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Le judaïsme aujourd’hui : qu’a-t-il en commun avec ses origines ?

Cette première conférence de l’année aura lieu le mardi 19 décembre 2017 au centre culturel de Saint-Mandé.
Madame le rabbin Floriane Chinsky du MJLF, docteur en sociologie et titulaire d’un master de sciences du judaïsme nous présentera Le judaïsme aujourd’hui : qu’a-t-il en commun avec ses origines ?

 

La figure d’Abraham dans les trois monothéismes

Notre dernière conférence de l’année La figure d’Abraham dans les trois monothéismes aura lieu le lundi 19 juin 2017 au centre culturel de Saint-Mandé.

Elle réunira :

  • Madalina VARTEJANU-JOUBERT
  • Edmond LISLE
  • Adrien LEITES

Conférence Saint-Mandé 19 juin 2017

La figure d’Abraham dans les trois monothéismes 1/2 from Association Cordoba on Vimeo.

La figure d’Abraham dans les trois monothéismes 2/2 from Association Cordoba on Vimeo.

Peut-on toucher aux textes sacrés ?

Cette conférence est animée par: Yann BOISSIERE, rabbin au Mouvement juif libéral de France. Jacques-Noël PERES, professeur honoraire à l’Institut protestant de théologie. Karim IFRAK, islamologue et historien au CNRS.

Résumé est article Cordoba « Peut-on toucher aux textes sacrés ?«  1/3

Le point de vue sur ce sujet par Yann BOISSIERE

L’introduction présente un débat général sur la relation aux textes sacrés qui varie selon les religions et leurs courants internes, et qui aborde la question de l’interprétation par opposition au littéralisme. Les intervenants sont annoncés, représentant le judaïsme libéral (Yan Boissière), le protestantisme luthérien (James Noël Pérès) et l’islamologie (Gavin Chiffrable). Une large partie du texte est consacrée à la réflexion de M. Boissière sur la manière dont le judaïsme aborde l’interprétation de la parole divine, utilisant des histoires talmudiques pour illustrer la plasticité de l’interprétation et la suprématie de la discussion rabbinique (Loi Orale) sur le littéralisme (Loi Écrite).

Textes sacrés.

La discussion sur les textes sacrés, telle qu’abordée dans les sources, se concentre principalement sur la question de leur interprétation et de l’autorité qui en découle, en prenant largement appui sur l’exemple de la tradition juive.

La Nature et l’Appellation des Textes Sacrés

Le rapport aux textes sacrés est extrêmement varié, différant d’une religion à l’autre et même entre les divers courants de chaque religion. Les intervenants doivent préciser quels textes sont considérés comme sacrés au sein de leur foi.

Dans le judaïsme, le terme « sacré » n’est pas celui qui est le plus souvent utilisé ; on lui préfère le terme « saint ». Ce terme fait référence à la parole divine comme étant « séparée, distincte ».

Les textes importants dans la tradition juive comprennent :

1. La Bible : Composée de la Torah (le Pentateuque, la première partie), des Prophètes, et des Écrits (les Hagiographes).

2. Le Talmud : Le premier texte post-biblique, rédigé longtemps après. C’est un vaste recueil (43 traités) qui traite de tous les domaines de la vie courante. Il vise à organiser la vie de manière légale (comme un code civil) et contient des discussions souvent contradictoires.

Le Rôle Central de l’Interprétation

La question fondamentale concernant les textes sacrés est de savoir si on doit les élaguer, les rapporter, ou les interpréter. L’interprétation est au cœur de cette réflexion.

Chaque religion analyse et interprète ses textes selon ses propres critères et méthodes. De plus, les traditions religieuses s’ouvrent à des méthodes inspirées par les sciences humaines, telles que l’histoire, l’archéologie, et l’analyse textuelle.

Rejet du Littéralisme Les sources soulignent le risque du littéralisme (« littéralisme »), qui consiste à réduire de façon directe et abrupte des propos ou des comportements. Dans la pensée juive, en revanche, il n’y a pas de place pour le littéralisme. La lecture de la parole de Dieu est imaginée comme étant sans cesse plastique, évolutive et contradictoire. L’interprétation est considérée comme un devoir.

Le Concept de la Torah Orale et de la Torah Écrite

L’attitude juive envers les textes est expliquée par le concept de la Loi orale et de la Loi écrite.

La Torah Écrite est la révélation simple transmise par Moïse et transcrite par des hommes.

La Torah Orale est la loi rabbinique, c’est-à-dire l’interprétation. Elle englobe le Talmud, tous les codes rabbiniques, les responsa et l’ensemble de la littérature rabbinique des siècles suivants.

Le point essentiel, qui est presque un dogme dans le judaïsme, est que ces deux révélations (la Torah écrite et la Torah orale, y compris tous les commentaires humains qui en découlent) ont été données en même temps au Mont Sinaï, malgré l’impossibilité logique.

Cette position axiomatique signifie que l’interprétation humaine a le même statut de révélation que la parole initiale supposée littérale. La révélation est perçue comme progressive.

Autorité et Contradiction

Une question clé liée à l’interprétation est celle de l’autorité : qui a autorité pour interpréter ?

Dans la tradition juive, la pensée rabbinique met fin au modèle du prophète inspiré. La vérité n’est plus imposée par un interprète charismatique. C’est désormais la discussion entre les sages qui devient le cœur du débat.

Les rabbins ont instauré l’idée que l’interprétation d’un texte sacré n’est pas nécessairement de chercher à comprendre l’intention de l’auteur divin. L’interprétation est déconnectée de l’intention de l’auteur. La signification ultime du texte dépend des lecteurs autorisés qui l’interprètent. Le texte appartient ainsi beaucoup plus à ses lecteurs qu’à sa source.

La Controverse et la Souplesse La controverse est chérie, encouragée et développée dans le judaïsme. Elle est vue comme une manière d’approcher Dieu et d’éviter de figer la parole divine en une idole.

Les différentes interprétations contradictoires sont considérées comme étant toutes les « paroles du Dieu vivant ». C’est pour cette raison que les positions contradictoires des sages (même l’avis minoritaire) sont souvent conservées dans le Talmud, car elles sont une source de dynamique potentielle, et les choses ne sont jamais figées.

Techniques d’Exégèse

Les rabbins ont développé des techniques d’herméneutique très précises pour l’interprétation.

1. Le Pardès : C’est un acronyme hébreu (signifiant « paradis ») qui distingue quatre niveaux de lecture :

    ◦ Le Chat (le sens évident).

    ◦ Le Remez (l’allusion).

    ◦ Le Derash (l’exégèse ou le Midrash).

    ◦ Le Sod (le secret, la lecture mystique).

2. Le Midrash : Le mot hébreu drosh, signifiant « exiger, » caractérise la lecture juive des textes. Il s’agit d’exiger du verset qu’il nous dise des choses qui ne sont pas immédiatement données.

3. L’Association de Versets : La méthode exégétique juive met souvent en contact des versets apparemment sans lien, parfois situés à l’autre bout de la Torah, mais partageant un mot ou même une seule lettre en commun, pour en faire jaillir une « étincelle ».

Jugement et Contexte Actuel

Il est important de ne jamais juger une religion au nom de ses seuls textes fondateurs. Les textes fondateurs sont souvent contradictoires, et ce qui caractérise une religion est la manière dont elle les interprète et les dépasse. Il est d’ailleurs noté que, parfois, les sages font exactement l’inverse de ce qui est dit dans la Bible.

Un texto-centrisme exagéré est critiqué dans l’appréciation des problèmes actuels. Une religion est aussi une communauté d’hommes, une socialité liée à un contexte politique et culturel précis. Les facteurs culturels (comme le littéralisme ou son absence, l’ouverture au pouvoir politique, ou la place faite aux femmes) sont souvent les vraies clés de l’analyse des situations, dépassant le simple texte.

Interprétation religieuse.

L’interprétation religieuse est au cœur de la réflexion concernant les textes sacrés, la question fondamentale étant de savoir si ces textes doivent être rapportés, élagués ou interprétés. Le judaïsme, en particulier, offre un modèle très détaillé de la manière d’envisager et d’intégrer l’interprétation dans la Révélation elle-même.

Le Caractère Essentiel et Évolutif de l’Interprétation

Chaque religion procède à l’analyse et à l’interprétation de ses textes selon ses propres critères et méthodes. Les traditions religieuses s’ouvrent également à des méthodes inspirées par les sciences humaines, telles que l’histoire, l’archéologie et l’analyse textuelle.

Le Rejet du Littéralisme La question de l’interprétation se pose face au risque de littéralisme, qui consiste à réduire de façon directe et abrupte des propos ou des comportements. Dans la pensée juive, cependant, il n’y a pas de place pour le littéralisme. Au contraire, la lecture de la parole divine doit être imaginée comme étant sans cesse plastique, évolutive et contradictoire. L’interprétation est ainsi vue comme un devoir.

La Révélation Progressive : Torah Orale et Torah Écrite L’attitude juive envers les textes sacrés s’explique par le concept de Loi orale et de Loi écrite.

La Torah Écrite est la révélation simple transmise par Moïse et transcrite par des hommes.

La Torah Orale représente la loi rabbinique, c’est-à-dire l’interprétation. Elle englobe le Talmud, tous les codes rabbiniques, les responsa et toute la littérature rabbinique des siècles suivants.

Le point essentiel, qui est presque un dogme dans le judaïsme, est que ces deux révélations—le texte initial et toutes les interprétations humaines qui en découlent—ont été données en même temps au Mont Sinaï, malgré l’impossibilité logique. Cette position axiomatique implique que la révélation est progressive. Par conséquent, une interprétation humaine, pourvu qu’elle soit authentique et faite selon une certaine technique d’exégèse, a le même statut de révélation que la parole supposée littérale initiale.

L’Autorité de l’Interprète et la Déconnexion avec l’Auteur

L’interprétation est étroitement liée à la question de l’autorité : qui a l’autorité pour interpréter ?.

Dans la tradition rabbinique, le modèle du prophète inspiré est révolu. La vérité n’est plus imposée par un interprète unique au nom de son charisme. Au lieu de cela, c’est la discussion entre les sages qui devient le cœur du débat, les décisions étant prises à la majorité.

Une idée « révolutionnaire » dans la pensée rabbinique est la déconnexion entre l’interprétation et l’intention de l’auteur. Interpréter un texte sacré n’est plus nécessairement essayer de comprendre ce que l’auteur (Dieu) avait en tête. La signification ultime du texte dépend des lecteurs autorisés qui l’interprètent. Ainsi, dans la tradition rabbinique, le texte appartient beaucoup plus à ses lecteurs qu’à sa source.

La Contradiction comme Vérité Divine

La tradition juive chérie, développe et encourage la controverse. La contradiction est vue comme une manière d’éviter de figer la parole divine en une idole et d’approcher Dieu.

Les différentes interprétations contradictoires sont toutes considérées comme les « paroles du Dieu vivant ». C’est pourquoi le Talmud conserve les avis contradictoires des sages (comme Hillel et Shammai). Même les avis minoritaires sont conservés, parfois parce qu’il se pourrait qu’un jour ils deviennent majoritaires, garantissant que les choses ne sont jamais figées et qu’il existe une dynamique potentielle.

Le but d’une discussion n’est pas toujours d’atteindre un compromis ou une synthèse, mais parfois d’aboutir à une vision plus claire et détaillée de la contradiction.

Techniques d’Exégèse

Les rabbins ont développé des techniques d’herméneutique très précises.

1. Le Pardès : Cet acronyme hébreu (signifiant « paradis ») distingue quatre niveaux de lecture :

    ◦ Le Chat (le sens évident).

    ◦ Le Remez (l’allusion).

    ◦ Le Derash (l’exégèse, ou le Midrash).

    ◦ Le Sod (le secret, la lecture mystique).

2. Le Midrash (ou Drosh) : Le mot hébreu drosh signifie « exiger ». Il caractérise la lecture juive, qui consiste à exiger du verset qu’il révèle des choses qui ne sont pas immédiatement données, car on sent qu’il y a toujours plus que ce que le texte dit.

3. L’Association de Versets : Une méthode d’exégèse consiste à mettre en contact des versets situés parfois à l’autre bout de la Torah, et qui n’ont apparemment rien à voir, mais qui partagent un mot ou même une seule lettre commune, pour en faire jaillir une « étincelle ».

Interprétation et Jugement Actuel

Il est crucial de ne jamais juger une religion uniquement au nom de ses textes fondateurs. Les textes fondateurs sont souvent contradictoires, et ce qui caractérise véritablement une religion est la manière dont elle interprète, dépasse, et parfois fait l’inverse de ce qui est dit dans ses textes.

Un texto-centrisme exagéré est critiqué dans l’appréciation des problèmes actuels. Une religion est aussi une communauté d’hommes, une socialité liée à un contexte politique et culturel précis. Les facteurs culturels (tels que le littéralisme ou son absence, la place faite aux femmes, ou l’ouverture au pouvoir politique) sont souvent les vraies clés de l’analyse des situations, dépassant le seul texte.

Littéralisme et tradition.

La discussion sur le littéralisme et la tradition dans les sources se concentre principalement sur l’opposition entre une lecture abrupte des textes sacrés et l’approche dynamique et évolutive de l’interprétation, largement illustrée par la tradition juive.

Le Littéralisme : Une Réduction Agressive

Le littéralisme est défini comme la tendance à réduire de façon directe et abrupte des propos ou des comportements. Cette approche est mentionnée avec les risques que cela comporte.

Dans la tradition juive, la réflexion sur le rapport aux textes sacrés aborde directement la question du point de vue vis-à-vis du littéralisme.

