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Conférence publique

Pourquoi la violence dans les religions ?

Nous avons le plaisir de vous inviter à nous retrouver à la journée des associations le 6 septembre et à notre prochaine conférence le 25 septembre, elle aura lieu dans la salle Brociero, 34 rue CÉLINE ROBERT, à Vincennes, à 20H30 . Attention l’adresse est inhabituelle.

Le thème de la conférence est : Pourquoi la violence dans les religions ? Elle sera animée par M. Roger POUIVET, professeur émérite de l’université de Lorraine. Elle sera suivie d’une séance de questions/ réponses et du pot de l’amitié.

Résumé de la conférence et article de CORDOBA.

Roger Pouivet, philosophe français et professeur à l’université de Lorraine, explore la question complexe de la violence religieuse. Il commence par constater que historiquement, les religions ont été associées à de nombreux épisodes violents : croisades, guerres de religion, persécutions, conversions forcées lors de colonisations, et terrorisme contemporain. Cependant, Pouivet défend la thèse que **les religions ne sont pas intrinsèquement violentes**. S’appuyant sur les travaux de William Cavanaugh, il argue que l’idée de violence religieuse est largement un mythe des Lumières, et que les causes véritables des conflits soi-disant religieux sont en réalité politiques, économiques ou sociales.

Le philosophe distingue *trois types d’exclusivisme religieux* :

1. *L’exclusivisme doctrinal* : chaque religion revendique détenir la vérité absolue

2. *L’exclusivisme sotériologique* : seule la « vraie » foi permet le salut

3. *L’exclusivisme religieux social/politique* : interdiction ou restriction d’autres religions dans la société Sa thèse centrale est que les deux premiers types d’exclusivisme n’impliquent pas nécessairement la violence. Les religions sont fondées sur des *croyances fondamentales et sérieuses* – des convictions sur la nature du monde, l’existence de Dieu, le salut – qui sont par définition exclusives car elles portent des revendications de vérité absolue. Pouivet critique deux approches alternatives. D’abord le *pluralisme religieux**, qui selon lui vide les religions de leur contenu doctrinal en réduisant leurs revendications de vérité à de simples préférences subjectives, comme des goûts esthétiques ou culinaires.

Ensuite **l’inclusivisme* (doctrine de Vatican II avec Nostra Aetate), qui postule un noyau commun à toutes les religions, mais qui reste trop vague pour être doctrinalement significatif. La violence religieuse naît donc de l’exclusivisme social/politique qui se greffe sur les doctrines religieuses, mais n’en découle pas nécessairement. Les religions peuvent cohabiter malgré leurs désaccords doctrinaux fondamentaux. Pouivet illustre son propos en expliquant la notion de tolérance : être tolérant signifie accepter que d’autres aient des croyances que l’on considère comme fausses, non pas être indifférent à leurs croyances. Un chrétien peut penser qu’un musulman ou un juif a tort sur des questions fondamentales tout en respectant parfaitement leur droit à pratiquer leur religion. La laïcité française représente une solution au problème de cohabitation, mais elle a l’inconvénient de minimiser l’importance des revendications de vérité religieuse. Les religions ne peuvent facilement disparaître de l’espace social car leurs adhérents croient détenir des vérités absolues qu’ils souhaitent naturellement partager. En conclusion, Pouivet soutient que la cohabitation des religions est possible mais inévitablement difficile, non pas à cause de l’essence des religions elles-mêmes, mais à cause de leur inscription sociale et des enjeux politiques qui s’y greffent.

Violence et religion.

La question de la violence et de la religion est un sujet complexe et nuancé, qui exige de distinguer les doctrines religieuses de leurs applications sociales, politiques et historiques. Les sources, s’appuyant sur les travaux du philosophe Roger Pouivet (notamment son ouvrage La cohabitation des religions. Pourquoi est-ce si difficile ?), proposent une analyse qui sépare le caractère intrinsèquement conflictuel des religions de la cause fondamentale de la violence.

I. Les Manifestations Historiques et Sociologiques de la Violence Religieuse

Historiquement, l’association de la religion à la violence est manifeste et prend de nombreuses formes :

Conflits Historiques Majeurs : On peut citer les croisades, les guerres de religion (telles que les Guerres de Religion en Europe aux XVIe et XVIIe siècles), et les persécutions de toutes sortes.

Conversions Forcées : La colonisation s’est souvent accompagnée de conversions forcées de populations entières en Amérique du Sud, en Amérique du Nord ou en Afrique.

Violence Contemporaine : Plus récemment, le terrorisme et le massacre de chrétiens au Nigeria témoignent de cette violence.

Violence Interne : Il existe des violences non seulement entre religions, mais aussi à l’intérieur même des religions. Toute remise en cause des règles internes (le phénomène de l’hérésie) peut entraîner une réaction violente de la part des autorités religieuses, comme cela s’est produit dans l’histoire du christianisme (par exemple, au IIIe siècle, les hérésies réprimées avec brutalité jusqu’aux conciles de Nicée et de Constantinople).

Cependant, une analyse attentive suggère que l’on ne peut pas conclure que les religions sont intrinsèquement violentes.

II. L’Exclusivisme Doctrinal et le Caractère Conflictuel

La véritable nature des religions, selon l’analyse philosophique, est d’être fondamentalement conflictuelles, mais pas nécessairement violentes.

La Revendication de Vérité et l’Orthodoxie Les religions se caractérisent par des croyances fondamentales et sérieuses qui sont constitutives de ce qui est la réalité pour leurs adeptes. Ces croyances portent sur des questions existentielles (ce qu’est le monde, d’où il vient, comment nous devons vivre pour être sauvé). Les croyances sont « sérieuses » car elles sont irrésistibles et ne sont pas modifiables, même face à des arguments contraires.

Puisque chaque religion prétend être la seule vraie (orthodoxie) sur des points fondamentaux et que les doctrines des trois grands monothéismes sont souvent opposées (par exemple, la Trinité chrétienne versus le monothéisme juif et musulman), il y a une raison purement logique au caractère conflictuel :

« Si vous considérez qu’une croyance fondamentale et sérieuse est vraie, vous considérez que tout ce qui la contredit est faux et vous êtes en conflit alors avec tous ceux qui pour vous pensent faux ».

C’est pourquoi les religions sont par nature exclusivistes. Cet exclusivisme doctrinal signifie que, du point de vue d’une foi, toute autre proclamation de foi est considérée comme fausse, voire une infidélité.

La Non-Implication de la Violence Toutefois, l’exclusivisme doctrinal n’entraîne pas forcément la violence entre religions. La revendication de vérité inhérente à toute religion n’implique pas la violence comme une conséquence nécessaire.

Un croyant peut penser que sa religion est la seule vraie sans en conclure qu’il doit éradiquer toutes les autres. La violence à l’égard d’autres religions peut même être interdite par des croyances internes à la propre religion du fidèle.

III. Les Causes Réelles de la Violence : Politique et Sociale (Orthopraxie)

Selon l’analyse, la religion n’est pas la cause fondamentale de la violence, y compris religieuse. Les causes véritables sont souvent politiques, économiques ou sociales, le religieux servant alors de prétexte ou d’alibi.

L’Exclusivisme Social/Politique Ce qui rend la coexistence difficile, ce n’est pas l’exclusivisme doctrinal, mais l’exclusivisme religieux social (ou politique). Cet exclusivisme porte sur les orthopraxies (les pratiques religieuses, les normes qui définissent l’appartenance) et l’inscription historique et sociale des religions.

L’exclusivisme religieux social conduit à interdire ou à rendre très difficile la pratique d’une autre religion dans la vie sociale.

Priorité Politique : Les guerres de religion en Europe (XVIe et XVIIe siècles) étaient avant tout des querelles politiques et non des divergences religieuses, bien que la religion ait été le motif affiché. L’exclusivisme religieux n’implique même pas de penser que sa religion est la vraie ; il peut être simplement bénéfique pour des raisons politiques d’imposer une religion.

La Graine de la Violence dans l’Homme Au-delà des structures sociopolitiques, il est également souligné que la violence est inhérente à l’homme lui-même, indépendamment de sa pratique religieuse. L’homme, même s’il pratique, est un être ordinaire rempli de violence, et cette violence individuelle n’est pas éradiquée par la pratique religieuse. Cela est en partie lié au fait de se croire au centre du monde.

IV. Dialogue et Coexistence

La coexistence des religions est inévitablement difficile. Le défi du dialogue est d’accepter l’exclusivisme doctrinal sans que celui-ci ne dégénère en violence sociale.

Tolérance vs. Indifférence La notion de tolérance est souvent mal comprise. La tolérance, c’est accepter que les autres aient tort, sans pour autant penser qu’ils ont raison. Si l’on pense que l’autre a raison, on n’est pas tolérant, on est indifférent. Un Chrétien, par exemple, peut être parfaitement tolérant tout en pensant qu’un Juif a tort, car ne pas croire en Jésus Fils de Dieu est constitutif du christianisme.

Le Pluralisme et l’Inclusivisme D’autres approches visent l’harmonie mais rencontrent des difficultés :

Pluralisme : L’attitude pluraliste, qui voudrait qu’il y ait une pluralité de vérités religieuses ou que la question de la vérité ne se pose pas dans les religions, risque de vider les religions de leur contenu doctrinal fondamental et sérieux. Le pluralisme peut masquer une forme cachée d’exclusivisme, affirmant que la seule thèse correcte est qu’il n’y a aucune vérité religieuse.

Inclusivisme : La thèse inclusiviste, quasi officielle de l’Église catholique depuis Nostra Ætate, suggère qu’il y a des « semences de vérité » dans toutes les religions. Cependant, si les autres religions n’ont que des semences de vérité, la thèse est plus exclusiviste qu’il n’y paraît. De plus, l’idée d’un noyau commun (comme l’idée que nous avons tous le même Dieu, décrit différemment) est problématique doctrinalement, car elle aboutit à une notion vague, non déterminée, qui relève de la philosophie plutôt que de la religion.

En conclusion, la violence n’est pas une conséquence nécessaire de la revendication de vérité religieuse (orthodoxie), mais plutôt une attitude sociopolitique qui se greffe sur la pratique religieuse (orthopraxie) et qui utilise l’incompatibilité doctrinale comme levier ou prétexte.

Exclusivisme doctrinal.

L’exclusivisme doctrinal est un concept central dans l’analyse de la nature conflictuelle des religions, tel qu’il est développé par le philosophe Roger Pouivet. Il s’agit de la revendication de vérité inhérente à chaque religion, qui pose des difficultés fondamentales pour la coexistence religieuse, sans toutefois être la cause nécessaire de la violence.

I. Définition et Logique de l’Exclusivisme Doctrinal

L’exclusivisme doctrinal concerne l’orthodoxie (la doctrine) d’une religion, par opposition à l’orthopraxie (la pratique).

Croyances Fondamentales et Sérieuses L’exclusivisme doctrinal repose sur le fait que les religions se fondent sur des croyances fondamentales et sérieuses.

Fondamentales : Elles portent sur des questions existentielles telles que la nature du monde, son origine, sa finalité, la nature de l’être humain, le bien, le mal, et comment vivre pour être sauvé ou vivre éternellement. Ces croyances sont constitutives de ce qui est considéré comme la réalité pour les croyants.

Sérieuses : Ce sont des croyances irrésistibles et non modifiables. Même face à des arguments contraires, le croyant ne renonce pas à sa foi, persuadé qu’il doit y avoir une réponse à l’argument, même s’il ne la connaît pas (comme l’argument du mal contre l’existence de Dieu).

La Logique de la Vérité Unique La revendication de vérité (l’orthodoxie) conduit à l’exclusivisme par une raison purement logique.

1. Si une croyance fondamentale et sérieuse est considérée comme vraie, tout ce qui la contredit est nécessairement considéré comme faux.

2. Par conséquent, chaque religion pense être la seule vraie et, au regard de cette religion, toutes les autres sont fausses.

3. Toute autre proclamation de foi est considérée comme une infidélité.

Par exemple, le christianisme est constitutif de la croyance que Jésus est le fils de Dieu et qu’il est le Messie. Du point de vue d’un chrétien, un Juif ou un Musulman a tort de ne pas y croire. Les croyances fondamentales des trois grands monothéismes sont non seulement différentes, mais opposées.

II. L’Exclusivisme Doctrinal vs. la Violence

Bien que l’exclusivisme doctrinal rende les religions fondamentalement conflictuelles, l’analyse suggère qu’il n’entraîne pas nécessairement la violence.

La Distinction Cruciale Il est essentiel de distinguer l’exclusivisme des doctrines de l’exclusivisme religieux social ou politique.

L’exclusivisme doctrinal (concernant la vérité des croyances).

L’exclusivisme du salut (sotériologique), qui stipule que seule la vraie foi sauve, mais qui peut être modulé par le dogme de l’action divine incompréhensible (la possibilité de « chrétiens anonymes »).

L’exclusivisme religieux social/politique, qui porte sur les pratiques (orthopraxies) et l’inscription sociale, conduisant à interdire ou à rendre difficile la pratique d’une autre religion dans la vie sociale.

Compatibilité avec la Cohabitation L’exclusivisme doctrinal est parfaitement compatible avec une cohabitation des religions et des incroyants. Penser que sa religion est la seule vraie n’implique pas la conclusion que l’on doive éradiquer toutes les autres. La violence est plutôt le résultat d’une attitude sociopolitique qui se greffe sur une pratique religieuse.

De plus, une religion peut contenir des croyances internes qui interdisent la violence à l’égard des autres religions. Ce qui rend la cohabitation difficile n’est pas l’exclusivisme doctrinal, mais l’exclusivisme social des religieux.

III. L’Exclusivisme face aux Autres Attitudes

L’exclusivisme doctrinal est la position par défaut des religions sérieuses, et s’oppose à deux autres attitudes : le pluralisme et l’inclusivisme.

1. Critique du Pluralisme L’attitude pluraliste prétend qu’il peut y avoir une pluralité de vérités religieuses ou que la question de la vérité ne se pose pas dans les religions. Bien que le pluralisme semble sympathique et favorise l’harmonie, il est difficile à tenir d’un point de vue logique.

Le pluralisme tend à vider les religions de leur contenu doctrinal fondamental et sérieux, les réduisant à de simples préférences subjectives (comme des préférences esthétiques ou culinaires). En réalité, le pluralisme cache souvent une forme d’exclusivisme en rejetant toute revendication de vérité religieuse comme absurde : « la seule thèse correcte, c’est qu’il n’y a aucune vérité religieuse ».

2. Critique de l’Inclusivisme L’inclusivisme (dont Nostra Ætate est un exemple, même si l’interprétation est ambiguë) est la thèse selon laquelle il y aurait un noyau commun ou des « semences de vérité » dans toutes les religions. Cela encourage l’idée que « nous avons tous le même Dieu ».

Cependant, cette thèse est problématique :

• Si les autres religions n’ont que des semences de vérité, cela implique qu’elles n’ont pas la vérité entière, ce qui est une position plus exclusiviste qu’elle n’en a l’air.

• Le concept d’un Dieu commun, décrit différemment (comme l’histoire de l’éléphant touché par des aveugles), aboutit à une notion trop vague et indéterminée de la divinité. Si l’on parle d’un Dieu en général, on tombe dans la philosophie (comme Platon ou Aristote) et non dans une doctrine religieuse spécifique (qui est déterminée par un credo précis).

En conclusion, la revendication de vérité et l’exclusivisme doctrinal sont essentiels à la constitution des religions. Le véritable défi de la cohabitation n’est pas d’éradiquer cette revendication, mais d’empêcher que l’exclusivisme doctrinal ne se transforme en exclusivisme social coercitif.

Cohabitation des religions.

La question de la cohabitation des religions est un sujet intrinsèquement difficile, exploré en profondeur par le philosophe Roger Pouivet dans son ouvrage La cohabitation des religions. Pourquoi est-ce si difficile ?. L’analyse philosophique et historique montre que cette difficulté réside moins dans laLa cohabitation des religions. Pourquoi est-ce si difficile ?*. L’analyse philosophique et historique montre que cette difficulté réside moins dans la nature des doctrines religieuses que dans leur inscription sociale et politique.

I. Le Caractère Inévitablement Conflicuel des Religions

Selon Roger Pouivet, la difficulté de la cohabitation vient du fait que les religions sont fondamentalement conflictuelles. Cette conflictualité est une raison purement logique qui découle de leur nature même, à savoir qu’elles se fondent sur des croyances fondamentales et sérieuses.

L’Exclusivisme Doctrinal (Orthodoxie) Toute religion, par la force de sa doctrine (orthodoxie), prétend être la seule vraie.

• Les croyances portent sur des questions existentielles (ce qu’est le monde, comment être sauvé, etc.) et sont irrésistibles et non modifiables par des arguments contraires.

• Si une croyance est vraie, alors tout ce qui la contredit est faux.

