une structure sans équivalent direct dans le monde sunnite.
7. Conclusion : Synthèse des Facteurs de Différenciation
Pour les professionnels cherchant une compréhension claire et opérationnelle, la distinction entre sunnisme et chiisme peut être synthétisée autour de cinq facteurs de différenciation fondamentaux. Chacun de ces points découle logiquement du précédent, formant un système cohérent qui explique la profondeur du schisme.
• Origine Historique : La divergence naît d’une querelle initialement politique sur la succession du Prophète Mahomet, qui évolue rapidement pour devenir un schisme théologique durable.
• Pilier Doctrinal : Le cœur de la doctrine chiite est la centralité absolue de la figure de l’Imam, considéré comme le guide spirituel infaillible, descendant du Prophète et seul détenteur du sens caché de la Révélation. Cette notion est absente du sunnisme.
• Vision du Monde : Le chiisme est structuré par une cosmologie spécifique, marquée par la dualité de l’apparent et du caché (exotérique/ésotérique) et par le dualisme d’un combat cosmique entre les forces de la connaissance (menées par les Imams) et celles de l’ignorance (le littéralisme).
• Approche Textuelle : Il existe une opposition fondamentale entre une tradition chiite intrinsèquement herméneutique (fondée sur l’interprétation) et des courants majeurs au sein du sunnisme où le littéralisme (le refus de l’interprétation) est une force dominante.
• Structure Religieuse : Une conséquence de l’histoire et de la doctrine est l’émergence, au sein du chiisme duodécimain, d’un clergé hiérarchisé et institutionnalisé, une structure qui n’a pas d’équivalent direct dans le monde sunnite.
Comprendre ces axes de différenciation permet de dépasser les simplifications et d’acquérir une vision plus fine et plus juste des dynamiques qui animent le monde musulman, de ses débats intellectuels internes à ses tensions géopolitiques les plus vives.
Lien de la conférence : https://www.youtube.com/watch?v=-c-c40y1dgE