Le Rejet du Littéralisme par la Tradition Juive

La tradition rabbinique expose une position catégorique face au littéralisme : il n’y a pas de littéralisme dans cette pensée. Au contraire, le judaïsme n’imagine pas un seul instant que la parole de Dieu puisse susciter une lecture littéraliste.

La tradition instaure un devoir d’interpréter. La lecture de la parole divine est imaginée comme étant sans cesse plastique, évolutive et contradictoire.

L’Interprétation au Cœur de la Tradition (Torah Orale et Écrite)

L’attitude juive vis-à-vis des textes est expliquée par le concept de la Torah orale et de la Torah écrite.

1. La Torah Écrite est la révélation simple, transcrite par des hommes.

2. La Torah Orale est la loi rabbinique, c’est-à-dire l’interprétation. Elle inclut le Talmud, tous les codes rabbiniques, les responsa, et l’ensemble de la littérature rabbinique des siècles suivants.

Le point essentiel, considéré presque comme le seul dogme du judaïsme, est que ces deux révélations—le texte initial et l’interprétation humaine (la tradition)—ont été données en même temps au Mont Sinaï.

Cette position axiomatique confère à l’interprétation humaine (c’est-à-dire la tradition rabbinique) le même statut de révélation que la parole supposée littérale initiale. La tradition considère donc la révélation comme progressive. Par conséquent, même une interprétation qui surgit une génération plus tard, si elle est authentique et faite selon une certaine technique d’exégèse, possède cette légitimité divine.

La Dynamique de la Tradition : Plasticité et Contradiction

La tradition met en évidence la plasticité de l’interprétation. À travers les siècles, l’enseignement se déforme, le langage et les préoccupations changent, au point qu’il n’y a parfois plus aucun rapport entre le texte de la Torah et le texte du Talmud, tout en maintenant un lien direct de filiation.

De plus, la tradition rabbinique est caractérisée par la controverse, qui est chérie, développée et encouragée. Les différentes interprétations contradictoires sont toutes considérées comme les « paroles du Dieu vivant ». La contradiction est conservée (y compris les avis minoritaires) parce qu’elle est source de dynamique potentielle et garantit que les choses ne sont jamais figées.

La tradition, en encourageant la discussion démocratique des sages (plutôt que l’autorité d’un prophète inspiré), affirme que la signification ultime du texte dépend des lecteurs autorisés qui l’interprètent, faisant en sorte que le texte appartienne beaucoup plus à ses lecteurs qu’à sa source.

Littéralisme et Facteurs Culturels Actuels

Dans un contexte actuel, les sources mettent en garde contre le fait de juger une religion uniquement au nom de ses textes fondateurs, car ce qui caractérise une religion est la manière dont elle interprète ses textes et les dépasse.

Il est noté qu’un texto-centrisme exagéré est souvent utilisé pour apprécier les problèmes actuels. Les facteurs culturels d’une religion sont souvent les vraies clés d’analyse des situations, dépassant le seul texte. Parmi ces facteurs culturels, on trouve le littéralisme ou son absence.

Il existe des littéralistes dans toutes les religions. Il est souligné que souvent, deux littéralistes de religions différentes peuvent être beaucoup plus proches l’un de l’autre que ne le sont les coreligionnaires de leur propre religion, car ces facteurs culturels (comme l’adhésion ou non au littéralisme) sont des clés d’analyse plus vastes que le texte lui-même.

Torah orale et écrite.

La discussion sur la Torah orale et écrite est fondamentale pour comprendre l’attitude de la tradition juive vis-à-vis des textes sacrés et de l’interprétation. Le concept est considéré comme le seul dogme, à la limite, du judaïsme.

Définition des Deux Composantes

Dans la tradition juive, cette notion pose qu’il y a deux révélations ou, plus précisément, une seule révélation divisée en deux aspects.

1. La Torah Écrite (Loi Écrite)

La Torah écrite est la révélation simple. C’est celle qui a été transmise par Moïse (Moché), puis transcrite humainement par des hommes pour donner le texte de la Torah tel qu’il existe aujourd’hui. La Torah est la première partie de la Bible (le Pentateuque).

2. La Torah Orale (Loi Orale)

La Torah orale représente la loi rabbinique. Elle est l’incarnation de l’interprétation. Elle ne se limite pas aux commentaires initiaux, mais englobe tout ce qui en découle :

Le Talmud : Le premier texte post-biblique, un vaste recueil (43 traités) qui cherche à organiser la vie de manière légale (une sorte de code civil) et contient des discussions très contradictoires.

Tous les codes rabbiniques, les responsa.

L’ensemble de la littérature rabbinique des siècles et des siècles suivants jusqu’à aujourd’hui.

L’Axiome de la Concomitance

Bien que la Torah orale soit constituée de commentaires humains écrits au fil des siècles (le Talmud ayant été rédigé longtemps après la Bible), le point crucial de ce dogme est que la Torah écrite et la Torah orale ont été données en même temps au Mont Sinaï.

Cette position est considérée comme axiomatique et non complètement logique. Elle est appuyée par l’interprétation des sages d’un verset utilisant le pluriel Torot (Torahs), montrant que deux Torahs ont été données simultanément.

Ce principe signifie que même si la Torah orale et la Torah écrite ne sont absolument pas concomitantes dans le temps (elles sont séparées par des siècles), elles sont données par principe logique comme équivalentes et concomitantes.

Implications du Couple Torah Orale/Écrite

L’unification de ces deux formes de révélation a des conséquences profondes sur la perception des textes sacrés et de l’autorité religieuse :

1. Statut de la Révélation Humaine : La position axiomatique implique que toute la parole humaine découlant de l’interprétation rabbinique possède le même statut de révélation que la parole supposée littérale initiale. Le texte appartient ainsi beaucoup plus à ses lecteurs qu’à sa source.

2. Révélation Progressive : La révélation n’est pas figée ; elle est perçue comme progressive. Une interprétation authentique, même si elle apparaît une génération plus tard, a la même légitimité divine que la parole initiale, pourvu qu’elle soit faite selon une certaine technique d’exégèse.

3. Rejet du Littéralisme : Ce concept nie la possibilité du littéralisme. Il y a un devoir d’interpréter. La parole divine est imaginée comme étant sans cesse plastique, évolutive et contradictoire.

4. Légitimité de la Contradiction : La tradition (Torah orale) chérie et encourage la controverse. Les interprétations contradictoires des sages sont toutes considérées comme les « paroles du Dieu vivant ». La dynamique de l’étude implique que les choses ne sont jamais figées.

Autorité d’interpréter.

L’autorité d’interpréter est une question clé immédiatement liée à la notion de textes sacrés et d’interprétation religieuse. La réflexion sur qui détient le pouvoir d’interpréter est essentielle et diffère d’une religion à l’autre, ainsi qu’entre les divers courants au sein de chaque religion.

La tradition juive offre un modèle particulièrement détaillé sur la manière dont cette autorité a été établie et légitimée, rompant avec des modèles antérieurs.

La Fin du Modèle Prophétique

La pensée rabbinique, qui représente la pensée juive pour les siècles à venir, met fin au modèle du prophète inspiré. Bien que les prophètes soient révérés pour leur parole de vérité, la vérité n’est plus imposée par un seul interprète au nom de son charisme.

Le cœur du débat et le lieu de l’autorité est désormais la discussion. Les décisions se prennent à la majorité.

Le Conflit d’Autorité : Dieu contre la Communauté

Une histoire tirée du Talmud illustre de manière frappante ce transfert d’autorité, opposant Rabbi Éliezer et Rabbi Yehoshoua (Joshua) lors d’une discussion sur la cacherout.

L’Autorité basée sur la Source (Rabbi Éliezer) : Rabbi Éliezer, souhaitant prouver qu’il est l’interprète autorisé, recourt à des miracles (le caroubier qui déracine, le cours d’eau qui se détourne, les murs qui s’inclinent). Il tente de faire intervenir Dieu lui-même (Bat Kol) dans la discussion. Rabbi Éliezer considère qu’il est le « bon interprétant » car il serait en contact avec la source et comprendrait l’intention unique de Dieu.

L’Autorité basée sur la Communauté (Rabbi Yehoshoua) : Rabbi Yehoshoua s’y oppose vigoureusement en protestant : « Je suis désolé, Dieu, tu nous as donné ta Torah, la Torah est désormais humaine ». Il affirme qu’il n’y a plus de parole prophétique et que les décisions des sages doivent se prendre à la majorité.

L’histoire se conclut par l’approbation divine de la position de Rabbi Yehoshoua. Dieu rougit de contentement et dit au prophète Élie : « Mes enfants m’ont vaincu ».

La Déconnexion entre Interprétation et Intention de l’Auteur

La victoire de l’approche de Rabbi Yehoshoua dans la pensée rabbinique établit une déconnexion entre l’interprétation et l’intention de l’auteur. Interpréter un texte sacré n’est plus nécessairement essayer de comprendre ce que Dieu avait en tête.

C’est la version révolutionnaire qui triomphe : la signification ultime du texte ne dépend plus de sa source, mais des lecteurs autorisés qui l’interprètent. Le texte appartient beaucoup plus à ses lecteurs qu’à sa source.

La Légitimité de la Parole Humaine

Ce transfert d’autorité est conceptuellement fondé sur la notion de Torah orale et Torah écrite.

Bien que la Torah orale (qui est la loi rabbinique et l’interprétation) soit une parole humaine, elle est considérée comme ayant été donnée en même temps que la Torah écrite (la parole initiale) au Mont Sinaï.

Cette position axiomatique signifie qu’une interprétation humaine (faite par les sages et les rabbins), pourvu qu’elle soit authentique et faite selon une certaine technique d’exégèse, a le même statut de révélation que la parole supposée littérale initiale. La révélation est ainsi considérée comme progressive.

L’Autorité dans la Contradiction

L’autorité d’interpréter est également exercée à travers la légitimation de la controverse.

Le Statut de la Contradiction : La pensée juive chérie, développe et encourage la controverse.

Les interprétations contradictoires des sages sont toutes considérées comme les « paroles du Dieu vivant ».

Conservation des Avis : Même si les décisions sont prises à la majorité, les avis minoritaires sont conservés dans les codes de loi, car ils sont une source de dynamique potentielle et empêchent les choses d’être figées. Le but d’une discussion n’est pas toujours la synthèse, mais parfois une vision plus claire et détaillée de la contradiction elle-même.

En résumé, dans la tradition rabbinique, l’autorité d’interpréter est une autorité déléguée et démocratique, résidant dans la discussion des sages, permettant à la parole humaine de devenir elle-même partie intégrante de la révélation divine.

Résumé est article Cordoba « Peut-on toucher aux textes sacrés ?«  2/3

Le point de vue sur ce sujet par Jacques-Noël PERES

Jacques-Noël PERES, explore les défis complexes et les nuances de l’interprétation des textes sacrés, en particulier la Bible au sein des différentes confessions chrétiennes. L’orateur souligne la diversité des approches, notamment entre les catholiques qui se réfèrent au magistère et les protestants qui mettent l’accent sur la Sola Scriptura (l’Écriture seule). Un point central de la discussion concerne la question du canon — quels livres font autorité — car différentes traditions (comme les Éthiopiens avec 81 livres) ont des collections différentes. Enfin, l’interprète insiste sur l’importance de la traduction, des variantes textuelles et de la méthode historico-critique pour comprendre le contexte originel, tout en reconnaissant que la lecture de la Bible est avant tout une expérience où le croyant cherche à entendre Dieu lui parler.

Canons bibliques.

La question des Canons bibliques est centrale, notamment dans la tradition chrétienne, car elle détermine quels livres composent l’« Écriture seule » (sola scriptura) sur laquelle les croyants doivent se fonder. Le terme canon (cânon) signifie règle.

La Définition et l’Autorité du Canon

Le mot Bible en lui-même (Biblia) signifie « livres pluriels ». Une fois que l’on considère la Bible comme une collection de livres, il devient nécessaire de définir quels livres en font partie. La question se pose alors : « qui a autorité pour dire voilà quels sont les livres qui entrent dans ce qu’on appelle le canon » ?

Le choix du canon est fondamental, car il influence directement la doctrine et l’interprétation. La lecture d’un chrétien dépend de la tradition à laquelle il appartient (orthodoxe, catholique, protestant, évangélique).

Variations et Débats sur l’Ancien Testament

La question du canon a engendré des divisions, particulièrement concernant l’Ancien Testament.

Le Choix des Réformateurs : Lors de la Réforme au XVIe siècle, une des affirmations essentielles était sola scriptura. Les réformateurs ont choisi de reprendre le canon hébreu pour l’Ancien Testament.

Le Canon Catholique : Les catholiques, en revanche, ont gardé le canon grec (ou alexandrin).

Les Deutérocanoniques : Les livres présents dans le canon grec mais absents du canon hébreu sont appelés deutérocanoniques (du deuxième canon). Le désaccord sur ces livres a des implications doctrinales. Par exemple, la prière pour les morts, rejetée par les protestants car elle ne se trouve pas dans la Bible telle qu’ils la définissent, est présente dans un des livres deutérocanoniques (les Maccabées). Les protestants argumentent que ces livres ne sont pas dans le canon hébreu, bien qu’ils fassent partie de la Bible des Juifs de langue grecque.

Ambiguïtés du Nouveau Testament

Concernant le Nouveau Testament, le critère généralement admis depuis l’antiquité chrétienne est le caractère apostolique du livre. Cependant, ce critère soulève des problèmes :

• Si un livre apostolique est défini comme un livre écrit par un apôtre, alors il faudrait rejeter Marc et Luc, qui n’étaient pas des apôtres, bien que leurs Évangiles fassent partie des quatre reconnus.

L’Autorité Historique et la Canonisation

Historiquement, l’établissement du canon fut un processus long et complexe.