• Par exemple, si un Chrétien croit que Jésus est le fils de Dieu, il doit logiquement penser qu’un Juif ou un Musulman a tort de penser le contraire.

Cet exclusivisme doctrinal signifie que les religions sont exclusives des autres, mais, crucialement, l’exclusivisme doctrinal n’implique pas forcément la violence entre elles.

II. Les Causes Réelles de la Difficulté : L’Exclusivisme Social

Ce n’est pas la revendication de vérité (orthodoxie) qui rend la cohabitation impossible, mais l’exclusivisme religieux social ou politique.

L’Orthopraxie et l’Inscription Sociale Les religions sont des pratiques, des orthopraxies, avec des normes qui définissent l’appartenance. L’exclusivisme social porte sur l’inscription historique et sociale des religions.

C’est cet exclusivisme social qui conduit à :

Interdire ou rendre très difficile la pratique d’une autre religion dans la vie sociale.

• Utiliser la religion comme prétexte pour des causes qui sont en réalité politiques, économiques ou sociales. Les guerres de religion en Europe aux XVIe et XVIIe siècles, par exemple, étaient avant tout des querelles politiques.

L’exclusivisme social ne suppose même pas que l’on pense avoir la vraie religion ; il peut suffire de penser qu’il est bénéfique pour des raisons politiques d’imposer une religion.

La Violence Inhérente à l’Homme Il est également important de noter que la violence est inhérente à l’homme lui-même, indépendamment de sa pratique religieuse. L’homme qui pratique et qui croit est un être ordinaire rempli de violence, qui n’est pas éradiquée par la pratique. Cette violence individuelle, liée au fait de se croire au centre du monde, est peut-être la racine de la violence qui peut se manifester à travers les religions.

III. Les Approches pour Gérer la Cohabitation

Face à l’exclusivisme doctrinal inévitable, plusieurs attitudes sont envisagées, chacune avec ses limites pour une cohabitation réussie : l’exclusivisme lui-même, le pluralisme et l’inclusivisme.

1. La Tolérance (Compatible avec l’Exclusivisme Doctrinal)

La cohabitation est compatible avec l’exclusivisme doctrinal si celui-ci ne dégénère pas en exclusivisme social. Une attitude de tolérance permet cette coexistence.

Définition de la Tolérance : Tolérer, c’est accepter que les autres aient tort, ce n’est pas penser qu’ils ont raison.

Distinction avec l’Indifférence : Si l’on pense que l’autre a raison, on n’est pas tolérant, on est indifférent.

• Un Chrétien peut être parfaitement tolérant tout en pensant qu’un Juif a tort, parce que ne pas croire en Jésus Fils de Dieu est constitutif de sa religion.

2. Le Pluralisme (Risque de Vider le Contenu)

L’attitude pluraliste prétend qu’il peut y avoir une pluralité de vérités religieuses ou que la question de la vérité ne se pose pas dans les religions. Bien qu’elle semble favorable à l’harmonie, elle est difficile à tenir logiquement.

Le pluralisme tend à vider les religions de leur contenu doctrinal fondamental et sérieux, les réduisant à de simples préférences subjectives (comme les préférences esthétiques ou culinaires).

De plus, le pluralisme peut être une forme cachée d’exclusivisme, car il affirme que la seule thèse correcte est qu’il n’y a aucune vérité religieuse (toutes les religions se valent puisqu’elles sont toutes fausses).

3. L’Inclusivisme (Vag et Indéterminé)

L’inclusivisme est souvent considéré comme la thèse quasi officielle de l’Église catholique depuis Nostra Ætate, affirmant l’existence de « semences de vérité » ou d’un noyau commun dans toutes les religions. Cela encourage l’idée que « nous avons tous le même Dieu ».

Cependant, l’inclusivisme est critiqué comme étant problématique :

• Si les autres religions n’ont que des semences de vérité, la thèse est plus exclusiviste qu’elle n’y paraît.

• L’idée d’un noyau commun conduit à une notion d’un dieu en général qui est trop vague et indéterminée pour être une doctrine religieuse spécifique ; elle relève de la philosophie (comme chez Platon ou Aristote) plutôt que de la religion.

IV. La Solution Sociale : la Laïcité

La laïcité à la française est présentée comme une solution qui a permis une certaine paix entre les religions en France. Elle gère la cohabitation en imposant à l’État de ne privilégier aucun culte.

Cependant, cette solution présente un inconvénient : elle tend à éradiquer, minorer ou mettre en question la revendication de vérité religieuse dans la vie sociale. Si une personne pense qu’une chose est absolument vraie (selon sa foi), elle aura envie de le dire. Le risque est que cette laïcité, en imposant l’absence de vérité religieuse reconnue, n’est pas entièrement acceptable des religions.

En conclusion, la cohabitation des religions est inévitablement difficile, non pas à cause des croyances elles-mêmes, mais à cause des facteurs sociopolitiques qui s’en servent comme alibi pour l’exclusivisme social, l’empêchant ou la limitant.

Cohabitation des religions.

La question de la cohabitation des religions est un sujet intrinsèquement difficile, exploré en profondeur par le philosophe Roger Pouivet dans son ouvrage La cohabitation des religions. Pourquoi est-ce si difficile ?. L’analyse philosophique et historique montre que cette difficulté réside moins dans laLa cohabitation des religions. Pourquoi est-ce si difficile ?*. L’analyse philosophique et historique montre que cette difficulté réside moins dans la nature des doctrines religieuses que dans leur inscription sociale et politique.

I. Le Caractère Inévitablement Conflicuel des Religions

Selon Roger Pouivet, la difficulté de la cohabitation vient du fait que les religions sont fondamentalement conflictuelles. Cette conflictualité est une raison purement logique qui découle de leur nature même, à savoir qu’elles se fondent sur des croyances fondamentales et sérieuses.

L’Exclusivisme Doctrinal (Orthodoxie) Toute religion, par la force de sa doctrine (orthodoxie), prétend être la seule vraie.

• Les croyances portent sur des questions existentielles (ce qu’est le monde, comment être sauvé, etc.) et sont irrésistibles et non modifiables par des arguments contraires.

• Si une croyance est vraie, alors tout ce qui la contredit est faux.

• Par exemple, si un Chrétien croit que Jésus est le fils de Dieu, il doit logiquement penser qu’un Juif ou un Musulman a tort de penser le contraire.

Cet exclusivisme doctrinal signifie que les religions sont exclusives des autres, mais, crucialement, l’exclusivisme doctrinal n’implique pas forcément la violence entre elles.

II. Les Causes Réelles de la Difficulté : L’Exclusivisme Social

Ce n’est pas la revendication de vérité (orthodoxie) qui rend la cohabitation impossible, mais l’exclusivisme religieux social ou politique.

L’Orthopraxie et l’Inscription Sociale Les religions sont des pratiques, des orthopraxies, avec des normes qui définissent l’appartenance. L’exclusivisme social porte sur l’inscription historique et sociale des religions.

C’est cet exclusivisme social qui conduit à :

Interdire ou rendre très difficile la pratique d’une autre religion dans la vie sociale.

• Utiliser la religion comme prétexte pour des causes qui sont en réalité politiques, économiques ou sociales. Les guerres de religion en Europe aux XVIe et XVIIe siècles, par exemple, étaient avant tout des querelles politiques.

L’exclusivisme social ne suppose même pas que l’on pense avoir la vraie religion ; il peut suffire de penser qu’il est bénéfique pour des raisons politiques d’imposer une religion.

La Violence Inhérente à l’Homme Il est également important de noter que la violence est inhérente à l’homme lui-même, indépendamment de sa pratique religieuse. L’homme qui pratique et qui croit est un être ordinaire rempli de violence, qui n’est pas éradiquée par la pratique. Cette violence individuelle, liée au fait de se croire au centre du monde, est peut-être la racine de la violence qui peut se manifester à travers les religions.

III. Les Approches pour Gérer la Cohabitation

Face à l’exclusivisme doctrinal inévitable, plusieurs attitudes sont envisagées, chacune avec ses limites pour une cohabitation réussie : l’exclusivisme lui-même, le pluralisme et l’inclusivisme.

1. La Tolérance (Compatible avec l’Exclusivisme Doctrinal)

La cohabitation est compatible avec l’exclusivisme doctrinal si celui-ci ne dégénère pas en exclusivisme social. Une attitude de tolérance permet cette coexistence.

Définition de la Tolérance : Tolérer, c’est accepter que les autres aient tort, ce n’est pas penser qu’ils ont raison.

Distinction avec l’Indifférence : Si l’on pense que l’autre a raison, on n’est pas tolérant, on est indifférent.

• Un Chrétien peut être parfaitement tolérant tout en pensant qu’un Juif a tort, parce que ne pas croire en Jésus Fils de Dieu est constitutif de sa religion.

2. Le Pluralisme (Risque de Vider le Contenu)

L’attitude pluraliste prétend qu’il peut y avoir une pluralité de vérités religieuses ou que la question de la vérité ne se pose pas dans les religions. Bien qu’elle semble favorable à l’harmonie, elle est difficile à tenir logiquement.

Le pluralisme tend à vider les religions de leur contenu doctrinal fondamental et sérieux, les réduisant à de simples préférences subjectives (comme les préférences esthétiques ou culinaires).

De plus, le pluralisme peut être une forme cachée d’exclusivisme, car il affirme que la seule thèse correcte est qu’il n’y a aucune vérité religieuse (toutes les religions se valent puisqu’elles sont toutes fausses).

3. L’Inclusivisme (Vag et Indéterminé)

L’inclusivisme est souvent considéré comme la thèse quasi officielle de l’Église catholique depuis Nostra Ætate, affirmant l’existence de « semences de vérité » ou d’un noyau commun dans toutes les religions. Cela encourage l’idée que « nous avons tous le même Dieu ».

Cependant, l’inclusivisme est critiqué comme étant problématique :

• Si les autres religions n’ont que des semences de vérité, la thèse est plus exclusiviste qu’elle n’y paraît.

• L’idée d’un noyau commun conduit à une notion d’un dieu en général qui est trop vague et indéterminée pour être une doctrine religieuse spécifique ; elle relève de la philosophie (comme chez Platon ou Aristote) plutôt que de la religion.

IV. La Solution Sociale : la Laïcité

La laïcité à la française est présentée comme une solution qui a permis une certaine paix entre les religions en France. Elle gère la cohabitation en imposant à l’État de ne privilégier aucun culte.

Cependant, cette solution présente un inconvénient : elle tend à éradiquer, minorer ou mettre en question la revendication de vérité religieuse dans la vie sociale. Si une personne pense qu’une chose est absolument vraie (selon sa foi), elle aura envie de le dire. Le risque est que cette laïcité, en imposant l’absence de vérité religieuse reconnue, n’est pas entièrement acceptable des religions.

En conclusion, la cohabitation des religions est inévitablement difficile, non pas à cause des croyances elles-mêmes, mais à cause des facteurs sociopolitiques qui s’en servent comme alibi pour l’exclusivisme social, l’empêchant ou la limitant.

Discuss Croyances fondamentales.

Les croyances fondamentales (ou croyances fondamentales et sérieuses) constituent le cœur de la doctrine religieuse (l’orthodoxie) et sont l’élément clé qui rend les religions intrinsèquement conflictuelles, selon les analyses de Roger Pouivet.

Voici une discussion détaillée de ce concept :

I. Définition des Croyances Fondamentales

Une croyance est qualifiée de fondamentale si elle porte sur des questions existentielles et structurantes de la réalité. Ces questions incluent :

La nature du monde : Ce qu’est le monde, d’où il vient, et quelle est sa finalité.

La nature humaine : Quelle sorte d’être nous sommes.

L’éthique et le Salut : Ce qui est bien, ce qui est mal, et comment nous devons vivre pour être sauvé ou vivre éternellement.

Les croyances fondamentales sont constitutives de ce qui est la réalité pour les fidèles. Par opposition, d’autres croyances peuvent être perdues sans affecter l’existence, car elles ne sont pas considérées comme importantes pour l’existence même.

II. L’Aspect « Sérieux » des Croyances

Pour être au cœur d’une religion, ces croyances fondamentales doivent également être sérieuses. Le caractère sérieux d’une croyance implique qu’elle est irrésistible et non modifiable.

Les croyances sérieuses sont :

Indépendantes des arguments contraires : Tout argument avancé contre ces croyances ne les modifie pas. Par exemple, le croyant peut connaître l’argument du mal (si Dieu est tout-puissant, omniscient et bon, comment le mal est-il possible ?), mais même s’il est incapable d’y répondre, il continue de croire, se disant qu’il doit y avoir une réponse.

Non renonçables : Ce ne sont pas des croyances auxquelles on va renoncer aisément, ni même renoncer du tout.

Une croyance scientifique en physique, bien que fondamentale (disant comment est la réalité), n’est pas sérieuse dans ce sens, car on peut en changer facilement ou rapidement (comme le passage du modèle newtonien à celui d’Einstein).

III. Le Contenu des Croyances Fondamentales dans les Monothéismes

Les croyances fondamentales et sérieuses caractérisent l’essence d’une religion. Dans les religions chrétiennes, les croyances fondamentales et sérieuses sont énoncées dans le credo.

Pour le christianisme, une croyance fondamentale est :

• Croire que Jésus est le fils de Dieu.

• Croire que Dieu existe et qu’il a un fils qui est Jésus-Christ.

• Ces croyances transforment l’histoire du monde, qui est divisée en deux périodes (avant et après Jésus-Christ), le Messie étant venu en tant que rédempteur.

Pour le judaïsme ou l’islam, ces croyances sont opposées sur des points fondamentaux.

• Un Juif ou un Musulman ne croit pas que Jésus est le fils de Dieu, et pense même que cela est faux.

• De même, un Musulman ou un Juif pense qu’il est faux que Dieu soit une Trinité (Père, Fils et Saint-Esprit), considérant parfois le trinitarisme chrétien comme une forme de polythéisme.

IV. Conséquences : L’Exclusivisme Doctrinal

La revendication de vérité des croyances fondamentales et sérieuses mène à l’exclusivisme doctrinal.

La Vérité Absolue : Si la vérité est absolue (comme la vérité religieuse l’est pour le croyant), il ne peut pas y avoir des vérités différentes ou qui s’opposent.

L’Exclusivité Logique : La raison du caractère conflictuel des religions est purement logique : si une croyance fondamentale est vraie, tout ce qui la contredit est faux. Par conséquent, au regard d’une religion, toutes les autres sont fausses.

Cet exclusivisme fait que toute autre proclamation de foi est une infidélité.

V. Croyances Fondamentales et Cohabitation

L’exclusivisme découlant des croyances fondamentales ne rend pas la coexistence impossible, mais difficile.

Non-Violence Nécessaire : L’exclusivisme des doctrines n’implique pas la violence comme conséquence nécessaire. Il est possible de penser que sa propre religion est la seule vraie sans en conclure qu’il faut éradiquer toutes les autres.

Critique du Pluralisme : L’attitude pluraliste, qui nie que la vérité se pose dans les religions, est critiquée parce qu’elle vide les religions de leur contenu doctrinal fondamental et sérieux. Elle réduit les doctrines religieuses à de simples préférences subjectives (comme des préférences culinaires ou esthétiques), ce qui est inapproprié pour des croyances essentielles à l’existence.

En somme, les croyances fondamentales et sérieuses sont la source de la conflictualité logique entre les religions, mais la violence est plutôt liée à l’exclusivisme social ou politique qui se greffe sur cette divergence doctrinale.

Pluralisme religieux.

Le pluralisme religieux est une attitude et une thèse qui cherche à gérer la cohabitation des religions en niant ou en minimisant l’importance de la revendication exclusive de la vérité par chaque foi. Selon l’analyse du philosophe Roger Pouivet, le pluralisme, bien qu’apparemment louable, présente des difficultés logiques et risque de vider les religions de leur contenu essentiel.

I. Définition et Intention du Pluralisme

Le pluralisme s’oppose à l’attitude exclusiviste qui caractérise naturellement chaque religion.

Pour les tenants du pluralisme :

1. Il peut y avoir une pluralité de vérités religieuses.

2. La question de la vérité ne se pose pas dans les religions. C’est l’idée que les divergences religieuses ne sont pas une question de vérité.

L’attitude pluraliste est souvent spontanément appréciée. Être qualifié de pluraliste est généralement un compliment, signifiant que l’on est ouvert et que l’on prône le dialogue et la rencontre. Le pluralisme cherche à favoriser l’harmonie.

II. Critique Philosophique du Pluralisme

Roger Pouivet exprime des doutes quant à la viabilité du pluralisme, surtout en matière de religion, le considérant difficile à tenir.

1. La Dévaluation du Contenu Doctrinal Le défaut principal du pluralisme est qu’il tend à supprimer la revendication de vérité, ce qui est pourtant absolument essentiel pour chaque religion.

• Les religions sont des revendications de vérité concernant des croyances fondamentales et sérieuses.