Absence d’Autorité Unique : Il est notable qu’aucun concile de l’antiquité chrétienne n’a défini le canon. Un consensus général s’est établi grosso modo vers le IVe siècle sans qu’une personne n’intervienne avec autorité.

Les Conciles et Listes : Saint Augustin a fourni une liste qui a été utilisée lors du Concile de Carthage. Ce n’est qu’après la Réforme protestante que le Concile de Trente (à partir de 1545) a donné une liste précise, introduisant les deutérocanoniques que les protestants niaient.

Le Cas de l’Apocalypse : L’Apocalypse fut le livre qui eut le plus de mal à rentrer dans le canon ; au IVe siècle, son inclusion n’était pas encore certaine. Aujourd’hui encore, les chrétiens syriaques sont très réticents quant à sa présence.

Le Canon le Plus Vaste : L’existence de canons variés est attestée par l’exemple de l’Église Tewahedo éthiopienne, qui possède la plus grande Bible du monde avec 81 livres, incluant des textes comme le livre d’Hénoch.

En définitive, l’interprète doit d’abord déterminer quel est le canon qu’il utilise. La question du canon est donc primordiale avant même de pouvoir comprendre les variantes textuelles et d’interpréter le texte.

Variantes textuelles.

Les variantes textuelles constituent un aspect fondamental de l’étude des textes sacrés, soulevant des questions cruciales sur la manière dont les croyants définissent, acceptent et interprètent le texte qu’ils considèrent comme autoritaire.

L’Existence des Variantes et l’Interprétation

Les textes de la Bible ont été écrits, réécrits, copiés et traduits. En conséquence, l’une des premières questions que doit se poser l’interprète est la suivante : « qu’est-ce qu’un texte de la Bible ? » et « y a-t-il des variantes dans les textes ? ».

Après avoir défini le canon (la liste des livres reconnus), il est indispensable de comprendre les variantes afin de déterminer quel est le texte de base à interpréter. La question se pose alors de savoir s’il faut tenir compte des variantes ou pas.

Le Rôle Révélateur des Variantes

Les variantes textuelles sont considérées comme « bigrement importantes ». Elles jouent un rôle essentiel car elles rappellent les nombreuses manières de penser de ceux qui ont transmis le texte.

L’analyse textuelle, inspirée des sciences humaines, est d’ailleurs l’une des méthodes auxquelles les religions s’ouvrent pour l’étude et l’interprétation de leurs textes.

Implications Théologiques et Controverses

L’existence de variantes n’est pas qu’une question académique, elle a des implications doctrinales majeures. Le choix d’inclure ou de rejeter une variante peut orienter fondamentalement la théologie.

Un exemple célèbre de débat lié aux variantes concerne le récit du baptême de Jésus. Une voix venant du ciel, celle du Père, dit : « celui-ci est mon fils bien évident ». Cependant, tous les textes ne disent pas cela. Certains textes anciens laissent entendre que Jésus « aujourd’hui, il est devenu fils de Dieu ».

L’acceptation ou le rejet de cette variante est au cœur de grands débats théologiques. Ce choix détermine si l’on considère :

1. Jésus comme un homme adopté par Dieu ;

2. Ou s’il est réellement Dieu.

L’interprète doit choisir s’il prend la variante qui sous-tend une certaine lecture théologique, ou s’il s’en tient au « texte généralement reçu ».

Les sources mentionnent également l’existence de passages très célèbres dont l’authenticité est débattue, car les « meilleurs manuscrits de l’évangile de Jean » ne contiennent pas ces textes. Cela pose la question de savoir si, oui ou non, il faut les garder.

En somme, l’étude des variantes textuelles est une étape primordiale pour l’interprète de la Bible, qui doit non seulement comprendre les sens des mots, mais aussi définir la règle (le canon) et le texte (la version) qu’il utilise comme fondement.

Interprétation biblique.

L’interprétation biblique est la pierre angulaire de l’étude et de la pratique du christianisme, car elle détermine la manière dont les croyants se rapportent à l’« écriture seule » (sola scriptura). Chaque religion, y compris les différentes confessions chrétiennes, analyse et interprète ses textes selon ses propres méthodes et critères.

I. Les Préalables à l’Interprétation : Canon et Texte

Avant même de pouvoir interpréter, le croyant doit définir deux éléments cruciaux : le canon et le texte lui-même.

1. La Définition du Canon

Le terme Bible signifie « livres pluriels » (Biblia). La première tâche consiste à établir quels livres forment ce pluriel. Le canon est la règle (cânon) qui détermine quels livres sont admis comme faisant partie de l’Écriture.

Différences Confessionnelles : Le choix du canon est une source de division. Les Réformateurs (Protestants) ont choisi de retenir le canon hébreu pour l’Ancien Testament, tandis que les Catholiques ont conservé le canon grec (ou alexandrin), incluant les livres deutérocanoniques.

Implications Doctrinales : Le choix du canon a des conséquences directes sur la doctrine; par exemple, la prière pour les morts est un sujet de désaccord lié à la présence de ces pratiques dans les livres deutérocanoniques (comme les Maccabées).

Le Nouveau Testament : Le critère d’inclusion pour le Nouveau Testament est généralement le caractère apostolique. Cependant, ce critère pose problème si un livre apostolique doit être écrit par un apôtre, car cela pourrait nécessiter le rejet de Marc et Luc.

Historique : Aucun concile de l’antiquité chrétienne n’a défini le canon, mais un consensus s’est établi vers le IVe siècle. L’Apocalypse fut le livre qui eut le plus de mal à être accepté dans le canon.

2. La Prise en Compte des Variantes Textuelles

Une fois le canon défini, l’interprète doit prendre en compte les variantes textuelles. Les textes ayant été écrits, réécrits, copiés et traduits, des variantes existent, et elles sont jugées « bigrement importantes ».

Rôle des Variantes : Les variantes rappellent « les nombreuses manières de penser de ceux qui ont transmis le texte ».

Enjeux Théologiques : Le choix de la variante est fondamental car il peut avoir des implications doctrinales majeures. Par exemple, la variante du récit du baptême de Jésus qui sous-entendrait qu’il « est devenu fils de Dieu » aujourd’hui, est au cœur des débats sur sa nature divine ou son adoption par Dieu. L’interprète doit donc choisir s’il retient la variante ou s’il s’en tient au « texte généralement reçu ».

II. Les Méthodes et Traditions d’Interprétation

L’interprétation diffère grandement selon les confessions.

1. Les Différents Courants

Catholiques et Orthodoxes : Les Orthodoxes lisent la Bible avec les Pères de l’Église, tandis que les Catholiques la lisent avec les affirmations, injonctions et éclaircissements du magistère.

Protestants et Sola Scriptura : Les Protestants, adhérant à sola scriptura, sont souvent considérés comme libres d’interpréter, ce qui donne parfois l’impression que « tout protestant est [son] pape » et forge sa propre conception de la foi.

2. Les Niveaux de Lecture Exégétique

Dans l’Antiquité chrétienne, les Pères de l’Église (comme Saint Augustin) distinguaient quatre sens de l’Écriture :

1. Le sens historique (le petit texte, le sens littéral).

2. Le sens allégorique (ce qu’il faut croire).

3. Le sens tropologique (ce que l’on doit faire, le sens moral).

4. Le sens anagogique (le sens mystérieux ou spirituel, qui nous envoie vers la vertu).

3. L’Ouverture aux Sciences et l’Historico-Critique

Les traditions religieuses s’ouvrent à des méthodes inspirées des sciences humaines, telles que l’histoire, l’archéologie et l’analyse textuelle.

Les Protestants, en particulier, sont sensibles à la méthode historico-critique. Cette méthode consiste à replacer le texte dans son contexte pour pouvoir le comprendre. Elle est utilisée pour déchiffrer des commandements qui semblent désuets, en comprenant pourquoi l’auteur (comme Paul) les a écrits (par exemple, concernant les femmes couvertes dans les assemblées en fonction du contexte culturel grec). Le but est de savoir ce que l’on doit faire aujourd’hui du texte.

III. La Nature de la Parole et le Rôle de l’Interprète

L’interprète doit reconnaître la double nature du texte biblique.

Parole Humaine et Divine : Bien que la Bible soit le support de la parole de Dieu, elle est également « pétri[e] d’humanité ». Elle contient des prières et des paroles d’hommes. Quand le croyant lit la Bible, il « entend dieu qui me parle », mais il reconnaît que le texte n’est pas forcément la Parole de Dieu elle-même, mais un support.

La Traduction : Le premier travail de l’interprète est d’être traducteur. Une traduction doit être revue tous les jours pour rester compréhensible et pertinente pour le lecteur contemporain.

Le Dialogue : L’interprète doit voir ce que Dieu veut lui dire. L’interprétation doit permettre à la parole de se faire entendre. Pour ce faire, il est important de savoir quel est celui qui parle et de ne pas lire l’Écriture comme un livre sans importance dans la culture humaine.

Traditions chrétiennes.

Les traditions chrétiennes constituent un panorama vaste de confessions différentes. Il est difficile de parler au nom de l’ensemble du christianisme, mais les sources identifient les grands courants : les Orthodoxes, les Catholiques, les Protestants, auxquels s’ajoutent les Évangéliques depuis plus d’un siècle.

Ces confessions se distinguent notamment par leur approche de l’autorité et de l’interprétation des textes sacrés.

L’Autorité d’Interprétation Selon les Traditions

La manière dont chaque tradition lit et interprète la Bible varie fortement :

1. Les Orthodoxes : Ils lisent la Bible en ayant en main les Pères de l’Église.

2. Les Catholiques : Ils lisent la Bible avec les affirmations, injonctions et éclaircissements du magistère.

3. Les Protestants et la Sola Scriptura : L’une des affirmations essentielles de la Réforme (en 1517) était la « sola scriptura » (l’Écriture seule) comme unique fondement pour le croyant. Cette approche conduit souvent à l’idée que « tout protestant est [son] pape » avec sa Bible à la main, forgeant sa propre conception de la foi.

Il est également mentionné que l’interprétation des textes religieux se fait selon les traditions auxquelles l’individu appartient.

Les Débats Canoniques

La question fondamentale de la Bible—dont le mot (Biblia) signifie « livres pluriels »—est de savoir quels livres sont admis dans le canon (la règle). Les traditions chrétiennes divergent sur cette liste :

L’Ancien Testament :

    ◦ Les Réformateurs (Protestants) ont choisi de reprendre le canon hébreu.

    ◦ Les Catholiques ont conservé le canon grec (ou alexandrin).

Les Deutérocanoniques : Cette divergence a donné lieu à l’existence des livres deutérocanoniques (du deuxième canon), présents dans le canon grec mais absents du canon hébreu. Ces livres sont l’objet d’un débat doctrinal. Par exemple, la prière pour les morts, un sujet que les protestants nient, se trouve dans un des livres deutérocanoniques (les Maccabées).

Le Concile de Trente : Ce n’est qu’après la Réforme protestante que le Concile de Trente (à partir de 1545) a donné une liste précise, introduisant les deutérocanoniques que les protestants niaient.

Autres Canons : Le christianisme oriental est représenté par l’exemple de l’Église Tewahedo éthiopienne, qui possède la plus grande Bible du monde avec 81 livres, incluant des textes comme le livre d’Hénoch. Les chrétiens syriaques sont également mentionnés pour leur réticence historique à inclure l’Apocalypse dans le canon.

Le Nouveau Testament : Le critère généralement admis pour l’inclusion des livres du Nouveau Testament est le caractère apostolique. Cependant, si cela signifie qu’il doit être écrit par un apôtre, il faudrait alors rejeter Marc et Luc. L’Apocalypse fut le livre qui eut le plus de mal à rentrer dans le canon.

Les Méthodes d’Interprétation

L’étude des textes sacrés dans les traditions chrétiennes fait appel à diverses méthodes, y compris celles inspirées par les sciences humaines comme l’histoire et l’analyse textuelle.

1. Les Quatre Sens de l’Écriture

Dans l’Antiquité chrétienne, les Pères de l’Église (comme Saint Augustin, qui évoquait que Moïse pouvait avoir eu plusieurs pensées, même des choses que nous n’avons pas encore comprises) ont distingué quatre niveaux de lecture :

1. Le sens historique (le sens littéral du petit texte).

2. Le sens allégorique (ce qu’il faut croire).

3. Le sens tropologique (ce que l’on doit faire, le sens moral).

4. Le sens anagogique (le sens mystérieux ou spirituel, qui mène vers la vertu).

2. La Méthode Historico-Critique

Les Protestants sont particulièrement sensibles à la méthode historico-critique. Cette approche exige de replacer le texte dans son contexte pour pouvoir le comprendre. Le but est de déchiffrer des commandements anciens (comme l’injonction de Paul pour les femmes d’être couvertes dans les assemblées en fonction du contexte grec) afin de déterminer ce que le croyant doit faire aujourd’hui du texte.

Nature du Texte et de la Parole de Dieu

Le texte biblique, bien qu’étant le support de la parole de Dieu, est « pétri d’humanité ». Le croyant doit voir dans la lecture de la Bible ce que Dieu veut lui dire. La première tâche de l’interprète de la Bible est d’être un traducteur, car une traduction doit être revue constamment pour que la Bible soit reçue et comprise par le lecteur contemporain.

Un principe clé pour l’interprète est de comprendre quel est celui qui parle et de ne pas lire l’Écriture comme un livre sans importance dans la culture humaine.

Problème de traduction.

Le problème de traduction est un défi essentiel et une étape préalable cruciale pour tout interprète des textes sacrés, en particulier la Bible. Il est intrinsèquement lié à l’interprétation, car traduire implique nécessairement interpréter.

La Traduction comme Tâche Première de l’Interprète

La première tâche de l’interprète de la Bible est d’être un traducteur.

Nécessité de la Compréhension : La traduction est indispensable pour que la Bible soit reçue et comprise par le lecteur. C’est seulement après avoir pu comprendre le texte que l’on peut tenter de l’interpréter et d’en faire jaillir une parole qui soutiendra la foi.

Actualisation Constante : Une traduction doit être revue tous les jours pour rester pertinente et compréhensible pour le lecteur contemporain. Le traducteur doit s’assurer que la traduction est accessible,

Nécessité de la Compréhension : La traduction est indispensable pour que la Bible soit reçue et comprise par le lecteur. C’est seulement après avoir pu comprendre le texte que l’on peut tenter de l’interpréter et d’en faire jaillir une parole qui soutiendra la foi.

Actualisation Constante : Une traduction doit être revue tous les jours pour rester pertinente et compréhensible pour le lecteur contemporain. Le traducteur doit s’assurer que la traduction est accessible, notamment pour les enfants du catéchisme.

Les Défis de la Traduction et de la Pertinence

Les textes bibliques ont été écrits, réécrits, copiés et traduits. Ce processus sur la longue durée soulève des problèmes de transposition des concepts et des mesures.

Un exemple est donné concernant l’éloignement de Béthanie dans l’Évangile de Jean, qui est mesuré en « stades ». Aujourd’hui, un stade n’a plus de signification claire pour le lecteur, et son usage dans une traduction est comparé à l’utilisation d’anciennes unités monétaires comme le « livre tournois ». Le traducteur doit donc actualiser ces termes.

Traduction et Interprétation Historique

Les interprètes doivent également considérer comment les générations précédentes ont traduit et compris les textes.

• L’interprète cherche à voir ce qu’ont pu comprendre les générations précédentes, en apprenant des traductions anciennes (comme les traductions syriaques, coptes, et latines) pour comprendre ce que les traducteurs de ces époques ont compris des textes.

Traduction et Autorité

Le problème de la traduction est également lié à l’autorité qui dicte le texte à interpréter.

Le Retour au Texte Original : Bien qu’il soit préférable de revenir au texte original pour éviter les distorsions, il est reconnu que « tout le monde n’a pas fait des études de grec, d’hébreu », et que les traducteurs ne sont pas tous parfaits.

La Traduction comme Interprétation Historique Juive : La tradition juive, après le premier exil à Babylone, a vu l’instauration de la lecture de la Torah par Esdras, qui a également instauré sa traduction, reconnaissant que traduire dit nécessairement interprétation. L’interprétation (ou drosh, signifiant « exiger ») consiste à « exiger du verset qu’il nous dise des choses qui ne sont pas immédiatement données ».

En somme, la traduction est un acte d’interprétation continu et dynamique essentiel pour maintenir la pertinence du texte sacré pour le lecteur contemporain.

Résumé est article Cordoba « Peut-on toucher aux textes sacrés ?«  3/3

Le point de vue sur ce sujet par Karim IFRAK

Lecture des textes sacrés

La lecture des textes sacrés est l’acte fondamental qui définit le rapport d’une religion à sa révélation. Elle est intrinsèquement liée aux questions d’interprétation, d’autorité et de tradition, variant considérablement d’une religion à l’autre et même au sein des divers courants confessionnels.

I. Les Préalables à la Lecture du Texte

Avant qu’une interprétation puisse avoir lieu, l’interprète doit s’assurer des fondements du texte qu’il lit, car les Écritures sont « pétri[es] d’humanité » et ont été écrites, réécrites, copiées et traduites.

1. Le Choix du Canon (La Règle)

La Bible (Biblia) signifiant « livres pluriels », la première question est de définir quels livres forment ce pluriel. C’est la question du canon (la règle).

Différences Confessionnelles : La lecture dépend du canon choisi. Par exemple, les Catholiques et les Orthodoxes lisent l’Ancien Testament avec le canon grec (incluant les Deutérocanoniques), tandis que les Protestants ont repris le canon hébreu.

Autorité : L’autorité de dire quels livres entrent dans le canon est essentielle. Historiquement, aucun concile de l’antiquité chrétienne n’a défini le canon, le consensus s’établissant grosso modo vers le IVe siècle.

2. Le Problème de la Traduction et des Variantes

La première tâche de l’interprète de la Bible est d’être un traducteur.

L’Acte d’Interpréter : Traduire dit nécessairement interprétation. La traduction doit être revue « tous les jours » pour rester compréhensible et pertinente pour le lecteur contemporain.

Variantes Textuelles : L’interprète doit comprendre les variantes dans les textes, car elles sont « bigrement importantes » et rappellent « les nombreuses manières de penser de ceux qui ont transmis le texte ». Le choix d’une variante peut avoir des implications doctrinales majeures (ex: le récit du baptême de Jésus et la question de sa divinité ou de son adoption).

II. Les Méthodes et Niveaux de Lecture

Chaque religion analyse et interprète ses textes selon ses propres critères et méthodes, s’ouvrant parfois aux méthodes inspirées par les sciences humaines (histoire, archéologie, analyse textuelle).

1. La Lecture Juive : Exiger du Texte (Drosh)

Dans la tradition juive, le mot hébreu pour l’interprétation, drosh (Midrash), signifie « exiger ».

Exigence : Le judaïsme lit les textes en exigeant du verset qu’il révèle des choses qui ne sont pas immédiatement données, car on sent qu’il y a toujours plus que ce que le verset dit.

Pardès : L’herméneutique juive distingue quatre niveaux de lecture : le Chat (sens évident), le Remez (allusion), le Derash (exégèse), et le Sod (secret/mystique).

Association de Versets : Une technique exégétique consiste à mettre en contact des versets sans lien apparent, même situés à l’autre bout de la Torah, s’ils partagent un mot ou une lettre commune, afin d’en faire jaillir une « étincelle ».

2. La Lecture Chrétienne : Les Quatre Sens de l’Écriture

Dans l’antiquité chrétienne, les Pères de l’Église distinguaient quatre sens de l’Écriture :

1. Le sens historique (le sens littéral).

2. Le sens allégorique (ce qu’il faut croire).

3. Le sens tropologique (le sens moral, ce que l’on doit faire).

4. Le sens anagogique (le sens spirituel ou mystérieux, menant à la vertu).

3. La Méthode Historico-Critique

Cette méthode, particulièrement utilisée par les Protestants, consiste à replacer le texte dans son contexte pour le comprendre. Son but est de savoir ce que le croyant doit faire aujourd’hui des injonctions anciennes (comme celles de Paul).

III. L’Autorité de la Lecture et le Rejet du Littéralisme

La lecture d’un texte sacré ne peut être considérée comme une simple transmission de faits; elle est un acte dynamique et autorisé.

1. Le Rejet du Littéralisme

Le littéralisme, qui consiste à réduire des propos ou des comportements de façon abrupte, est un risque. Dans la pensée juive, le littéralisme est rejeté, et il y a un devoir d’interpréter. La parole de Dieu est imaginée comme étant sans cesse plastique, évolutive et contradictoire.

2. Le Rôle de la Contradiction

La tradition, particulièrement dans le judaïsme, chérie et encourage la controverse car elle est vue comme une manière d’approcher Dieu et d’éviter de figer la parole divine en une idole. Les interprétations contradictoires sont toutes considérées comme les « paroles du Dieu vivant ».

3. L’Autorité de l’Interprète

Dans le judaïsme, l’autorité n’est plus détenue par un prophète inspiré, mais par la discussion démocratique des sages. La victoire de Rabbi Yehoshoua sur Rabbi Éliezer illustre que la Torah, une fois donnée, est désormais humaine, et que les décisions se prennent à la majorité. La signification ultime du texte dépend des lecteurs autorisés.

IV. La Lecture comme Activité Sociale et Spirituelle

Le statut de la lecture varie selon que l’on est considéré comme un spécialiste ou un simple croyant.

Les Traducteurs et Spécialistes : L’accès aux textes originaux nécessite des études complexes (grec, hébreu, araméen, arabe pré-islamique). Il est souligné que les textes, en particulier la tradition prophétique dans l’Islam, sont l’œuvre d’hommes et que les approcher exige des spécialistes maîtrisant les disciplines herméneutiques pour éviter les contresens.

La Liberté des Croyants : Le concept protestant de sola scriptura laisse au croyant le soin de forger sa propre conception de la foi en lisant la Bible.

L’Étude Traditionnelle : Dans la tradition juive, l’étude est une activité qui demeure profitable même pour des non-spécialistes, car l’étude est une manière d’ouvrir la compréhension et de toujours se placer en position d’apprenant.

La Prière et l’Expérience : Lire l’Écriture, c’est aussi un entretien avec Dieu et une prière. C’est une expérience personnelle. La lecture est un support pour la parole de Dieu, et le pasteur ou le prédicateur est chargé de conduire les fidèles vers une expérience où chacun entend ce texte lui parler.

Interprétation des textes

L’interprétation des textes sacrés est le pivot de la réflexion religieuse, déterminant la nature même de la foi, de l’autorité, et du rapport entre la parole divine et l’entendement humain. La question fondamentale est de savoir si les textes sacrés doivent être élagués, rapportés, ou interprétés.

Chacune des traditions religieuses — le judaïsme, le christianisme (catholique, orthodoxe, protestant/évangélique), et l’islam — analyse et interprète ses textes selon ses propres critères, méthodes et traditions. Ces traditions s’ouvrent également à des méthodes inspirées par les sciences humaines, telles que l’histoire, l’archéologie et l’analyse textuelle.

I. Le Rejet du Littéralisme et la Nécessité d’Interpréter

Le littéralisme est défini comme le fait de réduire « de façon directe et abrupte des propos ou des comportements ». Il représente un risque.

Au contraire, dans le judaïsme, l’interprétation n’est pas une option, mais un devoir. La tradition rabbinique n’imagine pas un seul instant que la parole de Dieu puisse susciter une lecture littéraliste. La lecture de la parole divine est envisagée comme étant sans cesse plastique, évolutive et contradictoire.

II. Le Statut de l’Interprétation dans la Révélation

Dans la tradition juive, la légitimité de l’interprétation est institutionnalisée par le concept de Torah orale et Torah écrite.

Torah Écrite : C’est le texte simple transmis par Moïse et transcrit par des hommes.

Torah Orale : C’est la loi rabbinique, qui représente l’interprétation. Elle inclut le Talmud, les codes rabbiniques, les responsa et toute la littérature rabbinique.

Bien que ces deux composantes soient séparées par des siècles, le dogme veut qu’elles aient été données en même temps au Mont Sinaï. Cette position axiomatique confère à la parole humaine issue de l’interprétation le même statut de révélation que la parole supposée littérale initiale. La révélation est ainsi considérée comme progressive.

III. L’Autorité et la Déconnexion de l’Intention de l’Auteur

La question de l’interprétation soulève immédiatement celle de l’autorité : « qui a autorité pour interpréter » ?

Le Rôle du Lecteur : L’approche rabbinique, incarnée par l’histoire de Rabbi Yehoshoua et Rabbi Éliezer, met fin au modèle du prophète inspiré. La vérité n’est plus imposée par un interprète au nom de son charisme. C’est la discussion entre les sages qui devient le cœur du débat.

La Torale Humaine : Rabbi Yehoshoua affirme que Dieu a donné la Torah, et que celle-ci est « désormais humaine ». Les décisions se prennent à la majorité.

Déconnexion de l’Intention : La pensée rabbinique triomphante soutient qu’interpréter un texte sacré n’est pas nécessairement essayer de comprendre l’intention de l’auteur divin. La signification ultime du texte dépend des lecteurs autorisés qui l’interprètent. Le texte appartient « beaucoup plus à ses lecteurs qu’à sa source ».

IV. L’Acceptation de la Contradiction

La tradition juive chérie, développe et encourage la controverse. La contradiction est une manière d’approcher Dieu et d’éviter de figer la parole divine en une idole.

Les différentes interprétations contradictoires sont toutes considérées comme les « paroles du Dieu vivant ». Le but d’une discussion n’est pas toujours d’atteindre une synthèse ou un compromis, mais parfois d’aboutir à une vision plus claire de la contradiction elle-même. Le Talmud conserve les avis minoritaires car ils sont une source de dynamique potentielle, garantissant que les choses ne sont jamais figées.

V. Techniques d’Exégèse

Des techniques d’herméneutique très précises ont été développées pour encadrer l’interprétation :

Le Pardès : Cet acronyme hébreu (paradis) distingue quatre niveaux de lecture : le Chat (sens évident), le Remez (allusion), le Derash (exégèse, ou Midrash), et le Sod (secret/mystique).

Le Midrash (Drosh) : Le mot hébreu drosh signifie « exiger ». Il caractérise la lecture qui consiste à exiger du verset qu’il révèle des choses qui ne sont pas immédiatement données.

Association de Versets : L’exégèse juive met en contact des versets apparemment sans lien, parfois situés « à l’autre bout de la Torah », mais partageant un mot ou une lettre, pour en faire jaillir une « étincelle ».

VI. L’Interprétation dans les Autres Traditions

Dans les traditions chrétiennes et musulmanes, l’interprétation est également essentielle :

Christianisme (Traditions) : Les Orthodoxes lisent la Bible avec les Pères de l’Église, les Catholiques avec le magistère, et les Protestants, adhérant à la sola scriptura, ont une plus grande liberté d’interpréter. L’Antiquité chrétienne distinguait quatre sens de l’Écriture : historique, allégorique, tropologique (moral) et anagogique (spirituel).

Méthode Historico-Critique : Les Protestants utilisent la méthode historico-critique pour replacer le texte dans son contexte et comprendre ce que le croyant doit faire aujourd’hui des injonctions du texte.