• Si l’on adopte une attitude pluraliste et que l’on renonce à la revendication de vérité, les religions se présentent comme de simples préférences subjectives, comparables à des préférences esthétiques (aimer tel peintre ou telle musique) ou culinaires.

• Ce faisant, le pluralisme vide les religions de leur contenu doctrinal fondamental et sérieux.

• Ce n’est pas dramatique de dire que les fruits de mer sont bons ou mauvais, car ce n’est pas une croyance fondamentale ou sérieuse, mais les croyances religieuses sont décisives et non modifiables.

2. Le Pluralisme est un Exclusivisme Caché Le pluralisme, en tentant de rejeter toute forme d’exclusivisme, aboutit à une forme cachée d’exclusivisme.

• Il consiste à dire que la seule thèse correcte, c’est qu’il n’y a aucune vérité religieuse.

• Toutes les religions se valent non pas parce qu’elles sont toutes vraies, mais parce qu’elles sont toutes fausses en fait.

• Toute revendication de vérité des religions est considérée comme absurde.

• Le pluralisme impose, en quelque sorte, que sa propre thèse soit vraie pour que le système fonctionne.

3. Le Pluralisme et la Laïcité Il est suggéré qu’une forme de laïcisme à la française pourrait parfois revenir à une attitude pluraliste. Si l’État ne privilégie aucun culte, cela peut être interprété comme la supposition qu’il n’y a aucune vérité religieuse (contrairement aux vérités scientifiques, par exemple). Or, cette position, qui mine la revendication de vérité, n’est pas acceptable des religions.

III. Pluralisme face à l’Inclusivisme

Le pluralisme se distingue également de l’inclusivisme, une autre thèse qui cherche à concilier les religions (et qui est devenue la position quasi officielle de l’Église catholique depuis Nostra Ætate en 1965).

L’inclusivisme affirme qu’il existe un noyau commun ou des « semences de vérité » dans toutes les religions. Cette approche encourage l’idée que « nous avons tous le même Dieu ».

Cependant, cette idée est également critiquée :

• Le concept d’un Dieu commun est trop vague et indéterminé. Parler d’un Dieu en général (sans les précisions du credo, comme le fait qu’il est trinitaire pour les Chrétiens) relève de la philosophie (comme chez Platon ou Aristote) et non d’une doctrine religieuse spécifique et déterminée.

• L’inclusivisme risque, tout comme le pluralisme, de conduire à une forme de syncrétisme problématique qui vide chaque religion de son contenu doctrinal.

En conclusion, si l’attitude pluraliste est séduisante car elle prétend favoriser l’harmonie, elle ne prend pas au sérieux l’essence même des religions, qui est leur revendication de vérité exclusive.

Lien de la vidéo conférence : https://www.youtube.com/watch?v=cKsHdupY1KE

Conférences Cordoba : un Eclairage sur les Trois Religions À travers un programme de conférences favorisant découvertes et rencontres, Cordoba permet de mieux comprendre et de décrypter les trois monothéismes, en compagnie des meilleurs spécialistes du monde universitaire et de la recherche.

Affiche conférence Omar Benadda 23 juin 2025

Philosopher en Islam

Résumé de la conférence le 23 juin 2025 par M. Omar Benadda.

Introduction : La philosophie islamique, un héritage méconnu M. Benada, sociologue et conférencier, explore la tradition philosophique islamique, souvent ignorée ou mal comprise. Il souligne l’importance de philosopher en islam, malgré les préjugés et les tensions entre raison et foi. L’anecdote fondatrice : Al-Ghazali et la quête du savoir Al-Ghazali, souvent perçu comme antiphilosophe, est en réalité un pont vers la philosophie. Une anecdote marquante : attaqué par des brigands, il préfère sauver son livre (symbole de son savoir) plutôt que ses biens. Cet événement le pousse à repenser la connaissance, qui ne se réduit pas à une accumulation biologique, mais s’inscrit dans le cœur et l’expérience personnelle. Ibn Tufayl et la génération spontanée Benada découvre Ibn Tufayl (XIIᵉ siècle), auteur d’un conte philosophique préfigurant Robinson Crusoé. Ce philosophe décrit la naissance d’un homme par génération spontanée, adopté par une gazelle. À travers la dissection de sa mère adoptive, le héros cherche le secret de la vie, illustrant une quête philosophique et spirituelle. La philosophie en islam : entre héritage grec et adaptation La philosophie entre dans le monde musulman après la chute des Omeyyades, grâce au calife abbasside Al-Ma’mun, qui rêve d’Aristote. Ce dernier lui indique la voie : raison, révélation et vie dans l’au-delà. Al-Kindi, premier philosophe musulman, traduit les textes grecs et les présente comme hikma (sagesse), un concept coranique, pour les rendre acceptables. Le conflit entre théologiens et philosophes Les théologiens musulmans rejettent d’abord la philosophie, jugée païenne. Al-Kindi, puis Averroès, défendent sa place en islam. Averroès, dans son Traité décisif, argumente que vérité philosophique et vérité religieuse ne s’opposent pas : il y a une seule vérité, accessible par plusieurs chemins. L’apport original des philosophes musulmans Les philosophes musulmans ne se contentent pas de commenter Aristote. Al-Farabi relie Platon et Aristote ; Avicenne introduit la distinction entre essence et existence, fondement de l’existentialisme. Averroès systématise la citation des sources, influençant la méthode philosophique occidentale. La spiritualité et la philosophie : le cas des soufis Benada évoque la rencontre entre Averroès (rationnel) et Ibn Arabi (soufi), symbolisant la frontière entre philosophie et soufisme. Les soufis, comme Ibn Arabi, prônent une connaissance intuitive (ma’rifa), complémentaire à la raison. La philosophie en islam inclut aussi la purification de l’âme et la contemplation de la nature. La crise actuelle : raison, foi et écologie Benada déplore la perte du lien entre l’homme et la nature, central en islam. Il cite l’émir Abdelkader : sans ce lien, la spiritualité se dessèche. La philosophie islamique, en intégrant raison, foi et écologie, offre une réponse aux crises contemporaines. Conclusion : philosopher, c’est dialoguer et pratiquer Pour Benada, philosopher en islam, c’est exercer sa raison, douter, et surtout pratiquer une éthique au quotidien. Il invite à dépasser les clivages (foi/raison, islam/Occident) pour retrouver une humanité commune, en harmonie avec le cosmos.

voir la conférence, lien vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=sXa7CNdP-IQ

La pensée chrétienne entre religion et philosophie

Résumé de la conférence de Emmanuel Falque, Directeur de recherche à la faculté de philosophie de l’Institut Catholique de Paris.

1. Introduction : Un héritage philosophique et théologique Emmanuel Falque, théologien et philosophe, présente une réflexion sur l’apologétique (défense de la foi), en s’appuyant sur Maurice Blondel et Henri de Lubac. Il annonce un projet de livre : Nouvelle lettre sur l’apologétique, en écho à la Lettre de Blondel (1896).

2. L’apologétique : un genre perdu ? L’apologétique, art de « rendre raison de sa foi », a évolué : des Pères de l’Église (Origène, Irénée) aux débats modernes sur l’athéisme. Falque souligne son actualité, malgré son déclin apparent.

3. Blondel et de Lubac : deux piliers Blondel, accusé d’immanentisme, défend l’idée que le surnaturel est nécessaire mais inaccessible. De Lubac, auteur du Drame de l’humanisme athée (1943), explore le conflit entre foi et modernité.

4. Le défi contemporain : l’athéisme Falque distingue trois formes d’athéisme : Tragique (de Lubac, face au nazisme), Militant (Sartre, Camus), Cohérent (aujourd’hui, indifférence ou intérêt culturel pour le christianisme).

5. Une apologétique renouvelée Il propose une apologétique ad extra (tournée vers l’autre) et non d’imposition : dialoguer sans chercher à convertir, mais en reconnaissant que l’autre compte pour nous. 6. La question du désir du surnaturel Contrairement à l’idée d’un désir naturel de Dieu (thèse de la nature pure), Falque affirme que ce désir est mis en nous par Dieu, mais ne s’impose pas comme évidence.

7. La résurrection comme clé Pour Falque, la résurrection change tout : elle n’est pas une simple promesse, mais une transformation de notre rapport à la finitude (la mort, la souffrance).

8. La finitude, horizon commun Il insiste sur la finitude (angoisse de la mort, traumatismes) comme point de départ universel, même pour les non-croyants. Dieu rejoint l’homme dans son humanité, pas dans une surhumanité.

9. Le samedi saint : Dieu dans l’abîme Falque développe l’idée que Dieu descend dans nos traumas (maladies, deuils, catastrophes), comme au samedi saint où le Christ rejoint les enfers (nos abîmes).

10. Une force, pas une béquille Il critique l’image d’un Dieu béquille et rappelle que l’Esprit Saint est une force (Actes des Apôtres), capable de transformer notre rapport à la vie et à la mort.

11. Conclusion : fraternité et espérance Falque termine par une citation de Bernanos : « Frères humains, nous arriverons ensemble aux portes du Royaume de Dieu », soulignant que la foi ne nie pas la souffrance, mais offre une présence dans l’épreuve. L’essentiel est là : Apologétique = dialogue, pas conversion. Finitude = point de départ universel. Résurrection = transformation, pas échappatoire. Dieu = présent dans l’abîme, pas au-dessus.

Lien vidéo de la conférence : https://www.youtube.com/watch?v=HrnWAF4R1W0

La pensée juive entre religion et philosophie

Conférence de  Mme Sophie Nordmann, professeur agrégée de philosophie à l’École pratique des hautes études Université Paris Sciences et Lettres.

Résumé de la conférence.

La conférence explore l’évolution de la pensée juive et son dialogue avec la philosophie sur 5000 ans, de Jérusalem à Berlin, Cordoue et Amsterdam. Le Tanakh (Torah, Neviim, Ketouvim), canonisé par les pharisiens aux 1er-2e siècles, coïncide avec la naissance du christianisme. Il se distingue par son universalité éthique, illustrée par le récit du déluge avec Noé, homme juste et père d’une humanité fraternelle, contrastant avec des mythes comme Gilgamesh ou Deucalion. Le Talmud (Michna et Guemara), tradition orale mise par écrit après la destruction du second Temple (70), organise des commentaires pratiques par thèmes, marquant le passage du culte au livre. Les pharisiens, devenus dominants face aux Sadducéens ou Esséniens, fondent le judaïsme rabbinique, malgré des contestations comme celle des Karaïtes. Rachi (11e siècle), à Troyes, simplifie l’accès au Tanakh et au Talmud par des commentaires littéraux, influençant le judaïsme ashkénaze après les croisades. Maïmonide, séfarade contemporain, codifie le Talmud dans le Michné Torah pour des Juifs en temps troublés sous les Almohades et concilie Torah et philosophie aristotélicienne dans le Guide des égarés, traduit en hébreu, marquant la pensée juive. Spinoza (17e siècle) rompt avec cette conciliation, séparant raison et révélation dans son Traité théologico-politique, initiant la critique biblique. Issu des Marranes, il reflète un renouvellement des communautés juives post-expulsion ibérique. Mendelssohn (18e siècle), dans Jérusalem, intègre le judaïsme à l’État moderne, distinguant foi privée et loi publique, mais ouvre à l’assimilation, critiquée comme une vision protestante du judaïsme. Levinas, post-Shoah, propose des lectures philosophiques du Talmud aux Colloques des intellectuels juifs, où son éthique de l’Autre (Totalité et Infini) met en garde contre les totalitarismes, valorisant la responsabilité face au visage d’autrui. Le retour à Sion, présent chez Yehouda Halevi, devient politique avec Herzl (19e siècle), impactant la pensée juive en diaspora plus qu’en Israël, notamment après la guerre des Six Jours. La conférence souligne la richesse de la pensée juive, mêlant tradition, commentaire et dialogue universel avec la philosophie.

Lien vidéo de la conférence : https://www.youtube.com/watch?v=lzyq4FhQvB4

Rôle et missions des rabbins, prêtres, pasteurs et imams

  • M. le Rabbin I. ALTABE la Maison de nos enfants, 
  • M. O. BENNADA responsable dans l’association ACMF à Fontenay, 
  • Père S. HUARD, prêtre de la Communauté du Chemin Neuf
  • Mme F. MASSENGUE, Pasteur à Villeneuve-Saint-Georges

Résumé de la conférence.

Cette conférence a réuni des représentants du judaïsme, de l’islam, du catholicisme et du protestantisme évangélique pour discuter de leurs formations, pratiques religieuses, éducations spirituelles, rites, et gestions communautaires.

1. Formation et vocation Rabin : Formation intensive dès l’adolescence, centrée sur l’étude du Talmud et de la Torah, avec une transmission de savoir par des maîtres rabbiniques. Imam : Études en sciences islamiques, souvent complétées par des diplômes universitaires (ex. sociologie). Pas de cursus unique, mais une formation basée sur la relation maître-élève. Prêtre catholique : Parcours structuré (philosophie, théologie, vie communautaire) avec une ordination finale. Vie de célibat et engagement total. Pasteure évangélique : Formation flexible, basée sur le discipulat (apprentissage par l’exemple) et une vocation personnelle, souvent complétée par des études théologiques.

2. Éducation spirituelle Transmission : Se fait principalement en famille, dans les lieux de culte, et par des activités communautaires (repas, jeux, études). Outils : Utilisation de la Bible, du Coran, de la Torah, et de supports adaptés (livres, technologies). Approche : Ludique pour les enfants, approfondie pour les adultes, avec un accent sur l’exemple et la mise en pratique.

3. Rites et sacrements Circoncision : Pratique centrale en judaïsme et islam, mais non obligatoire en christianisme. Baptême : Symbole d’engagement en christianisme, absent en islam. Mariage : Célébré selon les traditions religieuses, mais toujours en lien avec les lois civiles (mairie). Divorce : Approche prudente, avec médiation religieuse avant toute décision.

4. Gestion des communautés Financement : Principalement par les dons des fidèles, le bénévolat, et parfois des activités économiques. Rôle des leaders : Gestion à la fois spirituelle (accompagnement, enseignement) et matérielle (locaux, finances). Rémunération : Variable (salaire fixe pour les prêtres catholiques, souvent bénévolat pour les pasteurs évangéliques).

5. Dialogue interreligieux Ouverture : Importance de l’écoute, du respect mutuel, et de la recherche de points communs. Exemple de Cordoba : Espace d’échange pacifique et constructif entre les religions. Message final Les intervenants ont souligné que, malgré leurs différences, les religions monothéistes partagent des valeurs communes : L’éducation comme fondement de la foi. L’accompagnement des fidèles à chaque étape de la vie. L’engagement au service des autres et de la société. L’adaptation aux réalités culturelles et modernes. Cette conférence a montré que le dialogue et la compréhension mutuelle sont essentiels pour vivre ensemble en harmonie.

Lien de la conférence : https://www.youtube.com/watch?v=bMZ_5ngNMAM

Symbolique des repas et jeûnes dans les trois monothéismes

Cette conférence a eu lieu le mercredi 19 juin à 20h30 dans la salle des conférences de la Mairie de Saint Mandé.

Le thème est : Symbolique des repas et jeûnes dans les trois monothéismes

Elle était animée par

  • Stéphane Aulard, vicaire général du diocèse de Créteil
  • Ghaleb Bencheikh, président de la fondation de l’Islam de France
  • Laurent Berros, grand rabbin de Sarcelles et du Val d’Oise

http://www.youtube.com/watch?v=2znI2Hz4zfA

Conférence sur la symbolique des repas et jeûnes dans les trois monothéismes

Saint-Paul, entre judaïsme et christianisme

Cette conférence a eu lieu le mercredi 6 mars dans la salle des fêtes de la Mairie de Saint Mandé le mercredi 6 mars à 20h30.

Le thème est : Saint-Paul, entre judaïsme et christianisme.

Elle était animée par le le Rabbin du courant Massorti Rivon Krygier, Docteur en sciences des religions, et militant du dialogue interreligieux et le Père Eric Morin, prêtre du diocèse de Paris, Docteur en  théologie biblique, et enseignant au Collège des Bernardins.

Conférence de Rivon Krygier et Hervé Morin

Saint Paul est certainement, après Jésus, le personnage le plus étudié par les théologiens d’une part, et par les historiens spécialistes du christianisme primitif d’autre part. Nous avons intitulé notre conférence « Saint-Paul entre le judaïsme et le christianisme » au sein du bureau de Cordoba. Choisir un titre pour nos conférences fait régulièrement débat, mais celui-ci, a rapidement fait l’unanimité, car c’est le plus souvent ainsi que Paul est considéré par les uns et par les autres. Les raisons sont multiples pour que Paul soit discuté et mis au niveau que nous lui connaissons. Saint Paul, qui se revendique apôtre de Jésus, ne fait aucunement partie des douze disciples. De plus, Il n’a absolument pas connu Jésus. De nombreux écrits rédigés bien avant les Évangiles et considérés comme les plus anciens du christianisme, treize épîtres selon la tradition ainsi que les actes des Apôtres, lui sont attribués. Ses écrits sont fondamentaux pour les chrétiens et les historiens contemporains qui étudient l’origine du christianisme et également la société du I er siècle dans laquelle ces personnes évoluaient. Le Nouveau Testament présente Paul comme un persécuteur des disciples de Jésus jusqu’à sa rencontre mystique avec le Christ sur le chemin de Damas. Mais n’oublions pas que Paul est juif et s’est toujours revendiqué comme tel. Sa rencontre mystique avec le Christ le pousse à reconnaître en Jésus le Messie. Paul, lors de ses voyages, en s’ouvrant aux Gentils, c’est-à-dire les non-Juifs, a tenté de donner une portée plus universaliste et moins contraignante au judaïsme. Toutefois, sans jamais avoir voulu rompre avec lui. Mais Paul a aussi une place fondamentale lorsque l’on pose la question : Qui a fondé le christianisme ? Serait-il alors le fondateur d’un christianisme qui, assez tôt, deviendra universel ? Et peut-on dire alors que Paul se trouve donc entre le judaïsme et le christianisme. Pour nous éclairer sur ce personnage complexe, nous recevons ce soir le rabbin Massorti Rivon Krygier, titulaire d’un doctorat de l’Université de la Sorbonne en sciences des religions, rabbin de la communauté Adath Shalom, auteur et militant du dialogue interreligieux, et le père Eric Morin, prêtre du diocèse de Paris, docteur en théologie biblique, enseignant du Collège des Bernardins, directeur du service biblique Évangile et Vie.

Monothéismes et images, quels enjeux ?

Le lundi 15 Janvier, nous aurons le plaisir d’inviter Madame Isabelle Saint Martin, historienne d’art, directrice d’études à l’EPHE, section Sciences Religieuses, pour traiter du sujet suivant:

Monothéismes et images , quels enjeux ?

Affiche : monothéismes et images
Monothéismes et images, quels enjeux ?

La conférence aura lieu à 20H30 à la salle des conférences de la Mairie de Saint Mandé , rue de Liège. Elle sera suivie d’une séance de questions réponses et du pot de l’amitié.

Le christianisme oriental

Le christianisme oriental
Affiche conférence du 18 décembre 2023

Résumé de la conférence

Diversité des christianciles orientaux et de la tradition syriaque

Les sources proviennent de la transcription d’une conférence YouTube de Muriel Debié intitulée « Le christianisme oriental », qui explore la diversité et la richesse des traditions chrétiennes orientales. La conférencière explique pourquoi elle préfère le terme « christianismes orientaux » au pluriel, insistant sur les nombreuses formes distinctes qui existent, notamment en Orient et au Proche-Orient. Elle retrace les divisions historiques de ces églises, souvent liées à des conciles œcuméniques comme ceux de Nicée et de Chalcédoine, et souligne l’importance de la tradition syriaque, une forme d’araméen. Enfin, elle met en lumière l’extraordinaire expansion du christianisme syriaque vers l’Est, jusqu’en Inde et en Chine, ainsi que la richesse de sa littérature et de sa théologie poétique. La discussion aborde également l’impact de ces traditions sur le monde musulman et les différences culturelles par rapport aux christianismes latin et grec.

Christianismes Orientaux.

La désignation correcte est celle des Christianismes orientaux au pluriel, car parler de « christianisme oriental » au singulier n’a pas de sens, étant donné la grande diversité des formes chrétiennes en Orient. Ce serait aussi peu pertinent que de parler de « christianisme occidental » pour englober le catholicisme latin, les diverses formes de protestantisme et l’orthodoxie.
Il est également préférable d’éviter l’expression « chrétiens d’Orient », car elle est fortement marquée par le colonialisme français et remonte à l’époque où Saint-Louis et la royauté française ont protégé ces communautés. Aujourd’hui, les chrétiens du Proche-Orient ne se qualifient jamais eux-mêmes de « chrétiens d’Orient ».
Diversité et Divisions historiques
Les Christianismes orientaux se distinguent par une richesse extrême et des formes variées qui correspondent à des langues, des cultures et des liturgies différentes. Leurs ramifications sont nombreuses et remontent au 5e siècle.
Les divisions ecclésiales se sont faites progressivement à partir des grands conciles œcuméniques :

  1. Concile de Nicée (325) : Réuni par l’empereur Constantin, ce concile est accepté par la majorité des Églises actuelles, y compris l’Église latine. Il a notamment établi le dogme de la Trinité (Dieu est Père, Fils et Esprit).
  2. Concile d’Éphèse (431) : La première grande séparation institutionnelle est celle de l’Église de l’Est, située dans l’Empire perse (sous domination Sassanide, 3e au 7e siècle). Cette Église n’a pas reconnu les conciles suivants, y compris celui d’Éphèse. Aujourd’hui, elle existe toujours mais est divisée en plusieurs églises, dont l’Église assyrienne de l’Orient et l’Église chaldéenne (cette dernière s’étant rattachée à Rome).
  3. Concile de Chalcédoine (451) : Les églises appelées orthodoxes orientales (ou parfois non-chalcédoniennes) ont refusé de reconnaître ce concile. Ces églises sont l’Église copte orthodoxe, l’Église éthiopienne orthodoxe, l’Église arménienne orthodoxe et l’Église syriaque orthodoxe.
    Ces divisions étaient liées à des disputes théologiques portant sur la manière dont les natures humaine et divine du Christ sont associées (bien que toutes les églises s’accordent sur le fait que le Christ est pleinement Dieu et pleinement homme). Les séparations se sont cristallisées véritablement en tant qu’institutions à partir du 7e siècle, notamment à la période islamique, lorsque ces provinces ont pris leur autonomie par rapport à l’Église grecque-orthodoxe.
    Groupes d’Églises
  • Églises non-chalcédoniennes (Orthodoxes Orientales) : Elles se définissent elles-mêmes comme orthodoxes, considérant que l’Église grecque orthodoxe et l’Église latine se sont éloignées de l’orthodoxie ancienne.
  • Églises chalcédoniennes (Tradition Byzantine) : Celles qui acceptent Chalcédoine incluent l’Église catholique romaine, l’Église maronite au Liban, et les Églises orthodoxes orientales de tradition byzantine (Église grecque-orthodoxe, l’Église orthodoxe russe, l’Église orthodoxe géorgienne).
  • Églises Unies (rattachées à Rome) : Plusieurs parties de ces églises se sont rattachées à Rome au cours de leur histoire, reconnaissant l’autorité du pape tout en conservant souvent leurs propres patriarches. On trouve ainsi l’Église copte catholique, l’Église arménienne catholique et l’Église melkite (branche rattachée à Rome de l’Église grecque-orthodoxe).
    La Tradition Syriaque : un exemple majeur
    La tradition syriaque est une forme particulière de Christianisme oriental dont la langue, le syriaque, est une forme d’araméen parlée et écrite dans l’ancien royaume d’Osroène, notamment à Édesse (aujourd’hui Şanlıurfa, en Turquie du Sud-Est).
    Édesse est considérée comme l’un des premiers royaumes (avec l’Arménie) à se convertir au christianisme. Le syriaque a survécu et est devenu une langue de culture pour les chrétiens du Proche-Orient, à l’instar du latin et du grec, même après que la région soit passée sous domination romaine.
    Littérature et Langue
  • Traductions bibliques : La Bible a été traduite de nombreuses fois en syriaque (quatre versions de l’Ancien Testament et cinq du Nouveau Testament). La traduction de l’Ancien Testament, appelée la Peshitta, a été réalisée directement de l’hébreu dès le 2e siècle, probablement par des milieux juifs d’Édesse, et remonte à une version hébraïque plus ancienne que celle connue aujourd’hui par la tradition massorétique. Pour le Nouveau Testament, la version appelée le Diatessaron (une combinaison des quatre évangiles en un seul) date également du 2e siècle.
  • Poésie et Théologie : La langue syriaque est devenue une langue liturgique et de littérature. La théologie syriaque s’est souvent exprimée sous forme de poème, comme les homélies métriques (memre) de douze pieds (vers de Jacques de Saroug). Ces traditions reprennent des genres littéraires très anciens, comme les poèmes dialogués, que l’on retrouvait déjà dans les tablettes de l’époque assyrienne.
    Une Approche « Genrée »
    La littérature syriaque ancienne est remarquable pour son approche genrée de la théologie, qui se manifeste dans l’attribution au Christ ou au Saint-Esprit d’activités habituellement féminines, ce qui n’est pas le cas dans les christianismes latin et grec.
  • Le Saint-Esprit (Rouḥa est féminin grammaticalement en syriaque) est présenté comme ayant une activité féminine (par exemple, une colombe couvant des œufs).
  • Le Christ est présenté dans une image d’allaitement, par exemple en suçant le lait de Marie ou tirant le lait des seins du Père, soulignant que, même en tant que divinité, il a des activités pouvant être qualifiées de féminines.
    Expansion Géographique
    Le christianisme syriaque s’est répandu massivement, peut-être parce qu’il n’était pas porté par un État. Son expansion a suivi les routes commerciales (routes de la soie, routes maritimes) vers l’Est et le Sud.
  • Asie Centrale et Chine : Des missionnaires syriaques sont arrivés jusqu’à la Chine et au Tibet. Au 17e siècle, on a redécouvert la Stèle de Xi’an, inscrite en chinois et en syriaque, qui raconte l’arrivée des premiers missionnaires au 7e siècle et l’autorisation impériale de construire des monastères. Cette stèle mentionne un papa du Sinistan (région du Tibet actuel), indiquant la présence d’au moins un évêque local. Des manuscrits découverts à Dunhuang montrent comment les textes liturgiques syriaques ont été traduits en chinois.
  • Inde : En Inde du Sud-Ouest, dans l’état du Kérala, il existe encore aujourd’hui sept églises différentes de tradition syriaque. Ces communautés sont aujourd’hui parmi les plus nombreuses au monde de tradition syriaque. La tradition attribue leur christianisation à l’apôtre Thomas.
    Interactions Culturelles et Religieuses
    Les chrétiens orientaux étaient en contact étroit avec d’autres cultures et religions de la région.
  • Judaïsme : Il y avait une forte proximité entre le christianisme syriaque et le judaïsme. L’hébreu et l’araméen (syriaque) sont des langues sémitiques, favorisant la connaissance mutuelle. Des communautés juives nombreuses se trouvaient en Mésopotamie du Nord (Adiabène) et dans l’Empire perse (communautés juives babyloniennes). Cependant, la littérature syriaque comporte aussi un antijudaïsme virulent, traditionnel dans la littérature chrétienne, qui véhicule une idée de remplacement de la Synagogue par l’Église.
  • Zoroastrisme : Les chrétiens vivant dans l’Empire perse, sous la dynastie sassanide, connaissaient le zoroastrisme. Des textes de controverse et des Actes des Martyrs persans (chrétiens persécutés) témoignent de cette connaissance. L’École des Perses à Édesse permettait aux chrétiens persans d’apprendre la théologie et la philosophie, assurant une circulation culturelle entre les deux empires.
  • Islam et Culture Arabe : L’arabisation des églises orientales a été progressive à partir du 7e siècle, l’arabe devenant la langue dominante de l’administration et de la culture, ainsi que partiellement de la liturgie. Avant et après l’Islam, il existait des chrétiens arabes, y compris des prêtres, moines et évêques arabes, qui participaient à la vie de l’Église dans les Empires romain et perse. L’arrivée de l’Islam ne provoqua pas de changement immédiat pour les chrétiens, qui sont restés majoritaires pendant au moins deux siècles, et les conversions n’étaient souvent pas forcées. Des traditions chrétiennes anciennes, issues de textes apocryphes (comme l’épisode du palmier s’inclinant lors de la Fuite en Égypte), ont même circulé et se sont retrouvées dans le Coran (dans la sourate Mariam).

Tradition Syriaque.

Vous souhaitez une discussion approfondie de la Tradition Syriaque.
La tradition syriaque est une composante essentielle des Christianismes orientaux, qui se distingue par sa langue, sa littérature, son expansion géographique et sa riche tradition théologique.

  1. Origines et Centre Géographique
    La tradition syriaque est centrée autour de la ville d’Édesse (aujourd’hui Şanlıurfa, dans le sud-est de la Turquie).
  • Langue : Le syriaque est une forme d’araméen, spécifiquement l’araméen parlé et écrit dans l’ancien royaume d’Osroène, où se situait Édesse. L’araméen n’existe pas au singulier ; il existait différentes formes, comme l’araméen de Palmyre, des Nabatéens, ou de Hatra, mais l’araméen d’Édesse (le syriaque) est la forme qui a survécu et est devenue une langue de culture.
  • Édesse (Urfa/Şanlıurfa) : Édesse, dont le nom araméen est Urha, aurait été refondée par Alexandre le Grand au 3e siècle avant notre ère (sous le nom grec d’Edessa). Selon la tradition, le royaume d’Osroène est l’un des premiers, avec l’Arménie, à s’être converti au christianisme. La mémoire religieuse chrétienne puis musulmane y est très forte, la ville étant par exemple associée au passage d’Abraham.
  • Survie du Syriaque : Contrairement à d’autres formes d’araméen (comme le palmirénien ou le ratréen) qui ont disparu après que leurs royaumes respectifs sont passés sous domination romaine, le syriaque a survécu. Il est devenu la langue liturgique et la langue de culture des chrétiens du Proche-Orient, au même titre que le latin et le grec.
  1. Littérature, Bible et Poésie
    La tradition syriaque est particulièrement riche en littérature, la théologie s’y exprimant souvent sous forme de poèmes.
    Traductions Bibliques
    Le nombre important de traductions de la Bible en syriaque témoigne de l’importance de cette langue.
  • Ancien Testament : On compte quatre traductions de l’Ancien Testament en syriaque. La plus importante est la Peshitta, traduite directement de l’hébreu en syriaque dès le 2e siècle de notre ère, probablement par des communautés juives d’Édesse. Cette version syriaque est cruciale, car elle permet de remonter à un état de la version hébraïque plus ancienne que celle connue par la tradition massorétique actuelle. Des versions ultérieures ont été retraduites à partir du grec (versions philoxénienne au 6e siècle et syro-hexaulaire vers l’an 700).
  • Nouveau Testament : On dénombre cinq traductions du Nouveau Testament. Dès le 2e siècle, le Diatessaron, une combinaison des quatre évangiles en un seul, est traduit en syriaque. Au 4e siècle, la Peshitta complète du Nouveau Testament est réalisée à partir du grec.
    Littérature Chrétienne
    Ces traductions ont servi de point de départ à une littérature chrétienne syriaque comprenant des compositions originales et des traductions du grec.
  • Auteurs anciens : Des écrits datent du 2e siècle, comme le traité philosophique de Bardesane d’Édesse, qui montre une grande culture et a été largement lu dans le christianisme ancien.
  • Théologie en poésie : La théologie syriaque s’est exprimée sous forme de poème. Les homélies prononcées lors des fêtes ou des dimanches étaient souvent des homélies métriques, appelées memre. Le « vers de Jacques de Saroug » est un type d’alexandrin (vers de 12 pieds) utilisé dans ces homélies versifiées.
  • Exemple théologique : Éphrem de Nisibe, un très grand poète syriaque, a composé des Hymnes sur la Nativité. Ces poèmes offrent une lecture théologique profonde et illustrent l’approche genrée de cette tradition, par exemple, en décrivant le Christ suçant le lait de Marie ou tirant le lait des seins du Père.
  1. Expansion et Influences Culturelles
    Le christianisme syriaque s’est massivement répandu le long des routes commerciales, peut-être parce qu’il n’était pas porté par un État.
    Expansion vers l’Est (Routes de la Soie)
    Après la christianisation de la Mésopotamie du Nord, l’expansion vers l’Est a suivi les routes terrestres et maritimes.
  • Chine et Tibet : Les missionnaires syriaques ont atteint la Chine et le Tibet. La découverte de la Stèle de Xi’an au 17e siècle, inscrite en chinois et en syriaque, atteste de l’arrivée de missionnaires au 7e siècle et de l’autorisation impériale de construire des monastères. Cette stèle mentionne un papa du Sinistan (région du Tibet actuel), suggérant la présence d’au moins un évêque local. Des manuscrits découverts à Dunhuang montrent comment les textes liturgiques syriaques ont été traduits en chinois.
  • Mongolie et Asie Centrale : Des tombes et cimetières avec des inscriptions en syriaque ont été retrouvés en Asie centrale et en Mongolie. Les inscriptions syriaques de ces cimetières ont même permis de prouver que la grande peste du Moyen Âge était partie de ces régions.
    Inde
    Le christianisme syriaque s’est également répandu vers l’Inde, par une autre route.
  • Kerala : Dans l’État du Kerala (Inde du Sud-Ouest), il existe aujourd’hui sept églises différentes de tradition syriaque. Ces communautés sont actuellement parmi les plus nombreuses de tradition syriaque au monde. La tradition locale attribue leur christianisation à l’apôtre Thomas.
    Rois Mages et Apocryphes
    Dans la tradition syriaque, les Rois Mages ne sont pas trois, mais douze, et sont considérés comme une préfiguration des apôtres. Ils sont vus comme les premiers à avoir annoncé la bonne nouvelle en Orient, christianisant ainsi l’Empire part avant même les autres régions.
    Les traditions apocryphes (textes chrétiens ne faisant pas partie du Nouveau Testament) ont eu une grande influence dans la région, s’étendant même jusqu’au Coran. L’épisode du palmier s’inclinant lors de la Fuite en Égypte, qui vient de textes apocryphes très anciens, se retrouve dans la Sourate Mariam.
  1. Relations avec les autres cultures
    Les chrétiens syriaques, notamment ceux de l’Église de l’Est qui se trouvait dans l’Empire perse Sassanide, ont eu des contacts importants avec les communautés juives, les zoroastriens et le monde arabe.
  • Judaïsme : Il y avait une grande proximité entre le christianisme syriaque et le judaïsme, favorisée par l’utilisation de langues sémitiques (hébreu, araméen, arabe). Des communautés juives nombreuses se trouvaient en Mésopotamie du Nord (comme en Adiabène, convertie au judaïsme avant la période chrétienne) et dans l’Empire perse (communautés juives babyloniennes). La traduction de la Peshitta directement de l’hébreu en est un exemple. Cependant, la littérature syriaque contient également un antijudaïsme virulent, qui véhicule l’idée de remplacement (l’Église ayant récupéré l’élection divine perdue par la Synagogue).
  • Zoroastrisme : Les chrétiens vivant dans l’Empire perse connaissaient le zoroastrisme. L’existence d’une École des Perses à Édesse permettait aux chrétiens persans d’étudier la théologie et la philosophie, facilitant la circulation des connaissances entre les deux empires. De nombreux Actes des Martyrs persans (chrétiens persécutés par les souverains perses, aux côtés d’autres groupes comme les Juifs et les Manichéens) témoignent de cette connaissance et des controverses avec le zoroastrisme.
  • Arabisation et Islam : Le christianisme syriaque s’est arabisé progressivement à partir du 7e siècle, l’arabe devenant la langue dominante de l’administration et de la culture. Il existait des chrétiens arabes (prêtres, moines, évêques) avant et après l’arrivée de l’Islam, qui participaient à la vie de l’Église dans les empires romain et perse. Pendant plusieurs siècles après l’arrivée de l’Islam, la situation des chrétiens ne changea pas drastiquement et ils sont restés majoritaires pendant au moins deux siècles, les conversions n’étant pas souvent forcées.
  1. L’Approche Genrée (Genre)
    La littérature syriaque ancienne présente une approche genrée de la théologie, différente des traditions latines et grecques.
  • Le Saint-Esprit : Le terme syriaque pour le Saint-Esprit, Rouḥa, est grammaticalement féminin. Le Saint-Esprit est ainsi présenté comme ayant une activité féminine, par exemple, celle d’une colombe couvant des œufs.
  • Le Christ : Le Christ est décrit dans des images d’allaitement, une activité habituellement attribuée aux femmes, comme sucer le lait de Marie ou tirer le lait des seins du Père. Ces images montrent que le Christ, même en tant que divinité, exerce des activités qui pourraient être qualifiées de féminines. Les textes syriaques vont jusqu’à dire que la Vierge Marie a engendré « comme un homme par sa volonté, parce qu’elle l’a voulu ». parce qu’elle l’a voulu ».