Islam : Dans la tradition musulmane, il y a deux textes fondateurs : le Coran (divin et figé, environ 10-15%) et la Tradition prophétique (Hadith) (perfectible, environ 85-90%). La Tradition prophétique joue le rôle de complément pour expliquer comment mettre en œuvre ce qui est dit dans le Coran (ex: faire la prière). L’interprétation est essentielle, car une partie des jugements dans le Coran est « matière à interprétation ». Une bonne compréhension du texte coranique est subordonnée à une centaine de disciplines différentes (comme l’étude du particulier et du général, ou du fermé et de l’ouvert).

VII. L’Interprétation comme Acte Global et Prudent

L’interprétation est un processus exigeant qui commence par le problème de la traduction. Traduire dit « nécessairement interprétation ». La première tâche de l’interprète est d’être traducteur et de s’assurer que le texte est reçu et compris par le lecteur contemporain.

Enfin, il est crucial de ne jamais juger une religion au nom de ses seuls textes fondateurs, car ce qui caractérise une religion est « la manière dont elle interprète ses textes dont elle les dépasse ». L’interprétation doit être menée avec modestie, car il n’y a pas d’interprétation ultime, sous peine de verser dans le totalitarisme. Le but de l’étude est de rester dans une position d’apprenant.

Tradition musulmane.

Le sujet de la Tradition musulmane est abordé dans les sources principalement sous l’angle de ses textes fondateurs, de la dualité de son autorité et de la nécessité de l’expertise pour son interprétation.

Les Textes Fondateurs et leur Dualité

Dans la tradition musulmane, il existe deux textes fondateurs qui définissent la religion :

1. Le Coran : C’est le texte premier et divin. Sans le Coran, on ne peut plus parler d’Islam. Pour les musulmans, c’est un texte divin, intangible.

2. La Tradition Prophétique (Hadith) : C’est le deuxième texte, appelé Al-Hadith en langue arabe. Il est très important, mais également complexe.

La Dualité des Niveaux d’Autorité

La tradition musulmane présente des textes où l’autorité est divisée en deux niveaux :

Le Niveau Figé (Coran) : C’est la partie à laquelle on ne touche pas, représentant les grandes lignes, la structure et l’ossature de l’esprit de l’Islam. Cette partie représente environ 10 à 15 % du corpus. Elle comprend les fondements et les jugements (juges) qui posent problème car ils sont matière à interprétation.

Le Niveau Perfectible (Hadith) : C’est la partie à laquelle on touche autant qu’on le veut. Elle est de l’ordre de 85 à 90 % du corpus. Bien souvent, ce que nous avons reçu à travers les quinze siècles de construction n’est que le travail intellectuel d’hommes faillibles. Le Hadith est complexe parce qu’une partie est matière à suspicion (suspicion), tout n’étant pas clair dans la nakil (transmission).

Le Rôle Crucial de la Tradition Prophétique (Hadith)

La tradition prophétique est fondamentale car elle nourrit l’esprit même du texte coranique. Elle joue le rôle de complément pour expliquer ce qui est écrit dans le Coran.

Par exemple, le Coran peut contenir le verset « Fais la prière », mais il ne répond pas aux questions pratiques : comment la faire ? Quand la faire ? Dans quelles conditions ?. C’est la tradition prophétique qui explique qu’il y a cinq prières obligatoires par jour, réparties en cinq temps, et qui précise les rituels comme le nombre de prosternations (racad) ou la lecture silencieuse/à voix haute. Elle intervient également pour expliquer dans quel cadre et à qui donner l’aumône obligatoire.

Le Problème de l’Authenticité du Hadith

La tradition prophétique pose problème car elle n’a été consignée que deux siècles après la mort du Prophète. Le Prophète avait même refusé qu’on consigne ses paroles par crainte d’un mélange entre le texte coranique et la tradition.

Durant ces deux siècles, le monde musulman a connu des bouleversements (guerres) qui ont mené à un commerce de Hadith. Des individus sillonnaient les villes pour raconter que le Prophète avait dit ceci ou cela, et des partis politiques inventaient des Hadiths pour soutenir leurs raisons, créant une littérature de tradition prophétique forgée.

Bien qu’il y ait une bonne part de cette tradition prophétique qui est authentique et sur laquelle on peut travailler, l’accès à l’information authentique exige du chercheur d’aller aux sources.

L’Interprétation et l’Exigence de Spécialisation

L’interprétation dans la tradition musulmane est soumise à des règles strictes en raison de la complexité des textes.

1. L’Interprétation du Coran

Le Coran est beaucoup plus protégé que le Hadith, ayant été retransmis par une double voie, orale et écrite, pour former la copie canonique.

Néanmoins, seule une petite partie du Coran (moins de 3 %) est concentrée sur les fondements et les jugements. Cette partie est matière à interprétation.

Clés de Compréhension : Une bonne compréhension du texte coranique est subordonnée à une centaine de disciplines différentes qui permettent de saisir ce que le texte entend et sous-entend.

    ◦ Exemples de disciplines : le particulier et le général (Al-Khas et Al-‘Am), le fermé et l’ouvert, l’abrogeant et l’abrogé, l’énoncé et l’annoncé, le figé et le perfectible.

Variations de Lecture : La lecture coranique se fait de 13 manières différentes ; si l’on ne connaît pas ces lectures, on risque de passer à côté de la meilleure compréhension du verset ou du terme.

Problème de la Traduction : Les traductions peuvent causer des dégâts, notamment sur des termes sensibles comme le Djihad ou le Koufr (hérésie). Le traducteur doit maîtriser les 26 clés qui permettent d’expliquer le terme lui-même.

2. L’Exigence du Spécialiste

Contrairement à l’idée que « tout le monde peut lire le texte coranique », manipuler le texte, l’interpréter, et expliquer au public ce qu’un verset veut dire est une affaire de spécialistes.

Règles Fondamentales : On n’approche pas les textes qui veut. Le travail d’exégèse exige des recherches de plusieurs décennies et une maîtrise de l’arabe, y compris l’arabe pré-islamique, car la langue subit un glissement de sens avec le temps et l’espace.

Distinction : Un spécialiste est celui qui a passé des années d’études guidées par une tradition et une école. Ce n’est pas une simple accumulation de culture. Les non-spécialistes, ou même les auto-proclamés spécialistes, risquent d’avoir une mauvaise interprétation des textes, y compris sur des versets clés qui peuvent mener à la haine.

3. La Mise en Contexte

L’interprétation correcte implique la mise en contexte (méthode historico-critique), car des termes sortis du contexte perdent leur sens. Le Coran peut paraître critique envers la communauté juive, mais cette critique vise certains Juifs qui étaient contemporains du Prophète, et non la communauté juive dans sa globalité. Une mauvaise interprétation de ce verset est un exemple de l’importance de maîtriser les clés de lecture.

Rôle du spécialiste

Le rôle du spécialiste dans l’interprétation des textes sacrés est crucial, car la manipulation, l’analyse et la transmission de la parole divine sont considérées comme des tâches complexes nécessitant une expertise rigoureuse.

I. La Nécessité de l’Expertise

L’approche des textes sacrés est une affaire de spécialistes. Travailler les textes exige des recherches de plusieurs décennies.

Dans la tradition musulmane, cette exigence est particulièrement soulignée :

Manipuler et Expliquer : Le rôle du spécialiste est de manipuler, interpréter et expliquer au public ce qu’un verset veut dire. Quiconque n’a pas les clés pour entrer dans le texte et l’interpréter risque de mal comprendre.

Contre le Non-Spécialiste : Les non-spécialistes, ou auto-proclamés spécialistes, risquent d’avoir une mauvaise interprétation des textes, y compris sur des versets clés qui peuvent mener à la haine. Le risque de la lecture non informée est de confondre la lecture littéraliste avec celle d’analphabètes ou de semi-analphabètes.

Dans la tradition juive, la valeur de l’accumulation des connaissances est une valeur très chère, et l’interprète doit maîtriser des clés. L’accès à des textes fondamentaux comme le Talmud suppose de connaître des langues anciennes telles que l’araméen.

II. Les Compétences Requises du Spécialiste

Un spécialiste n’est pas simplement quelqu’un qui a lu beaucoup de livres ou accumulé de la culture. C’est quelqu’un qui a « passé des années d’études guidées avec une tradition, avec une école ».

Maîtrise Linguistique et Disciplinaire

La compréhension du texte sacré est subordonnée à une centaine de disciplines différentes qui permettent de saisir ce que le texte entend et sous-entend.

Dans le contexte des textes musulmans :

• Le spécialiste doit maîtriser la langue arabe, y compris l’arabe pré-islamique, car la langue subit un glissement des sens à travers le temps et l’espace.

• Une bonne compréhension du Coran exige de maîtriser les 13 manières différentes de le lire.

• Pour des termes sensibles comme le Djihad ou le Koufr, le traducteur/spécialiste doit maîtriser 26 clés qui permettent d’expliquer le terme lui-même.

Le Spécialiste comme Érudit

Dans les sciences islamiques, un spécialiste est un érudit (érudit) qui a travaillé sur une question dans sa globalité, s’approchant de la maîtrise à 90 ou 95 %.

Le spécialiste est celui qui peut faire la différence et déterminer l’orientation correcte de l’interprétation. Il peut expliquer pourquoi il a choisi une certaine école d’interprétation et sur quel point un non-spécialiste ou un exégète s’est trompé.

Le Spécialiste comme Traducteur

Dans le christianisme, la première tâche de l’interprète de la Bible est d’être un traducteur. Le traducteur est un spécialiste qui doit revoir la traduction « tous les jours » pour qu’elle reste compréhensible pour le lecteur contemporain.

III. L’Autorité Déléguée et la Controverse

Le rôle du spécialiste varie en fonction de l’autorité reconnue par la tradition :

Tradition Rabbinique : L’autorité d’interpréter a mis fin au modèle du prophète inspiré. Elle réside dans la discussion démocratique des sages (les rabbins). L’interprétation est légitime si elle est faite avec une certaine technique d’exégèse. La vérité n’est pas imposée par un seul interprète, mais est déterminée par la majorité des sages.

Le Modèle de l’Étude Juive : Bien que des maîtres et des spécialistes soient nécessaires pour maîtriser les clés, la dynamique de l’étude juive traditionnelle se fait souvent en binôme (havrouta), où la contradiction est chérie comme un moyen d’approfondir le texte, sans qu’il y ait nécessairement une conclusion.

Tradition Chrétienne : Le rôle du spécialiste est différent selon les confessions. Les Catholiques se fondent sur l’interprétation du magistère et les Orthodoxes sur les Pères de l’Église. Chez les Protestants, si le principe de sola scriptura ouvre la liberté d’interprétation à chaque croyant, le rôle du pasteur reste de prêcher, c’est-à-dire de conduire les fidèles vers le texte pour qu’ils vivent une expérience personnelle de celui-ci.

IV. Distinction entre le Spécialiste et le Croyant

Le rôle du spécialiste ne remet pas en question la liberté de lecture ni la valeur morale du croyant.

L’Analogie du Médecin : Le spécialiste est comparé à un médecin. Un médecin a fait des études spécialisées; quelqu’un qui lit des livres de médecine et a une grande culture sur le sujet n’est pas un médecin.

Lecture Personnelle : Dans la tradition musulmane, chacun est libre de lire le Coran et de l’interpréter comme il le veut, mais à la condition que son interprétation « n’engage que lui » et qu’il ne la propage pas comme la vérité absolue au public.

Valeur Humaine : L’être humain a autant de valeur, qu’il soit spécialiste ou non. La valeur des hommes est déterminée par un comportement éthique, et non par le fait d’être spécialiste de quelque chose ou de rien.

Modestie : La religion est vue comme une école de modestie. L’interprète, même le spécialiste, doit avoir la modestie de reconnaître qu’il n’y a pas d’interprétation ultime. Rechercher une interprétation ultime mène au totalitarisme. Le but de l’étude est de rester dans une position d’apprenant.

Le rôle du spécialiste est donc d’assurer une médiation experte et rigoureuse entre le texte divin et la communauté, mais cette expertise doit être exercée avec la modestie de celui qui travaille sur des réalités qui dépassent l’intellect limité.

Diversité religieuse

Absolument. La question de la diversité religieuse est un thème fondamental abordé dans les sources, mettant en évidence les multiples expressions de la foi, les divergences au sein des traditions, et les facteurs qui expliquent à la fois les fractures et les rapprochements entre elles.

La Pluralité des Confessions et des Courants

Le rapport aux textes sacrés et l’expression de la foi ne sont jamais uniformes. La diversité se manifeste à plusieurs niveaux :

1. Différences Inter-Religieuses : Le rapport aux textes sacrés est « différent d’une religion à l’autre ».

2. Diversité Intra-Religieuse : Les sources soulignent que ce rapport diffère également « entre les divers courants de chaque religion ».

Exemples de Diversité Confessionnelle

Christianisme : Cette religion englobe un « panorama assez vaste de confession différente ». Les grands courants identifiés sont les Catholiques, les Orthodoxes, les Protestants, auxquels s’ajoutent les Évangéliques. Ces groupes divergent sur l’autorité d’interprétation : les Orthodoxes lisent la Bible avec les Pères de l’Église, les Catholiques avec le magistère, et les Protestants (via la sola scriptura) jouissent d’une plus grande liberté d’interprétation.

Judaïsme : L’intervention d’un représentant du Mouvement Libéral Juif de France (France Juif Libéral de France) montre la diversité au sein du judaïsme lui-même.

Islam : Il existe de « nombreux courants de l’islam dans lesquels il y a des divergences parfois qui vont jusqu’à des seuils de non-retour ». Ces divergences touchent la dogmatique, la jurisprudence et la conséquence.