Divisions Églises.

La discussion sur les Divisions des Églises orientales est essentielle pour comprendre la complexité et la richesse des Christianismes orientaux au pluriel, puisque parler de « christianisme oriental » au singulier n’a pas de sens étant donné l’extrême diversité des formes chrétiennes en Orient. Ces ramifications sont nombreuses et remontent au 5e siècle.
Les divisions ecclésiales se sont faites progressivement à partir des grands conciles œcuméniques, des réunions universelles considérées comme obligatoires pour les évêques et réfléchissant sur des sujets dogmatiques.
Les Principales Étapes des Divisions
L’histoire des séparations est marquée par le rejet progressif des décisions conciliaires par différentes communautés, souvent pour des raisons dogmatiques, de vocabulaire ou de géoeclésiologie.

  1. Le Concile de Nicée (325)
    Le Concile de Nicée, réuni par l’Empereur Constantin, est le premier de ces grands conciles.
  • Il a établi le dogme de la Trinité (Dieu est Père, Fils et Esprit).
  • La majorité des Églises que nous connaissons aujourd’hui, y compris l’Église latine, acceptent ce concile.
  1. L’Église de l’Est et le Concile d’Éphèse (431)
    La première grande séparation institutionnelle est celle de l’Église de l’Est (ou Église de Perse).
  • Cette Église, située dans l’Empire perse (sous la dynastie sassanide, entre le 3e et le 7e siècle), n’était pas dans l’Empire romain.
  • Elle se sépare après Nicée parce qu’elle ne reconnaît pas le concile suivant, celui d’Éphèse, qui a lieu en 431.
  • L’Église de l’Est, séparée pour des raisons géographiques et dogmatiques, existe toujours mais est aujourd’hui divisée en plusieurs églises, notamment l’Église assyrienne de l’Orient et l’Église chaldéenne.
  1. Les Églises Orthodoxes Orientales et le Concile de Chalcédoine (451)
    Une autre série de séparations est survenue suite au Concile de Chalcédoine qui a eu lieu en 451.
  • Les églises qui refusent de reconnaître Chalcédoine sont appelées les orthodoxes orientales (ou parfois non-chalcédoniennes).
  • Ce groupe comprend l’Église copte orthodoxe, l’Église éthiopienne orthodoxe, l’Église arménienne orthodoxe et l’Église syriaque orthodoxe.
  • Les séparations dogmatiques tournent autour de la question de la nature du Christ (pleinement Dieu et pleinement homme) et de la manière dont ces deux natures s’associent, souvent pour des raisons de vocabulaire ou de traduction.
    La Cristallisation Institutionnelle des Séparations
    Les divisions dogmatiques et les doubles hiérarchies (des évêques pro-Chalcédoine et anti-Chalcédoine) qui apparaissaient dès le 5e siècle se sont cristallisées véritablement en tant qu’institutions à partir du 7e siècle.
  • Cette cristallisation coïncide avec la période islamique, lorsque les provinces de l’Empire romain passent sous domination de l’Islam. Ces églises prennent alors leur autonomie par rapport à l’Église grecque-orthodoxe, devenant des institutions à part entière avec leurs propres patriarches.
  • À titre d’exemple, en Syrie ancienne, la majorité de la population, ou du moins la majorité des évêques, était anticalcédonienne.
    Le Vocabulaire de l’Orthodoxie
    La terminologie est complexe car ces églises séparées du tronc impérial romain/byzantin se définissent elles-mêmes comme orthodoxes.
  • Elles considèrent que l’Église grecque orthodoxe et l’Église latine se sont éloignées de l’orthodoxie ancienne, et qu’elles sont les seules à l’avoir conservée.
  • La position occidentale a tendance à réserver le terme « orthodoxe » uniquement à l’Église grecque et aux églises slaves orthodoxes.
    Les Groupes d’Églises après les Conciles
    La diversité des Christianismes orientaux se manifeste dans l’existence de plusieurs grands groupes :
    Groupe d’Églises
    Concile Accepté (ou refusé)
    Exemples (Non exhaustif)
    Églises de l’Est
    Acceptent Nicée (325). Refusent Éphèse (431).
    Église Assyrienne de l’Orient ; Église Chaldéenne (unie à Rome).
    Orthodoxes Orientales
    Refusent Chalcédoine (451).
    Église Copte Orthodoxe, Église Éthiopienne Orthodoxe, Église Arménienne Orthodoxe, Église Syriaque Orthodoxe.
    Églises de Tradition Byzantine
    Acceptent Chalcédoine (451).
    Église Grecque Orthodoxe, Église Orthodoxe Russe, Église Orthodoxe Géorgienne.
    Églises Catholiques
    Acceptent Chalcédoine (451).
    Église Catholique Romaine.
    Rapprochements et Églises Unies (Rattachées à Rome)
    Un phénomène important est le rattachement à Rome de certaines parties de ces églises, formant les Églises Unies (ou Églises catholiques orientales).
  • Ces communautés ont reconnu l’autorité du pape mais ont souvent conservé leurs propres patriarches et leurs propres traditions liturgiques.
  • On trouve, par exemple : l’Église chaldéenne, l’Église copte catholique, l’Église arménienne catholique, et l’Église melkite (une branche de l’Église grecque-orthodoxe rattachée à Rome).
  • Il existe également d’autres divisions, comme l’apparition d’une église copte évangélique et une église arménienne évangélique.
    La Richesse des Liturgies
    Les divisions se manifestent également dans les pratiques liturgiques.
  • Chacune de ces églises possède sa propre tradition liturgique.
  • Lorsque certaines se sont rattachées à Rome, leur liturgie a été partiellement latinisée dans sa forme, mais pas nécessairement dans sa langue.
  • La richesse liturgique est immense ; par exemple, dans les périodes anciennes de la tradition syriaque, il existait 70 formes différentes de la messe.
    Importance du Dialogue
    Malgré l’ancienneté et la complexité de ces divisions (qui se sont produites bien avant les schismes entre l’Église latine et l’Église grecque orthodoxe), les différences dogmatiques ne sont pas considérées comme si importantes aujourd’hui. Il existe de nombreux dialogues entre ces églises.

Syriac comme Langue.

Absolument. La discussion sur la langue syriaque est fondamentale pour comprendre la Tradition Syriaque, qui est une des formes desAbsolument. La discussion sur la langue syriaque est fondamentale pour comprendre la Tradition Syriaque, qui est une des formes des Christianismes orientaux.

  1. Le Syriaque comme forme d’Araméen
    Le Syriaque (ou syriaque) est une forme d’araméen. Il s’agit spécifiquement de l’araméen parlé et écrit dans l’ancien royaume d’Osroène, dont la capitale était Édesse (appelée Urha en araméen, ou Şanlıurfa en turc aujourd’hui).
  • Diversité de l’Araméen : L’araméen au singulier « n’existe pas ». Il existait à l’époque du début du christianisme plusieurs formes d’araméen dans la région, qui étaient des langues cousines mais non identiques, chacune ayant son écriture. On peut citer l’araméen d’Édesse (le syriaque), l’araméen de Palmyre, l’araméen des Nabatéens et l’araméen de la ville de Hatra (le ratréen).
  • Araméen Moyen : Le syriaque est considéré comme une forme d’araméen moyen.
  1. Le Syriaque, Langue de Culture et de Liturgie
    Contrairement à d’autres formes d’araméen comme le palmirénien ou le ratréen, qui ont entièrement disparu lorsque leurs royaumes respectifs sont passés sous domination romaine, le syriaque a survécu.
  • Changement politique : Après qu’Édesse fut devenue une province de l’Empire romain, il n’y a plus eu de pouvoir politique utilisant le syriaque comme langue officielle.
  • Survie par l’Église : La raison de sa survie et de son importance est qu’il est devenu la langue liturgique mais également la langue de culture des chrétiens du Proche-Orient, au même titre que le latin et le grec.
  1. Les Traductions Bibliques en Syriaque
    La présence de nombreuses traductions de la Bible atteste de l’importance du syriaque.
  • Multiples versions : On compte quatre traductions de l’Ancien Testament et cinq traductions du Nouveau Testament en syriaque.
  • L’Ancien Testament :
    ◦ La plus célèbre est la Peshitta (ou apshita), traduite directement de l’hébreu en syriaque dès le IIe siècle.
    ◦ Cette traduction fut probablement réalisée dans des milieux juifs d’Édesse qui connaissaient l’hébreu.
    ◦ La version syriaque de la Peshitta est précieuse car elle permet de remonter à une version hébraïque plus ancienne que celle connue aujourd’hui par la tradition massorétique.
    ◦ Des retraductions ont été faites plus tard à partir du grec (la version philoxénienne au VIe siècle et la syro-hexaulaire, révisée par Jacques d’Édesse vers l’an 700).
  • Le Nouveau Testament :
    ◦ Dès le IIe siècle, une traduction des quatre Évangiles en syriaque existait, appelée le Diatessaron (une combinaison des quatre en un seul).
    ◦ La traduction complète de la Peshitta pour le Nouveau Testament, faite à partir du grec, date d’environ l’an 400.
  1. Le Syriaque comme Langue Littéraire et Théologique
    Le syriaque est devenu une langue dans laquelle a été composée une riche littérature chrétienne.
  • Littérature ancienne : Des écrits datent du IIe siècle, comme un traité philosophique de Bardesane d’Édesse, un aristocrate formé à la philosophie grecque, qui montre une grande culture et fut rédigé en syriaque.
  • Théologie en Poésie : La théologie s’est exprimée en syriaque sous la forme de poème.
    ◦ Les homélies données lors des fêtes ou des dimanches étaient des homélies métriques (memre) en alexandrin.
    ◦ Le « vers de Jacques de Saroug » est un vers de 12 pieds, proche de la diction naturelle, utilisé dans ces homélies versifiées.
    ◦ Cette tradition syriaque a repris des genres littéraires mésopotamiens très anciens, tels que les poèmes dialogués (où deux personnages, comme l’Église et la Synagogue, ou Satan et la Mort, disputent).
  • Exemples d’auteurs : Le grand poète syriaque Éphrem de Nisibe a composé, par exemple, les Hymnes sur la Nativité.
  1. Caractéristique Unique : L’Approche Genrée
    La littérature syriaque ancienne est remarquable pour son approche genrée de la théologie, qui n’est pas aussi fréquente dans les christianismes latin et grec.
  • Le Saint-Esprit : Le terme syriaque pour le Saint-Esprit (Rouḥa) est grammaticalement féminin (ce qui n’est pas le cas en grec). Le Saint-Esprit est donc présenté avec une activité féminine, par exemple, comme une colombe couvant des œufs.
  • Le Christ : Le Christ est souvent présenté dans des images d’allaitement. Des textes syriaques décrivent le Christ « suçant le lait de Marie » ou « tirant le lait des seins du Père », illustrant que la divinité exerce des activités traditionnellement attribuées aux femmes.
  1. Le Syriaque et les Routes Commerciales
    Bien que le syriaque n’ait pas été porté par un État puissant, il s’est répandu massivement comme langue liturgique le long des routes commerciales (routes de la soie, routes maritimes) vers l’Est et le Sud.
  • Expansion : Des missionnaires syriaques ont atteint l’Asie centrale, le Tibet et la Chine. La Stèle de Xi’an (VIIe siècle), inscrite en chinois et en syriaque, témoigne de cette présence et des efforts pour traduire les textes liturgiques syriaques en chinois.
  • Traductions Culturelles : Des manuscrits trouvés à Dunhuang montrent comment les textes syriaques ont été adaptés, cherchant à rendre la notion de la Trinité dans un langage compréhensible pour les Chinois.
  • Inde : En Inde du Sud-Ouest, dans l’État du Kerala, il existe aujourd’hui sept églises différentes de tradition syriaque.
  1. Relation avec l’Arabe et le Judaïsme
    Le syriaque a maintenu des liens étroits avec d’autres langues sémitiques, notamment l’hébreu et l’arabe.
  • Arabisation : Après le VIIe siècle et la domination de l’Islam, les églises orientales (y compris celles de tradition syriaque) se sont progressivement arabisées, l’arabe devenant la langue dominante de l’administration et de la culture, et utilisée partiellement dans la liturgie.
  • Judaïsme : Le christianisme syriaque est très proche du judaïsme, favorisé par le fait que l’hébreu et l’araméen sont des langues sémitiques. La traduction de la Peshitta directement de l’hébreu au IIe siècle en est la preuve. Par exemple, Éphrem de Nisibe avait une grande connaissance des traditions juives non rabbiniques de son époque. Des traditions anciennes, comme la médecine babylonienne, se retrouvent à la fois dans les textes de médecine syriaque et dans le Talmud babylonien. Cependant, comme dans toute la littérature chrétienne, on trouve aussi un antijudaïsme virulent dans les textes syriaques, prônant l’idée du remplacement de la Synagogue par l’Église.

Culture Mésopotamienne.

La Culture Mésopotamienne est intimement liée à la Tradition Syriaque, l’une des formes majeures des Christianismes orientaux, notamment en raison de l’implantation géographique et de l’héritage littéraire et culturel des chrétiens syriaques.

  1. Implantation Géographique
    La tradition syriaque s’étend géographiquement sur une zone correspondant à la Mésopotamie historique.
  • Le syriaque se trouve dans des régions qui couvrent la Mésopotamie du Nord et la Mésopotamie du Sud.
  • L’Irak actuel fait partie des zones où se trouvent les églises syriaques et les chrétiens de cette tradition.
  1. Héritage Littéraire Mésopotamien Ancien
    Les chrétiens de tradition syriaque ont repris des traditions mésopotamiennes très anciennes. Cela est particulièrement visible dans les formes littéraires employées pour la théologie :
  • Le Poème Dialogué : Un genre de poème dialogué, que l’on retrouvait dans les tablettes de l’époque assyrienne, a été intégré à la tradition syriaque.
  • Ces poèmes mettent en scène des personnages ou des personnifications (par exemple, un arbre et une chèvre) qui dialoguent entre eux.
  • Dans la littérature syriaque, on trouve ainsi des poèmes dialogués où des figures comme la Vierge dispute avec Joseph ou avec les anges, où l’Église et la Synagogue (personnifiées) disputent entre elles, ou encore où Satan et la Mort débattent pour savoir lequel des deux l’emportera. C’est une tradition mésopotamienne très ancienne, que l’on retrouve également dans l’Empire perse.
  1. Connaissances Transmises
    La Mésopotamie a servi de pont de transmission de connaissances et de traditions entre les cultures présentes dans la région :
  • Médecine Babylonienne : Des recherches mettent en évidence la transmission progressive de traditions mésopotamiennes très anciennes à travers, par exemple, la médecine babylonienne.
  • Ces éléments de médecine babylonienne se retrouvent à la fois dans les textes de médecine syriaque et dans le Talmud babylonien.
  1. Relations avec le Judaïsme Mésopotamien
    La Mésopotamie était une région où les Juifs étaient nombreux, favorisant une proximité culturelle avec les chrétiens syriaques, dont la langue (syriaque, une forme d’araméen) et l’hébreu sont des langues sémitiques.
  • Communautés Juives : Il y avait de nombreuses communautés juives dans l’Empire perse (les communautés juives babyloniennes) ainsi qu’en Mésopotamie du Nord.
  • Le royaume d’Adiabène, qui se trouvait non loin du royaume d’Osroène (où se situe Édesse), s’était converti au judaïsme avant la période chrétienne, et l’on y trouvait de nombreuses communautés juives avec des académies ou des écoles.
  • La connaissance du judaïsme par les auteurs syriaques était très grande ; par exemple, Éphrem de Nisibe connaissait les traditions juives non rabbiniques de son époque.
  • La traduction de l’Ancien Testament en syriaque (la Peshitta) a été réalisée directement de l’hébreu dès le IIe siècle, probablement par des milieux juifs d’Édesse.

Pluralité et Trajectoires des Christianismes Orientaux : Une Analyse des Divisions et de la Tradition Syriaque

  1. Introduction : Déconstruire les Singularités pour Saisir la Complexité
    Pour appréhender le christianisme dans ses expressions orientales, il est impératif de dépasser les visions simplistes et les cadres terminologiques hérités de l’histoire. Comme le souligne l’historienne Muriel Debié, parler du « christianisme oriental » au singulier est une simplification aussi réductrice que de parler du « christianisme occidental » pour englober indistinctement le catholicisme, les protestantismes et l’orthodoxie. Cette approche moniste écrase une diversité historique, culturelle et dogmatique d’une immense richesse, qui ne peut être saisie qu’à travers le pluriel : les christianismes orientaux.
    De même, l’expression courante « chrétiens d’Orient » est problématique. Fortement marquée par l’histoire du colonialisme français et la politique de protection initiée dès le règne de Saint-Louis, elle véhicule une mémoire complexe. Les communautés concernées ne se désignent jamais elles-mêmes par ce terme, qui leur impose une identité définie de l’extérieur, tout comme nous ne nous qualifions pas de « chrétiens d’Occident ». Il convient donc d’adopter un vocabulaire plus respectueux de l’autodéfinition et de la complexité historique de ces Églises.
    Cet essai se propose d’explorer cette pluralité en deux temps. Dans un premier temps, nous analyserons les grandes divisions dogmatiques et institutionnelles qui ont fragmenté le paysage chrétien à partir des conciles œcuméniques de l’Antiquité tardive, dessinant ainsi la cartographie des principales familles d’Églises. Dans un second temps, nous nous concentrerons sur une étude de cas approfondie : la tradition syriaque. À travers elle, nous illustrerons comment une langue et une culture spécifiques ont pu devenir le véhicule d’une vitalité théologique et d’une expansion missionnaire remarquables, souvent ignorées des récits eurocentrés de l’histoire du christianisme. Cette exploration nous mènera des origines du christianisme aux confins de la Chine et de l’Inde, révélant la fécondité d’une tradition dépourvue de soutien étatique. En commençant par les fractures fondatrices, nous pourrons mieux comprendre les trajectoires uniques de ces christianismes.
  2. Les Grandes Fractures Conciliaires et la Ramification des Églises
    Les conciles œcuméniques de l’Antiquité tardive, convoqués pour définir les dogmes fondamentaux de la foi chrétienne, ont paradoxalement agi comme de puissants catalyseurs de divisions. Les désaccords, bien que centrés sur des questions théologiques complexes, reflétaient également des tensions culturelles, linguistiques, géopolitiques et « géoeclésiologiques » — c’est-à-dire des rivalités et des perspectives divergentes entre les grands patriarcats (Rome, Jérusalem, Antioche, etc.). Ces conciles ont ainsi donné naissance aux grandes familles d’Églises qui structurent encore aujourd’hui le paysage des christianismes orientaux.
    La première séparation : L’Église de l’Est et le Concile d’Éphèse
    La première grande ramification concerne l’Église de l’Est, dont le développement est indissociable de sa situation géopolitique. Située en grande partie hors des frontières de l’Empire romain, au sein de l’Empire perse sassanide, cette Église constitue une exception notable parmi les grandes Églises anciennes en ce qu’elle n’a pas accepté le Concile de Nicée (325). Sa séparation fut formalisée lorsqu’elle refusa également de reconnaître les conclusions du Concile d’Éphèse en 431. Cette autonomie par rapport à l’Église impériale romano-byzantine lui a permis de développer des traditions dogmatiques et institutionnelles propres. Sa postérité est aujourd’hui visible à travers sa division en deux branches principales : l’Église assyrienne de l’Orient et l’Église chaldéenne, cette dernière ayant reconnu l’autorité de Rome tout en conservant sa propre hiérarchie patriarcale.
    La fracture majeure : Le Concile de Chalcédoine (451) et les Églises Orthodoxes Orientales
    La division la plus profonde et la plus durable résulte du Concile de Chalcédoine en 451. Le cœur du débat portait sur la question de savoir, pour un Christ reconnu par tous comme « pleinement Dieu et pleinement homme », comment sont associées cette nature humaine et cette nature divine. Une part importante des chrétiens d’Orient a refusé la définition chalcédonienne, estimant qu’elle séparait trop radicalement les deux natures et s’éloignait de la foi originelle. Ces Églises forment aujourd’hui la communion des Églises orthodoxes orientales (à ne pas confondre avec les Églises orthodoxes de tradition byzantine).
    Parmi elles, on compte principalement :
  • L’Église Copte Orthodoxe (Égypte)
  • L’Église Éthiopienne Orthodoxe
  • L’Église Arménienne Orthodoxe
  • L’Église Syriaque Orthodoxe
    Il est crucial de noter le paradoxe terminologique : ces Églises se définissent elles-mêmes comme « orthodoxes », considérant que ce sont les Églises grecque (byzantine) et latine qui se sont éloignées de l’orthodoxie des premiers siècles. De notre point de vue occidental, le terme « orthodoxe » est souvent réservé aux Églises grecque et slave, ce qui témoigne d’une perspective qui n’est pas universelle.
    La cristallisation des institutions et le phénomène de l’uniatisme
    Alors que les désaccords théologiques apparaissent dès le Ve siècle, la séparation institutionnelle se cristallise véritablement à partir du VIIe siècle. La domination islamique sur les anciennes provinces orientales de l’Empire byzantin a, de manière paradoxale, permis à ces Églises non chalcédoniennes de consolider leur autonomie. Libérées de la tutelle de l’Église impériale, elles ont pu établir durablement leurs propres patriarcats et hiérarchies.
    Un autre phénomène récurrent dans l’histoire de ces Églises est celui de l’uniatisme, c’est-à-dire le « rattachement à Rome ». À différentes époques, des fractions de ces communautés (Coptes catholiques, Arméniens catholiques, Syriaques catholiques, etc.) ont reconnu l’autorité du pape. Ces nouvelles Églises, dites « catholiques orientales », ont généralement conservé leurs patriarches, leurs traditions liturgiques et leur droit canonique propres, créant ainsi un paysage ecclésial encore plus complexe.
    Après avoir dressé cette cartographie des grandes divisions, l’étude d’une tradition spécifique permet de dépasser le cadre dogmatique pour explorer la richesse culturelle et la dynamique historique qui animent ces christianismes. La tradition syriaque en offre un exemple particulièrement éclairant.
  1. La Tradition Syriaque : Un Cas d’Étude sur la Vitalité Culturelle et l’Expansion Missionnaire
    La tradition syriaque constitue un exemple paradigmatique de la richesse et de la complexité des christianismes orientaux. Son histoire démontre comment une langue et une culture, sans jamais être portées par un grand empire unifié, ont pu non seulement survivre, mais aussi devenir le véhicule d’une littérature florissante et d’une expansion missionnaire d’une ampleur souvent méconnue. Son étude permet de décentrer le regard et de saisir une dynamique du christianisme qui s’est jouée en grande partie indépendamment de Rome et de Constantinople.
    Origines et Survie d’une Langue-Culture
    Le syriaque est une forme d’araméen qui s’est développée dans le petit royaume d’Osroène, dont la capitale était Édesse (aujourd’hui Urfa, en Turquie). À l’époque des débuts du christianisme, de nombreux dialectes araméens étaient parlés dans la région, comme le palmyrénien ou le hatréen. Cependant, après que les royaumes de Palmyre et de Hatra furent absorbés par l’Empire romain, leurs langues écrites ont disparu, faute de pouvoir politique pour les soutenir.
    Le syriaque a connu un destin radicalement différent. Bien que le royaume d’Osroène soit lui aussi devenu une province romaine, le syriaque a non seulement survécu, mais il est devenu une grande langue de culture aux côtés du grec et du latin. La raison fondamentale de ce succès est son adoption comme langue liturgique et culturelle par les chrétiens du Proche-Orient. C’est l’Église, et non un État, qui a assuré sa pérennité et son rayonnement.
    Le Syriaque comme Pilier de la Littérature Chrétienne
    La vitalité de la culture syriaque s’est d’abord manifestée par un travail colossal de traduction de la Bible. Loin de se contenter d’une seule version, les savants syriaques en ont produit plusieurs, témoignant d’une activité intellectuelle intense.
  • Pour l’Ancien Testament, la version la plus ancienne et la plus importante est la Peshitta, traduite directement de l’hébreu dès le IIe siècle, probablement dans des milieux juifs d’Édesse. Sa grande valeur réside dans le fait qu’elle témoigne d’un état du texte hébreu antérieur au texte massorétique qui fait aujourd’hui autorité. D’autres traductions ont été réalisées plus tard à partir du grec.
  • Pour le Nouveau Testament, on compte également plusieurs versions successives, dont le Diatessaron (une harmonie des quatre Évangiles, IIe siècle), « la vieille syriaque » (IIIe siècle), la Peshitta (vers 400), puis les versions philoxénienne et harqléenne (VIe et VIIe siècles) cherchant à coller au plus près du texte grec.
    Ce travail de traduction a servi de socle à l’émergence d’une littérature originale foisonnante, avec des auteurs comme Bardesane d’Édesse qui, dès le IIe siècle, rédigeait des traités philosophiques en syriaque, témoignant d’une synthèse précoce entre la pensée grecque et la culture sémite locale.
    Une Expansion Globale Ignorée : Le Christianisme Syriaque en Asie
    L’un des chapitres les plus fascinants de cette tradition est son expansion vers l’Est. À partir du VIIe siècle notamment, des missionnaires de l’Église de l’Est, de langue et de culture syriaques, ont suivi les routes commerciales terrestres (routes de la soie) et maritimes pour porter le christianisme jusqu’au cœur de l’Asie. Cette histoire, largement absente de nos manuels, est attestée par de nombreuses preuves archéologiques et textuelles.
  • En Chine : La célèbre stèle de Xi’an, datée du VIIe siècle et découverte au XVIIe, est inscrite en chinois et en syriaque. Elle relate l’arrivée des missionnaires et l’autorisation que leur a donnée l’empereur de construire des monastères. Fait remarquable, le texte mentionne un « pape du sinistan » (la région du Tibet actuel), témoignant de la mise en place d’une hiérarchie locale, probablement un évêque ou un représentant patriarcal, pour administrer cette Église lointaine.
  • En Asie Centrale : Des manuscrits, des tombes ornées de motifs locaux comme la fleur de lotus mais inscrites en syriaque (en Mongolie), et de vastes cimetières chrétiens ont été découverts. Les inscriptions de l’un de ces cimetières ont même permis aux historiens de retracer l’origine de la grande peste médiévale dans cette région.
  • En Inde : La tradition locale, rattachée à la prédication de l’apôtre Thomas, a donné naissance à une forte présence chrétienne de tradition syriaque dans l’État du Kerala. On y dénombre aujourd’hui sept Églises différentes issues de cette tradition, et ces communautés figurent parmi les plus nombreuses du monde syriaque, dépassant en nombre celles restées au Proche-Orient.
    Cette expansion globale, réalisée sans l’appui d’un État, témoigne de la force intrinsèque de la tradition syriaque. Sa singularité ne réside cependant pas seulement dans son expansion géographique, mais aussi dans les formes d’expression théologique tout à fait uniques qu’elle a développées.
  1. Expressions Théologiques et Interactions Culturelles de la Tradition Syriaque
    Contrairement aux traditions grecque et latine, où le traité en prose constitue la forme dominante du discours théologique, la tradition syriaque a privilégié la poésie comme principal véhicule de son expression théologique et de sa catéchèse. Cette spécificité, héritée d’un riche substrat culturel, a donné naissance à un phénomène littéraire et spirituel unique, nourri de dialogues constants, bien que parfois conflictuels, avec les autres religions de son environnement.
    La Théologie par la Poésie
    Une des spécificités majeures de la pensée syriaque est son recours à la forme poétique pour exprimer la théologie. Les auteurs syriaques ont développé des genres littéraires poétiques pour leurs homélies et leurs controverses.
  • Les poèmes dialogués : Hérités des traditions littéraires de l’ancienne Mésopotamie, ces poèmes mettent en scène des personnages ou des allégories qui débattent. On trouve ainsi des dialogues entre l’Église et la Synagogue, entre la Vierge et l’ange, ou même entre Satan et la Mort.
  • Les homélies métriques (mêmrê) : Les sermons prononcés lors des fêtes liturgiques étaient composés en vers, le plus souvent en vers de 12 pieds, une métrique proche de la diction naturelle. Cette pratique faisait de chaque prêche une œuvre poétique et théologique.
    Une Imagination Théologique Distincte : La Question du Genre
    La littérature syriaque, notamment chez de grands poètes comme Éphrem de Nisibe (IVe siècle), développe une approche de la théologie qui mobilise des images « genrées » de manière surprenante et audacieuse. Cette sensibilité s’explique en partie par le fait que le mot pour « Esprit », Rûḥâ, est du genre féminin en syriaque.
  • Le Christ est présenté avec des attributs maternels, comme celui de l’allaitement. Dans une hymne sur la Nativité, Éphrem écrit : « Il suçait le lait de Marie, mais toutes les créatures sucent ses bienfaits. C’est lui le sein vivant ».
  • Le Saint-Esprit (Rûḥâ), étant féminin, est souvent dépeint comme une colombe qui couve ses œufs, une image de maternité et de protection.
  • La réflexion sur la conception virginale est également abordée sous un angle original. Face au paradoxe d’une conception par un Esprit féminin, certains textes syriaques expliquent que Marie « a engendré comme un homme par sa volonté », inversant les rôles de genre pour souligner la puissance de son consentement.
    Dialogues et Influences Interreligieux
    La tradition syriaque s’est développée au carrefour de plusieurs mondes religieux, avec lesquels elle a entretenu des relations complexes.
  • Avec le judaïsme : La proximité était immense. Partageant des langues sémitiques et vivant dans des régions à forte population juive (Mésopotamie), les auteurs syriaques montrent une connaissance approfondie de traditions juives non rabbiniques. Cette proximité n’excluait cependant pas un antijudaïsme virulent dans la littérature de controverse, reprenant le thème classique de la substitution de l’Église à la Synagogue.
  • Avec le monde arabe et l’islam : Des traditions chrétiennes apocryphes ont largement circulé dans le monde arabe préislamique. Ces récits ont laissé des traces visibles dans le Coran. L’exemple du palmier dans la sourate Maryam (Marie) est frappant : l’épisode où Marie, prise par les douleurs de l’enfantement, se repose sous un palmier qui s’incline pour la nourrir combine deux récits apocryphes chrétiens anciens. L’archéologie confirme ce lien : une église située entre Jérusalem et Bethléem, qui commémorait cet événement, fut transformée en mosquée au VIIIe siècle, et son pavement fut orné d’une mosaïque représentant un palmier.
  • Avec le zoroastrisme : Vivant au cœur de l’Empire perse, les chrétiens de tradition syriaque connaissaient bien la religion d’État. Cette interaction est visible à travers l’École des Perses à Édesse, où des chrétiens perses étudiaient, créant un pont intellectuel entre les deux empires. Les tensions sont également attestées, comme le rapporte Jacques de Saroug, lorsque des soldats perses occupant la ville d’Amida au VIe siècle transformèrent une église en temple du feu. Les nombreux Actes des martyrs persans témoignent également de ces interactions.
    Cette exploration de la tradition syriaque illustre à quel point les christianismes orientaux sont bien plus que de simples variantes dogmatiques. Ce sont des univers culturels à part entière, dont la richesse ne demande qu’à être redécouverte.
  1. Conclusion : La Nécessaire Approche Plurielle
    Au terme de cette analyse, l’argument initial se trouve renforcé : il est impossible de parler du « christianisme oriental » au singulier sans en trahir la nature profondément plurielle. Les grandes fractures issues des conciles de l’Antiquité tardive n’ont pas seulement créé des divisions dogmatiques ; elles ont donné naissance à des trajectoires historiques, culturelles et institutionnelles distinctes, chacune possédant une richesse propre. La complexité de cet arbre généalogique des Églises, avec ses multiples ramifications, nous invite à abandonner les schémas réducteurs.
    L’étude de cas de la tradition syriaque a permis d’illustrer de manière éclatante la vitalité d’une de ces branches. Dépourvue du soutien d’un grand empire, elle a su faire de sa langue le vecteur d’une culture littéraire et théologique d’une immense créativité. Plus encore, elle contredit une vision eurocentrée de l’histoire du christianisme en démontrant qu’une expansion missionnaire d’envergure a eu lieu vers l’Est, portant la foi chrétienne jusqu’en Chine et en Inde bien avant les missionnaires européens de l’époque moderne.
    Finalement, la richesse de ces traditions ne réside pas uniquement dans leurs divergences dogmatiques, mais dans leurs expressions culturelles, linguistiques et poétiques uniques. La théologie chantée des homélies métriques syriaques, l’imaginaire genré de ses poètes ou ses interactions fécondes avec le judaïsme et le monde perse témoignent d’une vitalité historique profonde. Comprendre les christianismes orientaux exige donc de prêter attention à ces voix singulières, qui continuent de raconter une autre histoire du christianisme, plus vaste et plus complexe que celle que nous connaissons habituellement.