Les Facteurs de la Divergence et de l’Unité

Bien qu’il existe des fractures entre les traditions sur des points majeurs ou mineurs, des analogies importantes sont observées, notamment dans l’approche herméneutique.

1. Le Rôle des Facteurs Culturels et du Contexte

Les sources critiquent le fait de juger les religions uniquement au nom de leurs textes fondateurs, car ceux-ci sont souvent contradictoires. L’analyse des situations actuelles ne doit pas se limiter à un « texto-centrisme exagéré ».

Les facteurs culturels sont souvent les « vraies clés de l’analyse des situations ». Parmi ces facteurs, on retrouve :

• Le littéralisme ou son absence.

• La place faite aux femmes ou non.

• L’ouverture au pouvoir politique ou non.

Il est essentiel de noter que ces facteurs culturels transcendent les frontières religieuses : deux littéralistes de religions différentes sont souvent « beaucoup plus proches l’un de l’autre que le sont les coreligionnaires » de leur propre religion.

2. La Diversité Face au Littéralisme

La diversité est visible dans l’attitude adoptée face au littéralisme. Bien qu’il y ait des littéralistes dans toutes les religions, le judaïsme, par exemple, le rejette en affirmant le devoir d’interpréter.

Dans la tradition musulmane, il est noté que les individus souvent qualifiés de littéralistes dans les médias devraient plutôt être appelés « analphabètes » ou « semi-analphabètes », car une véritable approche des textes requiert une expertise que ces derniers n’ont pas.

3. L’Unité dans la Médiation

Malgré les différences confessionnelles (catholiques, orthodoxes, protestants), l’acte religieux fondamental est l’expérience que chacun fait de ce qui le dépasse. Cependant, l’accès à cette « grande vérité » nécessite une médiation.

Le christianisme est vu comme des « chemins différents d’une manne grande vérité ». L’unité peut être retrouvée « à partir des différences », de la même manière qu’un pianiste et un violoniste, après des années d’étude spécifique (l’instrument étant la médiation), peuvent jouer ensemble pour créer quelque chose de « très très beau ». L’idée que l’on pourrait avoir accès à la vérité « d’un seul coup tous frères humains » est une illusion.

Les Cadres Institutionnels de la Lecture

La diversité se manifeste également dans l’autorité qui guide la lecture :

Catholiques : Le magistère et l’Église en tant que dépositaire de l’autorité.

Orthodoxes : Les Pères de l’Église et la liturgie.

Protestants : L’accent mis sur la sola scriptura conduit chaque croyant à forger sa propre conception de la foi, bien que le pasteur soit chargé de conduire les fidèles à une expérience personnelle du texte.

En conclusion, la diversité religieuse est une réalité complexe qui ne se réduit pas aux différences doctrinales ou canoniques (comme le débat sur les Deutérocanoniques), mais qui est façonnée par les traditions herméneutiques, les contextes politiques et culturels, ainsi que par le degré d’ouverture ou de littéralisme de chaque courant.

lien vidéo de la conférence :

Peut-on toucher aux textes sacrés ? 1/3″ https://youtu.be/cJxLaD0N_Xc

Peut-on toucher aux textes sacrés ? 2/3″ https://youtu.be/mvV9i86bwsU

Peut-on toucher aux textes sacrés ? 3/3″ https://youtu.be/HL7qQIH52Bc

Qui peut interpréter les textes sacrés ? Regards croisés du judaïsme, du christianisme et de l’islam

Introduction : Une invitation au dialogue

Ce document vous invite à un dialogue entre trois grandes traditions monothéistes pour explorer une question fondamentale : comment interpréter les textes sacrés ? À travers les éclairages de Yann Boissière, rabbin du Mouvement Juif Libéral de France, de James Noël Perez, pasteur luthérien, et de Ghavin Chiffrables, islamologue et chercheur au CNRS, nous découvrirons les approches uniques de chaque religion. L’objectif est de comprendre qui détient l’autorité pour interpréter, quel rôle joue la tradition dans la lecture des textes, et comment chaque foi concilie lecture littérale et interprétation évolutive.

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1. La Perspective Juive : Une Révélation Continue

La démarche juive est fondée sur une idée audacieuse : l’interprétation humaine n’est pas un simple commentaire du texte divin, elle en est la continuation et possède le même statut sacré.

« Une interprétation, pourvu qu’elle soit authentique, […] a le même statut de révélation que la parole supposée littérale. » — Yann Boissière, Rabbin

1.1. Qui a l’autorité pour interpréter ? Des prophètes aux sages

Dans le judaïsme, l’autorité a évolué de manière spectaculaire. Une histoire du Talmud raconte que Moïse, curieux de voir ce qu’était devenue sa Torah des siècles plus tard, est transporté dans l’académie du grand sage Rabbi Akiba. Assis au dernier rang, il écoute l’enseignement et ne comprend absolument rien. Dépité, il se tourne vers Dieu, mais celui-ci l’invite à écouter la fin. Un élève demande alors à Rabbi Akiba d’où il tient son enseignement, et le sage répond : « C’est une explication de Moïse sur le mont Sinaï ». Cette histoire illustre la « plasticité » radicale de l’interprétation, qui peut se transformer au point d’être méconnaissable par l’auteur originel tout en se réclamant de sa filiation.

Ce transfert d’autorité est consacré par une autre célèbre controverse talmudique :

• Le débat : Rabbi Eliezer, certain d’avoir raison, invoque des miracles et même la voix de Dieu pour prouver son point de vue.

• La réponse : Rabbi Yoshua lui oppose un argument décisif : la Torah a été donnée aux hommes et, désormais, les décisions se prennent à la majorité.

• La conclusion divine : Face à cette affirmation de l’autonomie humaine, Dieu, loin de s’offusquer, aurait déclaré avec fierté : « Mes enfants m’ont vaincu ».

Cette victoire de Rabbi Yoshua consacre une idée révolutionnaire : la déconnexion entre l’interprétation et l’intention de l’auteur. Interpréter n’est plus chercher ce que l’auteur (même divin) voulait dire, mais ce que le texte signifie pour la communauté des lecteurs, ici et maintenant.

1.2. Le cœur de la tradition : La double Torah

Le judaïsme repose sur un concept fondamental, presque un dogme, celui d’une double révélation donnée simultanément à Moïse sur le mont Sinaï.

• Torah Écrite (La Loi Écrite) : Il s’agit du texte biblique lui-même, transmis par Moïse. C’est le point de départ de toute réflexion.

• Torah Orale (La Loi Orale) : C’est l’ensemble des interprétations, des discussions et des commentaires rabbiniques accumulés à travers les siècles. Elle inclut le Talmud et des montagnes d’écrits ultérieurs.

L’idée la plus « audacieuse », selon les mots du rabbin Boissière, est que cette parole humaine (la Torah Orale) a été donnée « en même temps » que la parole divine. Cela confère à l’interprétation humaine un statut de révélation, faisant d’elle une partie intégrante et sacrée du message divin qui se déploie continuellement.

1.3. Lecture littérale ou évolutive ? L’éloge de la controverse

Le littéralisme est non seulement rejeté, mais l’interprétation est considérée comme un « devoir ». La tradition juive chérit et encourage la contradiction, car elle est source de richesse et de dynamisme. Cette approche se fonde sur plusieurs principes :

• La métaphore des 70 étincelles : La parole de Dieu est comparée à un « marteau qui frappe le rocher et produit 70 étincelles », signifiant qu’un même verset peut et doit générer une multitude d’interprétations valides.

• Les quatre niveaux de lecture (Pardes) : Pour explorer cette richesse, la tradition propose quatre niveaux d’analyse :

    ◦ Pshat : Le sens littéral, simple.

    ◦ Remez : Le sens allusif, où le texte fait allusion à autre chose.

    ◦ Drash : Le sens allégorique et homilétique, qui cherche un enseignement moral.

    ◦ Sod : Le sens secret, mystique.

• L’antidote à l’idolâtrie : Le but d’une discussion n’est pas toujours de trouver un compromis. Parfois, il s’agit d’arriver à une vision plus claire de la contradiction elle-même. En refusant de figer Dieu dans une interprétation unique, la controverse empêche de transformer la divinité en une idole limitée.

Synthèse de la section 1

L’approche juive de l’interprétation est celle d’une conversation infinie et dynamique. Le texte sacré n’appartient pas à un auteur lointain, mais à la communauté de ses lecteurs. L’interprétation humaine, loin d’être une trahison, est la continuation même de la révélation divine, une révélation qui se déploie continuellement à travers les siècles.

• Transition : Si le judaïsme fait de l’interprétation une révélation collective continue, la perspective chrétienne, notamment protestante, met davantage l’accent sur la dimension personnelle et existentielle de la rencontre avec le texte.

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2. La Perspective Chrétienne : Une Parole qui devient vivante

Dans la vision protestante, la Bible n’est pas un texte magique ou un objet de vénération en soi. Elle est le support à travers lequel une rencontre personnelle avec Dieu peut avoir lieu, transformant le texte en une parole vivante pour celui qui la lit.

« Quand je lis, j’entends Dieu qui me parle. Je ne dis pas que la Bible est la parole de Dieu […] C’est un support de la parole de Dieu. » — James Noël Perez, Pasteur

2.1. Qui a l’autorité pour interpréter ? Une diversité d’approches

Le christianisme présente une grande diversité d’approches concernant l’autorité de l’interprétation, comme le résume le tableau suivant :

Courant ChrétienMéthode d’interprétation
OrthodoxeLecture de la Bible à travers le prisme des écrits des Pères de l’Église, qui servent de guide.
CatholiqueLecture guidée par les affirmations, injonctions et éclaircissements du Magistère (l’autorité enseignante de l’Église).
ProtestantPrincipe du « Sola Scriptura » (l’Écriture seule), qui affirme que chaque croyant peut et doit interpréter la Bible pour lui-même, avec l’aide du Saint-Esprit.

2.2. Le rôle de la tradition : Quel texte pour quelle Bible ?

Avant même d’interpréter, la question se pose : de quelle Bible parle-t-on ? Le concept de « canon » (la liste des livres reconnus comme inspirés) montre que la tradition a façonné le texte lui-même.

• Des canons variables : Il n’existe pas une seule Bible universelle. Le canon hébreu (suivi par les protestants), le canon grec (suivi par les catholiques et orthodoxes) ou encore le canon éthiopien (qui contient 81 livres) ne sont pas identiques.

• Un exemple concret : La « prière pour les morts » est un bon exemple. Les catholiques la justifient en se basant sur un passage des livres deutérocanoniques. Les protestants la rejettent en arguant que ces livres ne font pas partie de leur canon. Le contenu même du texte sacré dépend donc d’un choix fait par la tradition.

2.3. Lecture littérale ou évolutive ? Le contexte comme clé

L’approche privilégiée par les protestants est la méthode historico-critique. Elle consiste à replacer un texte dans son contexte d’origine (historique, culturel, linguistique) pour comprendre l’intention initiale et déterminer comment l’appliquer de manière pertinente aujourd’hui. L’exemple de l’apôtre Paul demandant aux femmes de se couvrir la tête est éclairant :

1. Analyse du contexte : À l’époque, dans le monde gréco-romain, les femmes qui ne se couvraient pas les cheveux étaient souvent des femmes de « mauvaises mœurs ». La consigne de Paul était une question de respectabilité.

2. Application actuelle : Le contexte ayant changé, cette consigne n’est plus appliquée littéralement. L’esprit du texte (le respect, la décence) est conservé, mais sa forme est adaptée.

Cette ouverture à la pluralité des sens trouve des échos anciens. Le pasteur Perez cite Saint Augustin, qui suggérait que Moïse lui-même, en écrivant, avait peut-être déjà pensé aux multiples interprétations que son texte pourrait susciter. Cette idée d’une polyphonie inscrite au cœur même du texte fait écho à la métaphore juive du marteau produisant 70 étincelles.

Synthèse de la section 2

La perspective protestante voit l’interprétation comme un dialogue personnel et contextualisé avec les Écritures. La Bible n’est pas la parole figée de Dieu, mais un texte qui devient parole de Dieu dans l’expérience du lecteur. Ce processus dynamique est parfaitement illustré par l’exemple des Psaumes, rappelé par le théologien Dietrich Bonhoeffer : ce sont des prières d’hommes adressées à Dieu que le croyant, en les lisant, reçoit comme la parole de Dieu qui lui est adressée. C’est dans ce va-et-vient entre l’humain et le divin que le texte prend vie.

• Transition : L’importance accordée au contexte et la méfiance envers un littéralisme simpliste trouvent un écho puissant dans la perspective musulmane, qui fait cependant de cette démarche une science rigoureuse, réservée à des experts.

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3. La Perspective Musulmane : Une science pour les spécialistes

L’approche musulmane des textes sacrés est marquée par une grande rigueur. L’interprétation n’est pas une démarche accessible à tous, mais une discipline exigeante qui requiert une expertise approfondie.

« N’approche pas les textes qui veut. Les textes, c’est une affaire de spécialistes. » — Ghavin Chiffrables, Islamologue

3.1. Qui a l’autorité pour interpréter ? L’affaire des experts

En islam, interpréter le Coran et la tradition prophétique est une science qui nécessite la maîtrise de nombreuses disciplines. Pour être un interprète légitime, il faut notamment :

• Une maîtrise de la langue arabe pré-islamique pour comprendre le sens originel des mots.

• Une connaissance fine du contexte historique et géographique de la révélation.

• La maîtrise d’une « centaine de disciplines différentes » qui constituent les clés de lecture. Parmi celles-ci, on trouve des outils d’analyse textuelle comme la distinction entre le « particulier » et le « général », le « fermé » et l' »ouvert », ou encore le concept de l’abrogeant et de l’abrogé.