Lien vidéo de la conférence : https://www.youtube.com/watch?v=qFn8_IbBjsc

Où en est le dialogue Judéo-chrétien ?

Conférencier de M. Jean-Dominique Durand, historien, professeur émérite d’Histoire contemporaine à l’Université Jean Moulin-Lyon 3. Depuis, Président de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France.

Résumé de la conference et article de CORDOBA.

L’histoire judéo-chrétienne, telle que décrite dans les sources, est une histoire complexe et passionnelle, pleine de malentendus, de persécutions et de souffrances, mais qui a connu de profondes révolutions et évolutions au cours du temps.

I. Les Origines de la Rupture et l’Enseignement du Mépris

Les Débuts et la Séparation À l’origine, les premiers Chrétiens se considéraient comme des Juifs dans le contexte d’un judaïsme non monolithique, et on pouvait parler de communautés judéo-chrétiennes. Jésus se présentait comme le Messie d’Israël, intégré à l’alliance par sa circoncision au sein de la foi juive, tout en destinant une nouvelle inouïe à l’humanité entière.

La rupture entre le catholicisme et le judaïsme, dont témoignent les Actes des Apôtres et les Épîtres de Paul, est liée à deux questions fondamentales :

1. L’interprétation de la mission de Jésus : La différence d’interprétation de Jésus comme Messie, mort et ressuscité, et le salut par la Croix, fondement d’une nouveauté radicale au cœur de l’Alliance.

2. La mission auprès des païens : Le baptême se substituant à la circoncision, et les Gentils entrant dans le Peuple de Dieu. Les Juifs y voyaient une remise en cause de la Torah.

Après l’an 70, l’idée s’est développée chez les Chrétiens que la destruction du Temple et la ruine de Jérusalem prouvaient la disqualification du peuple juif, condamné à la dispersion et à l’errance pour n’avoir pas reconnu le Messie attendu. Saint Augustin a notamment contribué à cette vision dans La Cité de Dieu.

Le Quadruple Refus et l’Antijudaïsme Cette rupture initiale fut accentuée par les Pères de l’Église qui développèrent un enseignement hostile au judaïsme, fondé sur l’accusation de déicide et un mépris absolu. Le judaïsme fut dès lors considéré comme une religion à combattre.

Cette histoire est marquée par un quadruple refus ou récusation du judaïsme par le christianisme :

1. Le refus de reconnaître le judaïsme : Représenté par les statues de l’Église (triomphante et couronnée) et de la Synagogue (se détournant, les yeux bandés, symbole du refus de reconnaître le Christ, parfois bandés par un serpent, comme à Notre-Dame de Paris ou Strasbourg).

2. Le refus de la connaissance de l’autre : Symbolisé par l’interdiction d’enseigner le Talmud (Saint Louis le fit brûler) et la méconnaissance ou le mépris de l’Ancien Testament (pour les Catholiques, il fallut attendre Vatican II).

3. Le refus de vivre ensemble : Conduit à l’organisation des ghettos, la séparation physique, les interdictions professionnelles, les expulsions, et les conversions forcées. Les Juifs étaient souvent des boucs émissaires en cas de crise (maladies, épidémies).

Cet antijudaïsme religieux, nourri au fil des siècles, a ensuite débouché au XIXe siècle sur un antisémitisme racial et social. Bien que la distinction soit faite entre les deux, le passage de l’un à l’autre est considéré comme naturel, l’antijudaïsme ayant fait prospérer les préjugés antisémites (préjugés de race, de richesse, de domination mondiale).

II. Le Rapprochement et le Rôle de Jules Isaac

L’Ambiguïté du Philo-sémitisme Dès le XVIIIe siècle, et surtout au XIXe siècle, certains Chrétiens ont cherché l’amitié et la compréhension du judaïsme (comme l’abbé Grégoire). Ce courant, appelé philosémitisme, visait à redécouvrir le judaïsme à travers ses fêtes et ses textes. Des auteurs comme Léon Bloy (Le Salut par les Juifs, 1892), Anatole Leroy-Beaulieu et Charles Péguy en ont été des figures importantes, notamment face aux crises antisémites comme l’Affaire Dreyfus.

Cependant, le philosémitisme n’était pas sans ambiguïté et contenait souvent la tentation du prosélytisme. Le modèle d’Alphonse Ratisbonne, converti en 1842 et fondateur d’une congrégation visant à convertir les Juifs, illustre cette tendance. Le prosélytisme, même subtil, n’est pas considéré comme un dialogue.

La Révolution de la Shoah et l’Action de Jules Isaac L’histoire judéo-chrétienne a connu une véritable révolution après le traumatisme de la Shoah, réalisée en terre chrétienne, et qui a forcé une interrogation sur la responsabilité du développement de l’antisémitisme chrétien.

L’historien Jules Isaac (cofondateur des manuels d’histoire Malet-Isaac) a été la figure prophétique de ce tournant. Son action découle directement de la Shoah, ayant perdu sa femme et sa fille, Lorette et Juliette Isaac, assassinées par les Nazis à Auschwitz.

Son livre fondamental, Jésus et Israël (dont on célèbre le 75e anniversaire), a été une révolution qui a secoué les consciences. Isaac a mené un combat de vérité en agissant en tant qu’historien, revenant aux textes fondateurs pour démontrer que l’enseignement chrétien du mépris (dans lequel il voyait l’origine de la Shoah) était fondé sur des interprétations erronées de la Bible et du récit de la Passion.

En 1947, le choc de la Shoah a conduit à une redécouverte du lien vital entre christianisme et judaïsme lors de la rencontre de Seelisberg (Suisse), où Jules Isaac et le Grand Rabbin Jacob Kaplan ont joué un rôle majeur, publiant les Dix Points de Seelisberg.

L’Amitié Judéo-Chrétienne de France (AJCF) a été fondée dans la foulée, en 1948, pour jouer un rôle majeur dans la connaissance mutuelle. L’AJCF est claire dans ses statuts et intentions : il n’est pas question d’essayer d’attirer l’autre vers sa propre religion.

III. Les Tournants du Concile Vatican II et de Jean-Paul II

Nostra Ætate (1965) Jules Isaac a œuvré inlassablement, allant jusqu’à rencontrer les Papes (Pie XII en 1949, Jean XXIII en 1960) pour convaincre la hiérarchie catholique de la nécessité de réviser l’enseignement chrétien. Le Pape Jean XXIII, frappé par l’expression « l’enseignement du mépris », lança la réflexion, confiant le projet au Cardinal Béa.

Malgré de vives oppositions (provenant des Églises du Moyen-Orient, d’une partie du monde catholique restant sur des positions de défiance héritées de l’antijudaïsme, et des intégristes qui y voyaient la « main des Juifs » contrôlant le Concile), la déclaration Nostra Ætate (point 4) fut votée en 1965.

Ce texte a marqué un tournant fondamental et une « deuxième révolution » :

• Le peuple juif ne peut plus être considéré comme coupable de déicide.

• Il reconnaît un lien fort entre christianisme et judaïsme.

• Il a défini théologiquement, pour la première fois de façon explicite, les relations de l’Église catholique avec le judaïsme.

• Jules Isaac, décédé en 1963, est considéré comme l’auteur indirect de Nostra Ætate, un fait noté avec étonnement par Monseigneur de Provenchères, soulignant l’initiative d’un « laïc, un laïc juif » à l’origine d’un décret conciliaire.

Les Évolutions sous Jean-Paul II Le pontificat de Jean-Paul II a été essentiel pour l’approfondissement du lien judéo-chrétien, notamment grâce à sa connaissance personnelle du judaïsme (étant né à Wadowice, en Pologne, où 40% de la population était juive, et ayant été archevêque de Cracovie, diocèse d’Auschwitz).

Ses contributions incluent :

• La reconnaissance en 1980 de la validité actuelle de l’Alliance de Dieu avec le peuple d’Israël, Alliance qui n’a « jamais été révoquée ».

• La visite à la Synagogue de Rome en 1986, où il a qualifié les Juifs de « frères aînés », affirmant que la religion juive est intrinsèque à la religion chrétienne, faisant des relations judéo-chrétiennes des relations intrafamiliales.

• Des gestes forts, comme la célébration solennelle de la repentance en 2000 pour les péchés de l’Église au cours des siècles, la reconnaissance de l’État d’Israël en 1993 (avec un passage fondamental sur l’importance de la Terre pour les Juifs), et son pèlerinage en Israël, marqué par sa visite à Yad Vashem et sa prière au Kotel.

IV. Le Dialogue Actuel et les Défis Persistants

L’œuvre de rapprochement se poursuit sous Benoît XVI et le Pape François. Le Pape François a affirmé en 2016 : « Oui à la redécouverte des racines juives du christianisme, non à toute forme d’antisémitisme, et condamnation de toute injure, discrimination, persécution qui en découle ».

L’Asymétrie et la Méfiance Le dialogue n’est pas toujours facile et reste souvent asymétrique. Les Chrétiens portent un grand intérêt au judaïsme car, sans le judaïsme et le Premier Testament (l’Ancien Testament), ils ne comprennent rien à leur propre foi (le Notre Père et l’Eucharistie étant ancrés dans le judaïsme). À l’inverse, les Juifs peuvent très bien se passer du christianisme (qui leur a d’ailleurs apporté tant de misère).

Cette asymétrie engendre une grande méfiance ou peur chez les Juifs, principalement celle de la conversion (prosélytisme). Cette crainte est historique, étant donné les nombreuses conversions forcées. L’inquiétude revient facilement car il est impossible d’effacer d’un trait de plume deux millénaires de haine et de persécution.

Persistance des Crises et Travail Historique Des crises récurrentes peuvent survenir, comme l’affaire du Carmel d’Auschwitz, le projet de béatification des Papes Pie IX et Pie XII (avec la question de son « silence »), ou une catéchèse maladroite (comme celle du Pape François sur l’Épître de Paul aux Galates). Le dialogue exige de ne pas laisser prospérer ces problèmes.

Le travail se fait sur trois plans :

1. Théologique : Connaissance des textes pour répondre aux interprétations erronées.

2. Historique : Examiner rigoureusement les faits (par exemple, sur le rôle de Pie XII).

3. Citoyen : Occuper l’espace public, multiplier les contacts avec les pouvoirs publics et œuvrer pour les commémorations, notamment face à la disparition des témoins de la Shoah.

Développement du Dialogue et des Liens Concrets Pour approfondir le dialogue au-delà des ouvertures de Nostra Ætate, il est nécessaire de pénétrer dans la tradition juive et de la comprendre de l’intérieur, reconnaissant une vraie filiation et réalisant que la parole de salut est venue par leur intermédiaire.

Le dialogue ne se limite pas aux échanges intellectuels ou à l’analyse des textes. Les groupes locaux de l’AJCF organisent des fêtes communes, des concerts, et des partages liturgiques (par exemple, participer au Shabbat), visant à développer des relations plus ouvertes et concrètes.

Aujourd’hui, l’évolution de ces relations est symbolisée par le monument de Joshua Kaufman, Synagoga and Ecclesia in Our Time, où la Synagogue (portant la Torah) et l’Église (portant l’Évangile) se parlent comme deux sœurs, représentant un « dialogue serein ». Toutefois, comme le dit le Pape François, l’œuvre de Jules Isaac n’est pas terminée et nécessite une vigilance constante.

Jules Isaac.

Jules Isaac (décédé en janvier 1963) est reconnu comme une figure fondamentale et prophétique dans la révolution des relations judéo-chrétiennes au XXe siècle. Il est célèbre en tant que co-auteur des manuels d’histoire Malet-Isaac et était historien de profession.

Son action est qualifiée de « véritable révolution » qui a incroyablement secoué les consciences et posé les bases de l’amitié et de l’estime entre Juifs et Chrétiens.

I. Le Traumatisme de la Shoah et le Combat contre l’Enseignement du Mépris

L’engagement de Jules Isaac est profondément ancré dans le traumatisme de la Shoah, réalisée en terre chrétienne. Son action prophétique trouve son origine dans la tragédie personnelle d’avoir perdu sa femme et sa fille, Lorette et Juliette Isaac, assassinées par les Nazis à Auschwitz parce qu’elles s’appelaient Isaac.

En tant qu’historien, Isaac a mené un combat de vérité. Il a voulu revenir aux textes fondateurs, les décortiquer et les analyser pour démontrer que « l’enseignement du mépris » (qu’il considérait comme l’origine de la Shoah et de la persécution extrême) était basé sur des interprétations erronées de la Bible et du récit de la Passion. Son objectif était de renverser l’erreur et d’effacer les interprétations qui entretenaient la haine des Juifs.

L’archevêque d’Aix-en-Provence, Monseigneur D’Ornellas, a salué son travail en le décrivant comme un « génie providentiel » et un exemple pour les professeurs d’histoire cherchant à corriger tout enseignement qui produit de la haine et conduit à la barbarie, comme l’antisémitisme engendré par l’enseignement chrétien qui a mené à Auschwitz.

II. Les Œuvres Clés et l’Action Institutionnelle

Jésus et Israël Son livre fondamental, Jésus et Israël, est considéré comme l’un de ses ouvrages majeurs. La date de sa parution (dont on célèbre le 75e anniversaire) est considérée comme l’une des deux « révolutions » dans l’histoire des relations judéo-chrétiennes, la seconde étant Nostra Ætate. Ce livre est dédié à sa femme et à sa fille.

Fondation et Dialogue de Seelisberg Le choc de la Shoah a conduit à la redécouverte du lien vital entre christianisme et judaïsme lors de la rencontre de Seelisberg (Suisse alémanique) en 1947. Jules Isaac y a joué un rôle majeur, aux côtés du Grand Rabbin Jacob Kaplan, dans la publication des Dix Points de Seelisberg.

Dans la foulée de Seelisberg, Jules Isaac a cofondé l’Amitié Judéo-Chrétienne de France (AJCF) en 1948, avec le Grand Poète Edmond Fleg, le pasteur Jacques Martin, et Henri René Marrou. Les statuts et les intentions de l’AJCF, sous l’impulsion d’Isaac, sont très clairs : il n’est pas question d’essayer d’attirer l’autre vers sa propre religion (évitant ainsi la tentation du prosélytisme).