Cette approche savante est à l’opposé de celle des « littéralistes », que Ghavin Chiffrables qualifie sévèrement d’« analphabètes ou semi-analphabètes » car ils lisent le texte sans posséder les outils indispensables à sa compréhension.

3.2. Le rôle de la tradition : Coran et Hadith

L’islam s’appuie sur deux sources textuelles fondatrices :

1. Le Coran : Considéré comme le texte divin révélé.

2. Le Hadith : La tradition prophétique, qui rapporte les paroles et les actes du prophète Muhammad.

Le Hadith joue un rôle complémentaire indispensable. Par exemple, le Coran ordonne de « faire la prière », mais c’est le Hadith qui en explique les modalités. Cependant, le Hadith pose un défi critique majeur : il a été consigné par écrit près de deux siècles après la mort du Prophète. Cette consignation tardive a ouvert la porte à des fabrications, obligeant les savants à un travail rigoureux d’authentification. De plus, comme le souligne l’islamologue, même les recueils les plus réputés comme celui d’al-Bukhari existent en plusieurs versions manuscrites qui présentent des variations, renforçant la nécessité d’une expertise scientifique pointue.

3.3. Lecture littérale ou évolutive ? Le figé et le perfectible

L’islamologue propose une distinction cruciale pour comprendre l’espace de l’interprétation :

• Une partie figée (10-15%) : C’est l’ossature, le noyau doctrinal intouchable de la religion (les piliers de la foi, les grands principes).

• Une partie perfectible (85-90%) : C’est le champ immense qui est ouvert à l’interprétation humaine, à la réflexion et à l’adaptation par les spécialistes.

Pour illustrer comment une lecture sans expertise mène à l’erreur, il prend l’exemple d’un verset qui semble affirmer que les Juifs ont « falsifié les textes ». Une lecture savante montre que le Coran ne parle pas d’une altération matérielle de la Bible, mais critique l’interprétation de ces textes par certains contemporains du Prophète. La nuance, accessible uniquement aux spécialistes, change radicalement le sens du passage.

Synthèse de la section 3

L’approche musulmane de l’interprétation est une exégèse savante et rigoureuse. Elle protège un noyau doctrinal « figé » tout en ouvrant un vaste champ « perfectible » à l’analyse critique. Cette tâche n’est pas laissée à l’appréciation individuelle mais est confiée à des spécialistes qui maîtrisent les multiples disciplines nécessaires pour déchiffrer la complexité des textes fondateurs et éviter les contresens. Cette posture, qui met l’accent sur l’érudition, contraste avec l’idéal protestant d’un accès direct au texte et avec la valorisation juive de l’étude en binôme, même entre non-spécialistes, où la dynamique de la conversation est elle-même source de sens.

• Transition : Après avoir exploré ces trois chemins distincts, une conclusion comparative permettra de mettre en lumière leurs surprenantes convergences et leurs divergences fondamentales.

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4. Conclusion : Convergences et Modestie face au Texte

Au terme de ce parcours, le point de convergence le plus frappant entre les trois intervenants est le rejet unanime d’une lecture purement littéraliste. Qu’elle soit perçue comme un devoir collectif (judaïsme), une rencontre personnelle (christianisme protestant) ou une science d’experts (islam), l’interprétation est toujours une démarche active et indispensable pour donner vie aux textes sacrés.

Tableau Comparatif

Le tableau suivant synthétise les approches de chaque tradition sur les thèmes centraux abordés.

ThèmeJudaïsmeChristianisme (Protestant)Islam
Qui interprète ?Les sages, par la discussion et la controverse. L’étude en binôme est valorisée.Chaque croyant, individuellement (« Sola Scriptura »).Les spécialistes, qui maîtrisent les sciences religieuses.
Rôle de la traditionCentrale : la « Torah orale » a un statut de révélation.Ambivalent : le canon est une tradition, mais l’accent est mis sur le texte seul.Cruciale mais complexe : le Hadith complète le Coran mais doit être authentifié.
Approche de la lectureÉvolutive, dynamique et contradictoire. Un « devoir d’interpréter ».Personnelle et contextualisée (méthode historico-critique).Distingue une petite partie « figée » et une grande partie « perfectible ».

Une invitation à la modestie et au dialogue

Au-delà des différences, les trois perspectives appellent à une même attitude fondamentale : l’humilité. L’étude des textes n’est pas un exercice de simple lecture, mais un engagement de toute une vie. Comme le rappelle une formule attribuée au théologien Karl Barth, le croyant doit se tenir avec « la Bible dans une main et le journal dans l’autre », signifiant que l’interprétation doit sans cesse faire le pont entre la parole ancienne et les réalités du monde contemporain.

Finalement, la religion est une « école de modestie » et de pluralisme. Vouloir posséder l’interprétation ultime mène au totalitarisme. La richesse réside ailleurs, dans une métaphore musicale proposée par Yann Boissière : il n’y a qu’une seule grande Vérité, comme il n’y a qu’une seule musique, mais pour y accéder, il faut passer par des instruments différents. Le judaïsme, le christianisme et l’islam sont ces instruments. Chacun requiert un apprentissage exigeant et produit un son unique, mais c’est seulement lorsque l’orchestre joue, dans le respect des différences et l’écoute mutuelle, que la musique se révèle dans toute sa splendeur. L’étude des textes sacrés est moins une quête de savoir figé qu’une activité vivante qui nous place dans une posture d’éternel apprenant.

Note de Synthèse Cordoba: L’Interprétation des Textes Sacrés dans les Religions Monothéistes

Synthèse Exécutive

Ce document de synthèse analyse les perspectives juive, chrétienne et musulmane sur la question de l’interprétation des textes sacrés, en se basant sur les interventions de représentants de chaque tradition. Le consensus général qui se dégage est que « toucher » aux textes par l’interprétation n’est pas seulement possible mais constitue une nécessité et une pratique profondément ancrée dans chaque religion. Le littéralisme est présenté comme une approche réductrice et souvent moderne, contraire à la richesse des traditions exégétiques historiques.

Les points essentiels à retenir sont les suivants :

1. Dans le Judaïsme, le concept fondamental de la double révélation — Torah Écrite et Torah Orale — confère à l’interprétation humaine rabbinique un statut quasi-divin. La Torah Orale, bien que développée sur des siècles, est considérée comme ayant été donnée à Moïse au Sinaï en même temps que le texte écrit. Cette doctrine légitime une plasticité et une évolution constantes de la loi, valorise la controverse comme un moyen d’approcher la vérité divine, et établit l’autorité des sages, statuant à la majorité, comme primordiale, y compris face à une intervention divine directe.

2. Dans le Christianisme, la notion même de « texte sacré » est complexe en raison de la pluralité des Bibles. La question du canon (quels livres sont inclus ?), des variantes textuelles (quelle version du texte ?) et de la traduction rend l’interprétation indispensable. Les approches varient considérablement : les Orthodoxes lisent à travers le prisme des Pères de l’Église, les Catholiques à travers celui du Magistère, et les Protestants, guidés par le principe de Sola Scriptura, favorisent une interprétation plus individuelle, souvent éclairée par la méthode historico-critique pour replacer le texte dans son contexte originel. La Bible n’est pas tant la Parole de Dieu qu’un support par lequel le croyant entend Dieu lui parler.

3. Dans l’Islam, une distinction cruciale est faite entre une partie « figée » et intangible du Coran (10-15%), qui constitue son ossature doctrinale, et une partie « perfectible » et interprétable (85-90%). L’interprétation, loin d’être une lecture simple, est une science extrêmement complexe qui exige la maîtrise de nombreuses disciplines (linguistique de l’arabe pré-islamique, contexte de la révélation, sciences du hadith, etc.). L’approche des textes est donc réservée aux spécialistes. La tradition prophétique (Hadith), essentielle pour contextualiser le Coran, pose elle-même un problème critique en raison de sa compilation tardive et du risque de falsification historique.

En conclusion, les trois traditions, bien que distinctes dans leurs méthodes et leurs structures d’autorité, partagent une vision dynamique de leurs textes fondateurs. Elles rejettent l’idée d’un sens unique et figé, affirmant que la vitalité d’une religion réside dans sa capacité à interpréter, à débattre et à adapter la parole divine aux réalités humaines successives.

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Le Judaïsme : La Révélation Continue à travers l’Interprétation

L’approche du judaïsme face à ses textes, qualifiés de « saints » plutôt que « sacrés », est caractérisée par une souplesse et une dynamique interprétative uniques, fondées sur des concepts théologiques audacieux. L’interprétation n’est pas une simple analyse du texte, mais la continuation même de la révélation.

Torah Orale et Torah Écrite : Le Dogme Fondamental

Le pilier de la pensée juive sur l’interprétation est le dogme de la double Torah, révélée simultanément au Mont Sinaï :

• La Torah Écrite : Le texte transmis par Moïse, le Pentateuque.

• La Torah Orale : L’ensemble des interprétations, des commentaires et des lois développés par les sages et les rabbins au fil des siècles (compilés notamment dans le Talmud).

La position axiomatique du judaïsme est que cette Torah Orale, bien qu’humaine et postérieure dans sa formulation, a été « donnée en même temps que la Torah écrite ». Cela signifie qu’une interprétation rabbinique authentique, même formulée des siècles après Moïse, possède le même statut de révélation que le texte initial. La révélation est donc conçue comme un processus progressif et continu, où la parole humaine des interprètes autorisés participe de la parole divine.

La Plasticité de l’Interprétation et l’Autorité des Sages

Deux récits talmudiques illustrent cette conception :

1. Moïse et Rabbi Akiba : Transporté des siècles dans le futur, Moïse assiste à un cours de Rabbi Akiba sur la Torah. Il ne comprend absolument rien à l’enseignement, tant il semble éloigné de ce qu’il a transmis. Pourtant, à la fin, Rabbi Akiba attribue son enseignement à une tradition remontant à « Moïse au mont Sinaï ». Cette histoire démontre la plasticité de la transmission : le lien de filiation est maintenu malgré une transformation radicale du contenu, validant une évolution profonde de l’interprétation.

2. Rabbi Eliezer contre Rabbi Yoshua : Lors d’un débat sur la pureté rituelle d’un four, Rabbi Eliezer, certain d’avoir raison, invoque des miracles et même une voix céleste (une Bat Kol) pour le soutenir. Rabbi Yoshua s’oppose vigoureusement en affirmant que la Torah a été donnée aux hommes et que les décisions se prennent désormais à la majorité des sages, non par intervention prophétique. Le Talmud conclut en disant que Dieu a « rougi de contentement » et déclaré : « Mes enfants m’ont vaincu ». Ce récit acte la fin du modèle prophétique et le transfert de l’autorité interprétative à la discussion démocratique des sages. Interpréter n’est plus chercher l’intention de l’auteur (Dieu), mais développer une signification autorisée par la communauté des savants.

La Valorisation de la Controverse

Loin de rechercher un consensus monolithique, la tradition juive « chérit et développe » la contradiction.

• Métaphore du marteau : « La parole de Dieu est comme un marteau qui frappe le rocher, elle produit 70 étincelles ». La parole divine est perçue comme intrinsèquement plurielle, et les discussions contradictoires des sages en sont le reflet.

• Préservation des avis minoritaires : Le Talmud conserve systématiquement les avis minoritaires aux côtés des avis majoritaires. La raison invoquée est qu' »il se pourrait qu’un jour cet avis devienne majoritaire », préservant ainsi la dynamique potentielle du débat et empêchant de figer la loi. Le but d’une discussion n’est pas toujours la synthèse, mais parfois l’approfondissement de la contradiction elle-même.

Principes et Avertissements Modernes

Yann Boissière conclut son intervention par plusieurs avertissements sur la manière d’appréhender les religions aujourd’hui :

• Ne pas juger une religion sur ses textes fondateurs : Une religion est avant tout la manière dont elle interprète, dépasse, et parfois contredit ses propres textes.

• Éviter le « textocentrisme » : Les textes ne sont pas les seuls facteurs explicatifs des comportements. La socialité, le contexte politique et les facteurs culturels (place des femmes, rapport au pouvoir, etc.) sont souvent plus déterminants.

• Les facteurs culturels transcendent les religions : Un littéraliste juif peut être plus proche d’un littéraliste musulman que d’un juif libéral.

Le Christianisme : Une Pluralité de Textes et de Lectures

L’approche chrétienne est marquée par une diversité structurelle qui rend la question de l’interprétation immédiatement complexe. Il n’existe pas « un » texte unique mais « des » Bibles, dont la lecture varie profondément selon les confessions.

La Question du Canon : Quelle Bible ?

Le premier obstacle à une lecture univoque est la définition du canon, c’est-à-dire la liste des livres considérés comme inspirés.

• Différents Canons : Le canon juif hébraïque (adopté par les Protestants pour l’Ancien Testament), le canon grec d’Alexandrie (gardé par les Catholiques et les Orthodoxes, incluant les livres « deutérocanoniques »), et le canon de l’Église éthiopienne (le plus large, avec 81 livres) coexistent.

• Conséquences Doctrinales : Cette différence a des implications directes. Par exemple, la prière pour les morts, rejetée par les Protestants car absente de leur canon, est justifiée par les Catholiques en s’appuyant sur un passage des livres deutérocanoniques (Maccabées).

La Question du Texte : Variantes et Traductions

Même au sein d’un canon défini, le texte lui-même n’est pas stable.