Intervention auprès du Vatican Jules Isaac fut infatigable dans son engagement. Il a compris qu’il fallait « taper à la tête » de l’Église catholique, étant donné son organisation hiérarchique.

• Il a rencontré le Pape Pie XII en 1949 pour discuter notamment de la prière du Vendredi Saint considérée comme injurieuse, où les Juifs étaient appelés « perfides » et pour laquelle on ne s’agenouillait pas, signe de mépris à l’encontre des Juifs.

• Il a rencontré le Pape Jean XXIII en 1960. Au cours de cet entretien, il a parlé au Pape de « l’enseignement du mépris », une expression qui a vivement choqué et frappé Jean XXIII.

• Jean XXIII, préoccupé par cette relation, a confié la réflexion au Cardinal Béa, que Jules Isaac a également rencontré. Durant cet entretien, Isaac a pu développer ses convictions et convaincre le Cardinal.

III. L’Héritage : L’Auteur Indirect de Nostra Ætate

Bien que Jules Isaac soit mort avant le vote de la déclaration conciliaire, il est considéré comme l’auteur indirect de Nostra Ætate (Point 4), l’un de ses Pères fondateurs. Le texte, voté en 1965, marque un tournant fondamental en affirmant notamment que le peuple juif ne peut plus être considéré comme coupable de déicide.

Le rôle d’Isaac est d’autant plus remarquable que Monseigneur Charles de Provenchères, archevêque d’Aix-en-Provence, a souligné avec stupéfaction que l’initiative d’un décret conciliaire étudié et voté par 2000 évêques provenait d’un laïc, et d’un laïc juif.

Même si un grand chemin a été parcouru, le Pape François a rappelé en 2022 que « l’œuvre de Jules Isaac n’est pas terminée » et qu’il est nécessaire de veiller à poursuivre cette tâche colossale.

L’histoire des relations entre chrétiens et juifs est profondément marquée par une distinction essentielle, quoique complexe et controversée, entre l’antijudaïsme religieux et l’antisémitisme racial et social.

Les sources établissent que l’antijudaïsme, nourri par des causes religieuses au fil des siècles, est le terreau historique à partir duquel l’antisémitisme moderne a pu prospérer.


1. L’Antijudaïsme : La Haine Religieuse

L’antijudaïsme trouve son origine dans la rupture entre le christianisme et le judaïsme et est alimenté par des raisons purement religieuses.

  • Fondement : Il s’est développé à travers un enseignement hostile des Pères de l’Église, fondé sur l’accusation de déicide et sur un mépris absolu à l’encontre des Juifs. Le judaïsme était dès lors considéré comme une religion à combattre.
  • Conséquences : Ce corpus doctrinal est ce que l’historien Jules Isaac a dénoncé comme l’« enseignement du mépris ». Historiquement, il s’est traduit par :
    • Le refus de reconnaître la validité du judaïsme.
    • Le refus de la connaissance de l’autre (ex. : l’interdiction d’enseigner le Talmud).
    • Le refus de vivre ensemble (organisation des ghettos, expulsions, conversions forcées).
    • Le rôle de bouc émissaire systématique des Juifs en cas de crise (maladies, famines).

2. L’Antisémitisme : La Haine Raciale et Sociale

L’antisémitisme, quant à lui, est une forme de haine qui s’est affirmée au XIXe siècle et dont la nature est principalement raciale et sociale.


3. Le Lien de Causalité et la Lutte Actuelle

Causalité historique

Bien qu’une distinction doive être faite, le conférencier insiste sur le fait qu’elle est « très spécieuse », car le passage de l’un à l’autre s’est fait naturellement.

  • C’est dans l’antijudaïsme religieux que sont nés et ont prospéré tous les préjugés antisémites (préjugés de race, de richesse, de volonté de domination mondiale, etc.).
  • L’« enseignement du mépris » est ainsi considéré comme le terreau qui a rendu possible la Shoah et la persécution extrême au XXe siècle.
  • Le problème persiste aujourd’hui à travers l’antisémitisme passif, presque inconscient, où les esprits restent imprégnés de ces préjugés millénaires sur les Juifs (richesse, pouvoir, intelligence).

La lutte moderne

Le dialogue actuel, fortement influencé par Jules Isaac et la déclaration conciliaire Nostra Ætate (1965), vise à déconstruire les deux formes de haine :

  • Antijudaïsme : Il est considéré comme l’affaire des Chrétiens, car il est né de leur propre histoire religieuse. La lutte passe par un travail théologique et une révision des textes pour éliminer les interprétations erronées.
  • Antisémitisme : Il est l’affaire de la société tout entière et nécessite un engagement civique, y compris des actions pour la mémoire (commémorations de la Shoah) et la condamnation de toute forme de haine.

L’objectif, réaffirmé par le Pape François en 2016, est le « non à toute forme d’antisémitisme, et condamnation de toute injure, discrimination, persécution qui en découle ».

Déclaration Nostra Ætate.

La Déclaration Nostra Ætate (plus précisément le Point 4 de cette déclaration), votée en 1965 durant le Concile Vatican II, est qualifiée de « deuxième révolution » et de « tournant fondamental » dans l’histoire de l’Église catholique et dans les relations judéo-chrétiennes.

I. La Genèse de la Déclaration

L’initiative de la Déclaration Nostra Ætate est intimement liée à l’action de l’historien juif Jules Isaac, co-auteur des manuels Malet-Isaac.

L’Impulsion de Jean XXIII La décision de lancer une réflexion sur les relations avec le judaïsme fut prise par le Pape Jean XXIII lui-même. Jean XXIII était profondément préoccupé par cette relation, ayant personnellement organisé le sauvetage de milliers de Juifs des Balkans, de Grèce et de Bulgarie durant la Seconde Guerre mondiale.

Le Rôle Prophétique de Jules Isaac En 1960, Jean XXIII reçut l’historien Jules Isaac. Au cours de cet entretien, Isaac parla au Pape de « l’enseignement du mépris », une expression qui a vivement frappé et choqué Jean XXIII. Le Pape confia alors le projet au Cardinal Béa.

Isaac rencontra également le Cardinal Béa, développant ses convictions et parvenant à le convaincre, un Béa qui était déjà « largement convaincu » en réalité. Bien que Jules Isaac soit mort en janvier 1963, avant le vote du texte conciliaire, il est considéré comme « l’auteur indirect de Nostra Ætate » et l’un de ses Pères fondateurs.

Monseigneur Charles de Provenchères, archevêque d’Aix-en-Provence, a exprimé sa stupéfaction que l’initiative d’un décret conciliaire, étudié et voté par 2 000 évêques, provienne « d’un laïc, et d’un laïc juif ».

II. Les Apports Théologiques et la Rupture avec l’Antijudaïsme

Nostra Ætate (en particulier son Point 4) a marqué une rupture définitive avec des siècles de doctrine hostile en définissant théologiquement, pour la première fois de façon explicite, les relations de l’Église catholique avec le judaïsme.

Les points fondamentaux établis par le texte sont :

1. L’abandon de l’accusation de déicide : Le peuple juif ne peut plus être considéré comme coupable de déicide.

2. Reconnaissance du lien fort : Le texte reconnaît un lien fort entre christianisme et judaïsme. Il est souvent souligné, avec étonnement, qu’il a fallu deux millénaires pour que l’Église reconnaisse que Jésus, les Apôtres, et tous ses disciples étaient Juifs, et que Jésus était le fils d’une mère juive.

3. Redécouverte des racines : La Déclaration a tracé la route, affirmant un « oui à la redécouverte des racines juives du christianisme ».

L’Église n’avait, jusqu’alors, jamais produit de document doctrinal sur le judaïsme.

III. Les Oppositions et les Difficultés

Le processus d’adoption de Nostra Ætate fut ardu, rencontrant de nombreuses et vives oppositions. Le texte fut d’abord rejeté en juin 1962 par la commission préparatoire, puis réintroduit sous la pression du Saint-Père et annexé au texte sur l’œcuménisme.

Les oppositions venaient de divers horizons :

Motivations Diplomatiques : Les Églises chrétiennes du Moyen-Orient craignaient des conséquences négatives pour elles dans le contexte tendu de la Terre Sainte et de leurs relations complexes avec le jeune État d’Israël et le monde musulman.

Résistance Catholique Traditionnelle : Une partie du monde catholique restait sur des positions de défiance nourries par l’antijudaïsme hérité, se demandant comment dépasser la doctrine établie pendant des siècles par les Pères de l’Église.

Integrisme et Conspiration : Des traditionalistes, y compris Monseigneur Lefebvre, répandaient des pamphlets contre ce texte, soulignant le caractère « maudit et nuisible du peuple déicide ». D’autres diffusaient l’idée que le texte était l’œuvre de la « main des Juifs », qui contrôleraient le Concile, y compris le Cardinal Béa.

Pour atténuer certaines oppositions, le choix final fut d’élargir le sujet aux autres religions non chrétiennes (religions orientales et Islam).

IV. L’Héritage et la Poursuite de l’Œuvre

Même si beaucoup reconnaissent les limites de Nostra Ætate, le texte a ouvert une voie et libéré des initiatives dans les Églises locales.

L’Approfondissement Doctrinal Nostra Ætate a été complété par d’autres textes, comme les Orientation et suggestions pour l’application de la déclaration conciliaire Nostra Ætate publié par le Pape Paul VI en 1974, qui condamne l’antisémitisme comme étant opposé à l’esprit même du christianisme.

Le Pape Jean-Paul II a continué dans cette voie, notamment en reconnaissant en 1980 la validité actuelle de l’Alliance de Dieu avec le peuple d’Israël qui « n’a jamais été révoquée ».

Le Pape François a réaffirmé en 2016 que le Concile, avec Nostra Ætate, a tracé la route : « oui à la redécouverte des racines juives du christianisme, non à toute forme d’antisémitisme, et condamnation de toute injure, discrimination, persécution qui en découle ».

Le Travail Inachevé Des théologiens comme Michel Remond ont souligné que s’arrêter à Nostra Ætate serait insuffisant ; il faut « creuser, approfondir » et pénétrer la tradition juive pour reconnaître une vraie filiation et ne pas se contenter d’un simple lien généalogique.

Malgré les avancées, le dialogue reste exigeant, et le Pape François a récemment rappelé que « l’œuvre de Jules Isaac n’est pas terminée », nécessitant une vigilance constante pour poursuivre cette « tâche colossale ».

Dialogue interreligieux.

Le dialogue interreligieux, tel qu’il est abordé dans les sources, se concentre principalement sur l’évolution complexe et historique du dialogue judéo-chrétien et sa distinction en tant que relation « intrafamiliale ». Ce dialogue est né d’une volonté de dépasser deux millénaires de haine, de méfiance, de persécution et de malentendus.

I. La Nature Particulière du Dialogue Judéo-Chrétien

Une Relation Intrafamiliale Le dialogue entre Juifs et Chrétiens est considéré par le Pape Jean-Paul II, lors de sa visite à la Synagogue de Rome en 1986, comme étant intrinsèque à la religion chrétienne. Par conséquent, les relations judéo-chrétiennes ne relèvent pas des relations interreligieuses, mais plutôt de relations intrafamiliales.

Cette nature intrafamiliale implique une vérité fondamentale pour les Chrétiens : sans le judaïsme et le Premier Testament (Ancien Testament), ils ne comprennent rien à leur propre foi. Par exemple, la prière du Notre Père et l’Eucharistie (la Cène) sont des pratiques juives.

L’Asymétrie du Dialogue Le dialogue est souvent asymétrique. Les Chrétiens ont un grand intérêt pour le judaïsme, car ils ne peuvent pas se passer des Juifs ou du judaïsme. En revanche, les Juifs peuvent très bien se passer du christianisme, d’autant plus que le christianisme leur a historiquement apporté tant de misère.

II. Les Fondements du Dialogue : De Jules Isaac à Nostra Ætate

Le dialogue moderne a été lancé par une véritable révolution suite au traumatisme de la Shoah, réalisée en terre chrétienne.

Le Rôle de Jules Isaac et de l’AJCF L’action prophétique de l’historien Jules Isaac fut essentielle, car il dénonça « l’enseignement du mépris » et l’interprétation erronée des textes qui entretenait la haine des Juifs.

Dans la foulée de la déclaration de Seelisberg (1947), où Jules Isaac et le Grand Rabbin Jacob Kaplan ont joué un rôle majeur, l’Amitié Judéo-Chrétienne de France (AJCF) fut fondée en 1948. L’AJCF joue un rôle majeur dans la connaissance mutuelle.

Le Rejet du Prosélytisme L’une des conditions fondamentales du dialogue, selon les intentions claires de l’AJCF, est que le prosélytisme n’est pas un dialogue. Il n’est pas question d’essayer d’attirer l’autre vers sa propre religion.

Le prosélytisme représente la plus grande méfiance ou peur chez les Juifs en raison de l’histoire des conversions forcées et des persécutions violentes ou subtiles (comme l’affaire Alphonse Ratisbonne). L’inquiétude subsiste face au risque de conversion ou de mariages mixtes, surtout parmi les jeunes, nécessitant une grande prudence de la part des organisateurs chrétiens.

Nostra Ætate et l’Ouverture de la Voie La déclaration conciliaire Nostra Ætate (1965), dont Jules Isaac est considéré comme l’auteur indirect, a marqué un tournant fondamental. Elle a défini théologiquement les relations et a tracé la route pour le dialogue. Le Pape François a rappelé en 2016 que cette déclaration signifie : « oui à la redécouverte des racines juives du christianisme, non à toute forme d’antisémitisme, et condamnation de toute injure, discrimination, persécution qui en découle ».

Le choix final, pour atténuer les oppositions lors du Concile Vatican II, fut d’élargir le sujet aux autres religions non chrétiennes, introduisant des passages sur les religions orientales et l’Islam.

III. Les Modalités et les Défis du Dialogue

Des Actions Concrètes et Locales Le dialogue judéo-chrétien ne doit pas se limiter aux échanges intellectuels ou à l’analyse de textes. Les associations comme l’AJCF s’efforcent d’organiser des relations plus ouvertes et concrètes. Cela inclut :

• L’organisation de fêtes communes, de concerts, et de partages de repas.

• Des partages liturgiques, comme la participation au Shabbat.

L’Approfondissement et les Instruments de Travail Pour aller au-delà du simple lien généalogique reconnu par Nostra Ætate, il est nécessaire, selon le théologien Michel Remond, de « creuser, approfondir » et de pénétrer dans la tradition juive pour la comprendre de l’intérieur et reconnaître une vraie filiation.

Aujourd’hui, l’approfondissement se fait à travers la création de centres d’études juives dans des universités catholiques et la publication d’instruments de travail pour les communautés locales, tels qu’un vade-mecum pour expliquer aux Chrétiens comment dialoguer avec les Juifs.

Les Crispations et la Vigilance Le dialogue est exigeant et fait face à des crises récurrentes (par exemple, l’affaire du Carmel d’Auschwitz, la béatification controversée de Pie XII, ou une catéchèse maladroite du Pape François sur l’Épître de Paul aux Galates). L’inquiétude des Juifs est normale, car on ne peut pas rayer d’un trait de plume deux millénaires de haine et de persécution.

Le travail se poursuit sur trois plans pour garantir un dialogue sain :

1. Théologique : Connaissance des textes pour répondre aux interprétations erronées.

2. Historique : Examen rigoureux des faits (comme le rôle de Pie XII) et des textes des Pères de l’Église, dont certains sont épouvantables.

3. Citoyen : Occuper l’espace public, multiplier les contacts avec les pouvoirs publics, et œuvrer pour les commémorations, notamment face à la disparition des témoins de la Shoah.

IV. Autres Initiatives Interreligieuses

Bien que les sources soient centrées sur le dialogue judéo-chrétien, elles mentionnent l’implication dans des cadres interreligieux plus larges :

• Le locuteur est très impliqué dans le dialogue interreligieux à travers la Communauté de Sant’Egidio, qui organise chaque année un grand rassemblement interreligieux (le prochain étant prévu à Berlin).

• Le Pape François a insisté sur la condamnation de l’antisémitisme tout en reconnaissant les racines juives du christianisme dans le cadre du chemin tracé par Nostra Ætate, qui inclut également l’Islam et les religions orientales.

• Le dialogue s’exprime aussi par l’action conjointe, comme l’ont demandé des intellectuels juifs tels qu’Henri Bergson à Emmanuel Mounier en 1933, de ne pas laisser les Juifs seuls face au mal absolu (comme le nazisme).

Malgré les progrès, le Pape François a récemment rappelé que « l’œuvre de Jules Isaac n’est pas terminée » et qu’il faut veiller à poursuivre cette tâche colossale.

Lien vidéo de la conférence : https://www.youtube.com/watch?v=6AzR5OMtqMU