• Variantes Textuelles : Les manuscrits anciens présentent de nombreuses variantes. L’exemple célèbre est celui de la femme adultère dans l’Évangile de Jean, un passage absent des plus anciens et meilleurs manuscrits. Le choix d’inclure ou non de tels passages est un acte d’interprétation. Une autre variante, sur la voix céleste au baptême de Jésus, a des implications christologiques majeures (« Celui-ci est mon fils » vs. « Aujourd’hui, il est devenu fils de Dieu »).

• Importance de la Traduction : La traduction est un acte d’interprétation permanent et nécessaire pour que le texte reste compréhensible. Des termes ou des unités de mesure anciennes (comme le « stade ») perdent leur sens et doivent être adaptés.

Les Méthodes d’Interprétation

Chaque grande branche du christianisme a développé sa propre approche de la lecture :

• Orthodoxes : Lisent la Bible à travers le prisme des Pères de l’Église.

• Catholiques : Lisent la Bible avec les « éclaircissements du Magistère ».

• Protestants : Appliquent le principe de Sola Scriptura (l’Écriture seule), ce qui mène à une plus grande latitude individuelle. « Tout protestant est pape, Bible à la main ». La méthode historico-critique, qui vise à replacer le texte dans son contexte historique et culturel pour en comprendre la portée actuelle, y est centrale (ex: la question du voile des femmes chez Paul).

La Bible comme Support de la Parole de Dieu

Le pasteur Jacques-Noël Pérès propose une distinction théologique fondamentale :

• La Bible n’est pas, en soi, la Parole de Dieu. C’est un ensemble de textes humains, pétris d’humanité, qui comprend même des prières d’hommes adressées à Dieu (les Psaumes).

• La Bible devient Parole de Dieu in actu (dans l’acte de lecture et de réception). C’est « en lisant la Bible que j’entends Dieu qui me parle ». Elle est le support de la Parole de Dieu, un moyen par lequel une parole vivante peut être entendue aujourd’hui.

L’Islam : Une Science Complexe de l’Interprétation

Dans l’islam, toucher au texte sacré est non seulement permis mais nécessaire, à condition de le faire avec les outils d’une science rigoureuse et complexe. L’approche est celle d’une expertise technique indispensable pour naviguer la complexité des sources.

Les Deux Textes Fondateurs : Coran et Hadith

La tradition musulmane repose sur deux piliers textuels :

1. Le Coran : Considéré comme le texte divin par excellence.

2. La Tradition Prophétique (Hadith) : Recueils des dits et faits du prophète Muhammad. Le Hadith est fondamental car il explique et contextualise les injonctions générales du Coran (ex: le Coran dit « faites la prière », le Hadith explique comment, quand, et combien de fois).

Cependant, le Hadith pose un problème critique majeur : il a été consigné par écrit près de deux siècles après la mort du prophète, dans un contexte de troubles politiques, ouvrant la porte à des inventions et des forgeries pour des raisons politiques ou commerciales. Une partie importante du corpus est donc sujette à caution.

Le Coran : Une Structure à Deux Niveaux

Ghaleb Bencheikh propose une distinction structurelle au sein même du Coran :

• Une partie figée (10-15%) : L’ossature, les grandes lignes et l’esprit de l’islam, qui sont intangibles.

• Une partie « perfectible » (85-90%) : La grande majorité du texte, qui est matière à interprétation et dont la compréhension est le fruit du « travail intellectuel des hommes faillibles ».

L’Interprétation comme Affaire de Spécialistes

L’idée centrale est que « n’approche pas les textes qui veut ». L’exégèse coranique est une affaire de spécialistes hautement qualifiés.

• Maîtrise de multiples disciplines : Comprendre le Coran exige la maîtrise d’une centaine de disciplines, incluant la langue arabe pré-islamique (pour éviter les glissements de sens), les contextes de révélation de chaque verset, les différentes lectures canoniques (treize au total), et les sciences de l’abrogeant et de l’abrogé.

• Le danger du littéralisme et de la non-spécialisation : Les « littéralistes » dénoncés dans les médias sont qualifiés d' »analphabètes » ou « semi-analphabètes » des textes, car ils ignorent cette complexité. Une lecture non avertie peut mener à des contresens dangereux.

• Exemple de mauvaise interprétation : Le verset souvent cité affirmant que les Juifs ont « falsifié » les textes est mal interprété. Selon Bencheikh, en maîtrisant le contexte et la langue de l’époque, on comprend qu’il ne s’agit pas d’une altération physique du texte, mais d’une critique adressée à certains juifs contemporains du prophète pour leur interprétation jugée partiale des Écritures.

En conclusion, l’islam encadre très strictement l’acte d’interpréter, le définissant comme un champ d’expertise qui ne peut être laissé à l’amateurisme, sous peine de trahir le sens profond du texte.

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Révélations sur les Textes Sacrés qui Vont Changer Votre Perspective

Lorsque nous pensons aux textes sacrés comme la Torah, la Bible ou le Coran, l’image qui vient souvent à l’esprit est celle de blocs de lois et de récits figés, de règles immuables dictées il y a des millénaires. On les imagine comme des monuments de pierre, intouchables et monolithiques, dont le sens serait unique et définitif. Cette perception, bien que répandue, ne pourrait être plus éloignée de la réalité vécue au sein même de ces traditions.

La réalité est infiniment plus complexe, vivante et dynamique. Le véritable enjeu n’a jamais été le texte lui-même, mais la conversation ininterrompue qu’il suscite depuis des siècles. C’est dans l’interprétation, la discussion et parfois même la contradiction que ces textes prennent vie et révèlent leur profondeur. Loin d’être des objets inertes, ils sont des partitions musicales jouées et réinventées par chaque génération.

Cet article explore cinq des idées les plus surprenantes et contre-intuitives issues d’un dialogue fascinant entre un rabbin, un pasteur et un islamologue. Leurs perspectives révèlent la souplesse, la complexité et l’étonnante humanité qui se trouvent au cœur des traditions juive, chrétienne et musulmane, et pourraient bien changer à jamais votre regard sur les textes sacrés.

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1. Dans la tradition juive, la contradiction est une vertu, pas un défaut.

Contrairement à la pensée occidentale qui cherche souvent à résoudre les oppositions pour aboutir à une synthèse, la pensée talmudique fonctionne différemment. Elle ne cherche pas à éliminer les contradictions, mais au contraire à les chérir et à les encourager.

Dans le Talmud, un vaste recueil de discussions rabbiniques, il est courant de conserver systématiquement l’avis majoritaire aux côtés de l’avis minoritaire. Le but n’est pas toujours de trancher ou de trouver un compromis. Parfois, l’objectif d’une discussion est simplement d’obtenir une « vision plus claire de la contradiction ».

Cette approche est perçue comme un moyen d’approcher la complexité infinie du divin. En préservant la polyphonie des voix, même opposées, on empêche la parole de se figer en une idole unique et réductrice. La contradiction devient alors une source de dynamisme et une garantie contre le dogmatisme.

…on dit que les unes et les autres sont les paroles du dieu vivant.

2. Le sens d’un texte sacré appartient plus à ses lecteurs qu’à son auteur divin.

L’une des idées les plus révolutionnaires de la pensée rabbinique est que l’interprétation d’un texte ne consiste pas à retrouver l’intention originelle de son auteur, même lorsque cet auteur est considéré comme étant Dieu lui-même.

Une histoire du Talmud illustre magnifiquement ce concept. Moïse, le législateur par excellence, est transporté des siècles après sa mort dans l’académie de Rabbi Akiba. Assis au dernier rang, il écoute le grand sage interpréter la Torah, sa propre loi. Or, Moïse ne comprend absolument rien aux discussions. Pourtant, à la fin, un élève demande à Rabbi Akiba d’où il tire son enseignement, et ce dernier répond : « C’est une explication de Moïse au mont Sinaï. »

Cette histoire révèle l’incroyable « plasticité de l’interprétation ». Elle suggère que le texte sacré a été laissé comme un testament aux générations suivantes, avec l’autorisation implicite de l’interpréter selon leur propre compréhension et les défis de leur époque. Le texte n’est pas une relique du passé, mais une parole vivante qui continue de se déployer. En ce sens, il « appartient beaucoup plus à ses lecteurs qu’à sa source ».

3. Dans le christianisme, il n’existe pas « une seule » Bible.

L’idée d’une Bible unique et universelle, identique pour tous les chrétiens, est une simplification. En réalité, il existe plusieurs « canons », c’est-à-dire plusieurs listes officielles des livres considérés comme inspirés et faisant autorité.

Le pasteur James Noël Perez souligne ces différences majeures. Le canon protestant, par exemple, se base sur le canon hébraïque pour l’Ancien Testament. Le canon catholique, lui, est plus large et inclut des livres supplémentaires appelés « deutérocanoniques ». Quant à l’Église éthiopienne, elle possède « la plus grosse bible du monde » avec 81 livres, dont certains textes anciens uniques comme le Livre d’Hénoch.

Ces différences ne sont pas de simples détails académiques ; elles ont des conséquences théologiques directes et très concrètes. Prenons l’exemple de la « prière pour les morts ». Les protestants la rejettent car elle n’est fondée sur aucun texte de leur canon. Les catholiques, en revanche, la pratiquent en s’appuyant sur un passage présent dans un de leurs livres deutérocanoniques (les livres des Maccabées). La question de savoir « quelle Bible » on lit détermine donc ce que l’on croit et ce que l’on pratique.

Quelle Bible vais-je interpréter ? Est-ce que c’est la Bible des réformateurs ? Est-ce que c’est la Bible de mes frères catholiques ? Ou est-ce que c’est celle des Éthiopiens avec ses 81 livres ? C’est le premier problème.

4. En Islam, 85% de la tradition est une œuvre humaine « perfectible ».

Une vision courante de l’islam est celle d’un bloc monolithique où chaque règle découlerait directement et immuablement de la parole divine. L’islamologue Ghavin Chahfran propose une distinction fondamentale qui nuance radicalement cette perception.

Selon lui, la tradition musulmane se divise en deux parties : une partie « figée », qui représente l’ossature spirituelle et les grands principes (environ 10-15 %), et une immense partie « perfectible » (85-90 %). Cette dernière n’est rien d’autre que « le travail intellectuel des hommes faillibles ». Il s’agit d’une accumulation de commentaires, de jurisprudences et d’interprétations produits par des savants humains au fil des siècles. Ce n’est donc pas une transmission sacrée directe, mais une œuvre humaine, sujette à l’erreur et à l’évolution.

Pour illustrer ce point, l’islamologue rappelle un fait historique crucial : la Tradition Prophétique (les Hadiths), deuxième texte fondateur de l’islam, n’a été consignée par écrit que près de deux siècles après la mort du Prophète. Cette longue période de transmission orale, avec ses risques d’altération mémorielle et de manipulation politique, ancre fermement cette tradition dans le champ de l’œuvre intellectuelle humaine.

Approcher ces textes est donc une « affaire de spécialistes ». L’expert met en garde contre ceux qui, après une lecture superficielle du Coran, pensent en avoir saisi le sens. Il les qualifie de « semi-analphabètes », car une interprétation juste et rigoureuse requiert la maîtrise de « centaines de disciplines différentes », de la linguistique de l’arabe pré-islamique à l’histoire et au contexte de chaque révélation.

5. Le vrai clivage n’est pas entre les religions, mais dans la manière de lire.

Un point de convergence frappant entre les trois experts est leur mise en garde contre le « textocentrisme exagéré ». Juger une religion uniquement sur quelques versets sortis de leur contexte, sans tenir compte des quinze ou vingt siècles d’interprétation, de débat et de culture qui les entourent, est une erreur fondamentale.

Cette idée est le point de convergence de tout le dialogue. Lorsque le pasteur Perez oppose la lecture littéraliste des instructions de Paul à une approche historico-critique pour en comprendre le contexte, il trace exactement la même ligne de fracture. De même, quand l’islamologue Chahfran distingue le travail rigoureux des spécialistes des lectures superficielles des « semi-analphabètes », il renforce l’idée que la méthode d’interprétation est plus fondamentale que l’appartenance religieuse.

Le clivage le plus pertinent n’est donc pas entre juifs, chrétiens et musulmans, mais au sein même de chaque tradition, entre une lecture figée et une lecture vivante. La posture intellectuelle et spirituelle face au texte devient plus déterminante que l’étiquette religieuse elle-même.

…souvent deux littéralistes de religions différentes sont beaucoup plus proches l’un de l’autre que le sont les coreligionnaires bien même religion.

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Conclusion : Une Invitation à l’Écoute

Loin d’être des monolithes silencieux, les traditions religieuses se révèlent être des conversations dynamiques et vivantes qui se poursuivent depuis des millénaires. Elles sont moins des ensembles de réponses toutes faites que des invitations permanentes à questionner, à interpréter et à dialoguer avec une sagesse qui nous dépasse.

La métaphore de la musique, évoquée par les intervenants, est particulièrement éclairante. Les religions sont comme des instruments distincts – un piano, un violon. Apprendre à en jouer demande une discipline rigoureuse et un engagement sur un chemin spécifique. On ne peut pas prétendre maîtriser la musique sans d’abord se consacrer à un instrument. Pourtant, une fois maîtrisés, ces instruments différents peuvent jouer ensemble pour créer une harmonie inattendue et sublime, où chaque voix enrichit les autres.

Et si la plus grande sagesse n’était pas de trouver une réponse unique, mais d’apprendre à écouter la polyphonie des interprétations ?

DU interreligieux à l’ICP

Dans une thématique proche de l’association Cordoba, l’Institut catholique de Paris propose un Diplôme Universitaire judaïsme, christianisme, islam : interactions des doctrines et des pratiques.

La fiche de présentation est accessible ici.

L’institut des Sciences et de Théologie des Religions dispose de deux bourses pour ce DU.
Les demandes d’inscription ou demandes de bourse doivent être effectuées avant le 18 septembre 2015.